La CJIP des Aciéries HACHETTE & DRIOUT pour des faits de corruption commis en France
Nous vous proposons d’accéder ici au texte intégral de la CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public) signée le 11 octobre 2023 entre le Procureur de la République Financier près le tribunal judiciaire de Belfort et la société ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT (alias AHD).
Ce document confondant met en évidence une histoire de corruption à l’ancienne, quelque peu cousue de fil blanc, intervenue en France pendant les années 2010 : le directeur des achats corrompu du client bénéficie via une société tierce de paiements d’AHD, le fournisseur corrupteur, sous la houlette du Président-Actionnaire de ce dernier, afin de garantir la pérennité de la relation commerciale entre les deux entités. Une particularité du cas réside en revanche dans le fait que la corruption a quasiment été « formalisée » officiellement par contrat, ce qui est plutôt rare dans ce type de dispositif illicite.
Concernant la CJIP proprement dite, on peut également observer que les efforts significatifs de coopération avec les autorités du nouveau propriétaire d’AHD, ainsi que la mise en place préalable à la procédure d’un programme de conformité anticorruption adapté, ont été considérés comme des éléments minorants à fort impact dans le calcul de l’amende.
Convention judiciaire d’intérêt public
entre
LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE FINANCIER
près le tribunal judiciaire de Belfort
et
La Société ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT
Assistée de Maître Benjamin Grundler
Avocat au barreau de Paris
Cabinet Visconti, Grundler & Artuphel
Vu l’article 41-1-2 du code de procédure pénale ;
Vu l’ordonnance de renvoi aux fins de mise en œuvre d’une convention judiciaire d’intérêt public en date du 13 juillet 2023,
I. LA SOCIETE ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT
A) Présentation de la société ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT
1. La société ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Chaumont sous le numéro 377 658 083, (ci-après, la « Société » ou « ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT »), dont 100% des parts sont détenues par sa holding, la société HACHETTE ET DRIOUT INDUSTRIES (ci-après,
« HACHETTE ET DRIOUT INDUSTRIES »), a été créée en 1869 et était initialement une entreprise exploitant une fonderie familiale de cuivre, possédant également des ateliers de construction et ayant une activité de tôlerie et de tuyauterie.
2. Son activité a évolué dès 1888 vers des secteurs tels que la chaudronnerie en fer et en cuivre, les charpentes en fer, la fonderie de cuivre, la fonte malléable et les pièces en acier coulé.
3. La Société s’est progressivement modernisée et développée, ce plus particulièrement sous l’impulsion de Monsieur A, lequel est devenu son Président en 1976 jusqu’en 2016. Il est également progressivement devenu l’actionnaire majoritaire de la société HACHETTE ET DRIOUT INDUSTRIES, dont il détenait, avec sa famille, 71,89% des parts jusqu’en 2016.
B) La réorganisation de la société ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT par son intégration au sein d’un nouveau groupe industriel
4. C’est dans un contexte de difficultés économiques que la Société s’est tournée vers de nouveaux investisseurs en 2016 afin d’assurer la pérennité et le déploiement de son activité.
5. Le 1erjuillet 2016, un nouvel investisseur industriel a formulé une offre d’adossement au Groupe HACHETTE ET DRIOUT INDUSTRIES.
6. L’offre ainsi formulée témoignait de la capacité du nouvel investisseur à financer l’activité et à assurer le redéploiement commercial et la pérennité d’ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT.
7. Les 27 et 28 juillet 2016, un protocole de conciliation a formalisé les engagements respectifs et réciproques des parties. Celui-ci a été soumis à l’homologation du Tribunal de commerce de Dijon en septembre 2016, afin de permettre la mise en place de la solution d’adossement créée par le nouvel investisseur.
8. En sus de la restructuration totale du capital des sociétés ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT et HACHETTE ET DRIOUT INDUSTRIES, la reprise de la Société s’est également traduite par des réorganisations majeures au sein de l’instance dirigeante et des méthodes de gestion de la Société.
