La CJIP Groupe SEVES pour corruption d’agent public en République Démocratique du Congo

La CJIP SEVES GROUP SARL et SEDIVER SAS pour des faits de corruption d'agent public en relation avec un marché de réhabilitation d'une ligne électrique en République Démocratique du Congo entre 2010 et 2012
Les faits sont intervenus de 2010 à 2012 relativement à la rénovation d’une ligne électrique en RDC

Nous vous proposons d’accéder ici au texte intégral de la CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public) signée le 28 novembre 2023 entre le Procureur de la République Financier près le tribunal judiciaire de Paris et les sociétés SEVES GROUP SARL et SEDIVER SAS. 
Ce document met en évidence les circuits utilisés par ces dernières afin d’obtenir frauduleusement des marchés publics au Congo dans le cadre de plusieurs chantiers de modernisation des infrastructures électriques locales financés par la Banque Mondiale. Il décrit aussi les ramifications de ce mécanisme de corruption active d’agents publics étrangers, reproduit dans d’autres pays africains (Algérie, Nigeria, Libye) par les mêmes parties prenantes.
Outre l’amende significative (plus de 13M€, voir détails ci-dessous) à payer pour les inconduites constatées, il est à noter que le groupe SEVES devra se soumettre, à ses propres frais, à la mise en place d’un programme strict de mise en conformité anticorruption sous le contrôle de l’Agence Française Anticorruption (AFA).

Convention judiciaire d’intérêt public

entre

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE FINANCIER

près le tribunal judiciaire de Paris

et

La société

SEVES GROUP SARL

10, rue Antoine Jans L-1820 LUXEMBOURG

et

La société

SEDIVER SAS

Tour Egée, 9-11 allée de l’Arche 92400 COURBEVOIE

Vu l’article 41-1-2 du code de procédure pénale ;

Vu les articles R.15-33-60-1 à R.15-33-60-10 du même code ;

Vu l’enquête préliminaire initiée par le parquet de Nanterre le 5 octobre 2018 sous la référence 17 124 000 319 ;

Vu le dessaisissement du parquet de Nanterre au profit du parquet national financier (PNF) le 3 avril 2019 ;

Vu la poursuite d’enquête confiée par le parquet national financier à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (« OCLCIFF ») sous la référence PNF 19 094 000 178.

I. LES SOCIETES SEDIVER ET SEVES GROUP

1. SEDIVER SAS (« SEDIVER ») est une société par actions simplifiée au capital de 29 472 419,69 € dont le siège social est situé Tour Egée 9-11, allée de l’Arche – 92400 Courbevoie.

2. SEVES GROUP SARL (« SEVES GROUP ») est une société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois au capital de 12 500,01 € dont le siège social est situé 10, rue Antoine Jans L-1820 Luxembourg.

3. SEDIVER est détenue par SEDIVER SPA, filiale italienne directe de SEVES GROUP, elle-même majoritairement détenue et contrôlée par le fonds d’investissement privé TRITON FUND III.

4. Le groupe SEVES (« Groupe SEVES »), dont la société mère est SEVES GROUP, a pour activité la fourniture d’isolateurs en verre trempé pour des lignes à haute tension.

5. Groupe SEVES emploie 643 collaborateurs dans 7 pays et réalise un chiffre d’affaires de 183,6 millions € au 31 décembre 2022.

II. EXPOSE DES FAITS

II.1 Le contexte
6. Le 25 avril 2017, le commissaire aux comptes de SEDIVER adressait une révélation au procureur de la République de Nanterre sur le fondement de l’article L. 823-12 du code de commerce. Il exposait avoir découvert, dans le cadre d’un audit, que la société avait fait l’objet, à compter du 20 janvier 2015, d’une enquête de la part des services en charge des questions d’intégrité de la Banque MondiaIe en relation avec un marché de réhabilitation d’une ligne électrique en République Démocratique du Congo, financé par la Banque Mondiale entre 2010 et 2012, sur lequel elle avait soumissionné puis avait été retenue comme fournisseur d’isolateurs.

7. Le 5 octobre 2018, le parquet de Nanterre ouvrait une enquête du chef de corruption d’agent public étranger et en informait SEDIVER par courrier afin d’obtenir des informations complémentaires. Le 3 avril 2019, le parquet de Nanterre se dessaisissait au profit du parquet national financier.