9. Ainsi, le 23 septembre 2016, Monsieur A a démissionné des mandats sociaux qu’il occupait au sein d’ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT depuis près de quarante ans et de HACHETTE ET DRIOUT INDUSTRIES.
10. HACHETTE ET DRIOUT INDUSTRIES a par ailleurs été transformée en Société anonyme à Directoire et Conseil de surveillance. Une nouvelle équipe dirigeante a été nommée pour composer le directoire de HACHETTE ET DRIOUT INDUSTRIES le 23 septembre 2016.
11. Les procédures internes de la Société ont, enfin, été totalement refondées.
II. EXPOSE DES FAITS
A) L’enquête pénale
12. La procédure pénale visée en références a été ouverte dans le prolongement d’une dénonciation TRACFIN effectuée auprès du Procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Mulhouse le 15 avril 2014. Cette dénonciation, ainsi que la procédure subséquente, se divisent en plusieurs volets et visent ainsi une pluralité de faits, de personnes et de chefs.
13. Parmi ceux-ci, la procédure pénale a permis de mettre en évidence, en particulier, les liens existants entre ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT et la société X.
14. En particulier, les investigations ont permis d’établir qu’entre le 14 novembre 2011 et le 25 octobre 2017, ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT avait émis 64 chèques sur les comptes bancaires de la société X, représentant un montant total de 1.502.241,02 euros dont 711 466,08 € versés avant le 2 janvier 2014.
15. L’émission de ces chèques était justifiée par un contrat signé le 1er juillet 2011 entre ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT, prise en la personne de Monsieur A, et la société X. Cet accord, qui a fait l’objet d’un avenant le 14 juin 2017, prévoyait que la société X représenterait la Société dans ses relations commerciales, plus particulièrement celles entretenues avec la société CRYOSTAR, cliente d’ACIERlES HACHETTE ET DRIOUT, dont le Directeur des achats était Monsieur B, également dirigeant de la société X.
16. Les investigations ont mis en lumière l’absence d’intervention réelle de la société X dans la relation commerciale entre ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT et son client, la société CRYOSTAR, qui indiquait ne pas avoir connaissance d’un intermédiaire investi de cette mission.
17. Elles ont également démontré que la quasi-totalité du chiffre d’affaires réalisé par la société X provenait d’ACIERlES HACHETTE ET DRIOUT, ainsi que d’autres sociétés également visées par la procédure et ayant aussi pour client la société CRYOSTAR.
18. Les versements ainsi opérés ont été considérés comme matérialisant un pacte corruptif conclu entre Monsieur B, en sa qualité de dirigeant de la société X et Monsieur A, en sa qualité de dirigeant d’ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT, afin de maintenir la possibilité de vendre des pièces de fonderies au client, la société CRYOSTAR.
19. A partir du 2 janvier 2014, Monsieur B a cessé d’exercer toute fonction au sein de la société cliente, la société CRYOSTAR.
20. Le contrat d’agent commercial entre ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT et la société X a été résilié le 5 juillet 2018.
21. La Société a été mise en examen à l’issue de son interrogatoire de première comparution le 17 janvier 2023. Lors de cet interrogatoire, la Société, représentée par son Président, lequel a pris ses fonctions le 1er octobre 2021, a indiqué ne pas avoir eu connaissance du schéma mis en place à l’initiative de Messieurs A et B, c’est-à-dire bien avant les changements capitalistiques intervenus en 2016. Elle a rappelé que le nouvel actionnaire, dès sa prise de contrôle, avait fourni d’importants efforts s’agissant des règles de gestion qui ont, depuis 2016, complètement changé la Société.
22. Monsieur A a été mis en examen le 21 décembre 2022. II a été entendu à nouveau par le juge d’instruction dans le cadre d’un interrogatoire le 21 mars 2023 aux termes duquel il a reconnu les faits qui lui étaient reprochés.
23. L’exploitation de l’interrogatoire de Monsieur A a permis de découvrir des versements supplémentaires au profit de la société X effectués par ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT avant la conclusion des contrats ci-avant évoqués, entre 2008 et 2011, à travers une société W, à hauteur de 642 010 euros sans qu’il soit possible de ventiler ce montant en lien avec le pacte corruptif.
24. Monsieur A a été mis en examen à titre supplétif s’agissant de ces nouveaux faits le 13 juin 2023. II a reconnu avoir procédé au montage sur demande de Monsieur B.
25. La Société a également été mise en examen à titre supplétif le même jour. Elle a réitéré sa position initiale.
B) Historique de la relation avec le client, la société CRYOSTAR
26. La société CRYOSTAR est spécialisée dans la conception et la fabrication d’équipements cryogéniques.
27. Il s’agit d’un client historique de ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT. En effet, les deux sociétés entretiennent des relations commerciales stables depuis 2004, soit bien avant la mise en place de tout versement visé par la procédure.
28. Le prix moyen de vente des commandes de la société CRYOSTAR, sur l’ensemble de la période des faits ci- avant exposés, était comparable au prix moyen de vente d’autres commandes d’autres clients d’ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT.
29. A ce jour, postérieurement aux faits ci-avant exposés, et en l’absence de tout intermédiaire, la société CRYOSTAR demeure un client d’ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT.
III. AMENDE D’INTERET PUBLIC
30. Aux termes de l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, l’amende d’intérêt public est fixée « de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30% du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé à partir des trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat des manquements ».
31. Les montants des chiffres d’affaires communiqués par la Société pour les exercices 2020, 2021 et 2022 s’élèvent respectivement à 23.341.844 euros, 26.328.709 euros et 30.014.256 euros, soit un chiffre d’affaires moyen de 26.561.603 euros pour la période 2020-2023.
32. Le montant théorique maximal de l’amende d’intérêt public encourue par la Société est donc de 7.968.480 euros.
33. Il est établi que, pour la réalisation des contrats conclus avec son partenaire, la société CRYOSTAR, ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT a (i) régulièrement produit les pièces qui lui ont été commandées, (ii) employé des salariés pour les réaliser, et (iii),payé l’ensemble des taxes et frais professionnels attachés à la réalisation des commandes.
34. Dans la mesure où la société CRYOSTAR était un client historique d’ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT et a continué à passer commande auprès de son fournisseur indépendamment de l’accord conclu entre Messieurs A et B, le produit d’une éventuelle infraction, qui se doit de correspondre au bénéfice procuré par l’acte illicite, ne peut en l’espèce être comptablement déterminé pour chacun des contrats suspectés d’avoir été frauduleusement obtenus.
35. Par ailleurs, eu égard à la cessation de toute fonction de Monsieur B au sein de CRYOSTAR le 2 janvier 2014, aucun élément probant ne permet d’établir, en l’état, un fait corruptif postérieur à cette date.
36. Le ministère public retient, au titre des facteurs minorants, les circonstances suivantes :
- L’ancienneté des faits et Ieur imputation à l’ancien propriétaire et dirigeant de la Société, avant la reprise effectuée par le nouvel actionnaire en 2016 ;
- La bonne foi et la coopération active de la Société, qui a notamment apporté les éléments d’informations et les données comptables qui lui étaient demandés par le Parquet ;
- La situation financière fragilisée de la Société depuis la crise sanitaire de 2020, laquelle l’a notamment conduite à souscrire un prêt garanti par l’Etat (PGE), obtenu en deux temps (2020 et début 2021). Le PGE est à rembourser entre juin 2022 et décembre 2026 ;
- Les améliorations constantes, depuis 2016, apportées au programme conformité anticorruption de la société. Il est souligné en particulier (i) la création d’une charte éthique destinée notamment aux fournisseurs, distributeurs et agents de la Société, en sus de son propre code de conduite interne, (ii) l’adoption d’une cartographie des risques anticorruption adaptée à l’activité de la Société et (iii) un renforcement significatif des procédures en matière d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs et intermédiaires de la Société.
- Ces dernières prévoient en particulier la préconisation d’une surveillance systématique de tout agent commercial, et ce quelle que soit sa zone géographique, ainsi que l’encadrement systématique du recours à un tel agent (notamment par la surveillance des agents à travers divers outils ainsi que par la mise en place d’une double validation du contrat d’agent commercial par le service juridique et par la direction générale et d’une double validation avant le paiement de la facture de l’agent par le service juridique et le service financier).
37. Par conséquent, le montant de l’amende d’intérêt public mis à la charge de ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT est d’UN MILLION DEUX CENT MILLE EUROS (1.200.000,00 euros).
IV. REPARATION DU PREJUDICE ALLEGUE PAR LA SOCIETE CRYOSTAR
38. Un avis de proposition de conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public a été adressé à la société CRYOSTAR. Celle-ci en a accusé réception le 02 août 2023. Cet avis lui donnait un délai de 20 jours pour apporter tout élément au sujet d’éventuelles demandes indemnitaires.
39. La société a adressé, par l’entremise de son conseil (réceptionné au parquet de BELFORT le 17 août 2023), une demande de réparation provisionnelle à hauteur de 3 millions d’euros en sollicitant également un délai complémentaire pour pouvoir justifier de la réalité de son préjudice.
40. Une réunion contradictoire à l’initiative du parquet s’est tenue le 14 septembre 2023 afin de pouvoir entendre les conseils respectifs en Ieurs observations notamment sur le préjudice allégué.
41. Malgré un délai accordé jusqu’au 1er octobre 2023 pour transmettre toutes pièces utiles et justificatifs, le ministère public n’a été destinataire d’aucun élément permettant de justifier du montant du préjudice sollicité à titre provisionnel.
42. De sorte que, le ministère public n’est pas en mesure de déterminer ce qui a pu être réellement répercuté indument à la partie civile.
43. Par ailleurs aucun élément ne permet d’établir, en l’état, un achat au-delà du prix du marché.
Il convient de relever, à ce titre, que les relations commerciales entre la société CRYOSTAR et ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT ont perduré et continuent de perdurer malgré le départ de Monsieur B, le 2 janvier 2014, sans qu’aucune remise en cause des conditions d’achat n’ait jamais été formulée par la société CRYOSTAR.
44. En conséquence le ministère public ne peut dès Iors déterminer et fixer un montant de dommages et intérêts précision faite que la société CRYOSTAR dispose de la possibilité de faire valoir ses droits devant la juridiction civile, conformément aux dispositions de l’article 41-1-2 IV alinéa 2 du code de procédure pénale.
V MODALITES D’EXECUTION DE LA PRESENTE CONVENTION
Aux termes de la présente convention, ACIERIES HACHETTE ET DRIOUT accepte de payer la somme totale d’UN MILLION DEUX CENT MILLE EUROS (1.200.000,00 euros) au titre de l’amende d’intérêt public.
Le paiement de cette amende d’intérêt public sera effectué auprès du comptable public dans les conditions prévues par l’article R.15-33-60-6 du Code de procédure pénale, dans un délai de dix jours, et sous réserve de la restitution préalable des fonds saisis, à compter de la date à laquelle la présente convention sera devenue définitive, en application du dixième alinéa de l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale.
L’exécution des obligations prévues par la présente convention éteint l’action publique à l’égard de la Société s’agissant de l’ensemble des faits pour lesquels la Société a été mise en examen.
Il est rappelé que, conformément aux dispositions de l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, l’ordonnance de validation de la présente convention judiciaire d’intérêt public n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a pas la nature ni les effets d’un jugement de condamnation.
Fait à Belfort, le 11 octobre 2023
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