II.2 L’enquête
8. Le marché de réhabilitation de la ligne électrique Inga-Kolwesi, financé par la Banque Mondiale, dit « Marché 4 » visait à améliorer l’infrastructure de production et de transmission d’électricité en République Démocratique du Congo notamment par l’expansion et l’amélioration des lignes électriques à haute tension.

9. Le Marché 4 était conclu le 21 février 2012 entre la Société Nationale d’Électricité (« SNEL ») de la République Démocratique du Congo (entreprise étatique) et KALPATARU Transmission Ltd (société indienne attributaire du marché, « KALPATARU »). SEDIVER intervenait dans le cadre de ce contrat en tant que sous-traitant chargé de fournir les isolateurs destinés à équiper la ligne électrique.

10. Plusieurs échanges par mail montraient qu’afin d’influencer en sa faveur le processus de sélection du fabricant d’isolateurs au titre du Contrat du Marché 4, SEDIVER versait des commissions destinées, en tout ou partie, à des agents publics de la République Démocratique du Congo, via la société de conseil FICHTNER GmbH (« FICHTNER »), et par l’intermédiaire d’un agent suisse, « Agent A », et de sa société de droit suisse BONICO AG.

11. FICHTNER était missionnée par la Banque Mondiale pour gérer le projet de réhabilitation de la ligne Inga-Kolwezi et assister la SNEL dans l’organisation de ce marché, en qualité d’Assistant à Maitrise d’Ouvrage. Elle était notamment chargée de préparer le dossier d’appel d’offres pour le Contrat du Marché 4, de conseiller la SNEL et de contrôler l’exécution des travaux par les entrepreneurs. Le Contrat du Marché 4 était conclu par la SNEL avec le soumissionnaire retenu sur la base du travail préparatoire et des conseils de FICHTNER.

12. Entre janvier et février 2010, « Ingénieur C », ingénieur conseil, salarié de FICHTNER élaborait les spécifications techniques de l’appel d’offres du Marché 4 en tenant compte des recommandations techniques fournies par les salariés de SEDIVER. Les spécifications et exigences retenues dans le dossier d’appel d’offres procuraient un avantage certain à SEDIVER dans le processus de sélection.

13. Les investigations montraient par ailleurs que les tous premiers contacts relatifs au Marché 4 entre SEDIVER et Ingénieur C dataient du 15 septembre 2009. Par un transfert de mail, Ingénieur C avisait le chef de la zone Moyen Orient du Groupe SEVES qu’il connaissait (« Salarié D »), qu’un marché allait très probablement nécessiter le remplacement de tous les isolateurs. A l’issue d’échanges entre Ingénieur C, Salarié D et le Directeur de la Recherche et Développement de Groupe SEVES (« Salarié E »), il était confié à la société SEDIVER la réalisation de tests des isolateurs destinés à équiper ultérieurement la ligne à haute tension. SEDIVER intervenait donc à la fois comme laboratoire de test et comme fabricant des isolateurs qui devait par la suite être choisi en qualité de sous-traitant par KALPATARU. Les échanges courriels entre Ingénieur C et le président directeur général de SEDIVER montraient sans ambiguïté que ces tests étaient un moyen pour SEDIVER de se placer favorablement dans la perspective de l’appel d’offres à venir.

14. SEDIVER diminuait le prix de ses isolateurs en raison de la concurrence exercée par d’autres fabricants d’isolateurs en verre et concluait finalement en octobre 2012, avec le soumissionnaire retenu pour le Contrat du Marché 4, un contrat de fourniture des isolateurs en verre d’un montant de 24 144 252 USD.

15. SEDIVER versait à la société BONICO des « commissions » sollicitées par Ingénieur C. Certains courriels suggéraient qu’une partie de ces « commissions » était reversée à des agents publics congolais. Des salariés de SEDIVER, dont certains ne font plus partie de la société, auraient participé à la négociation des paiements. L’ancien président directeur général de SEDIVER aurait approuvé ces négociations.

16. Un contrat d’agent était signé entre SEDIVER et BONICO le 29 novembre 2012. De nombreuses factures émises par BONICO étaient retrouvées et le versement par SEDIVER à BONICO d’un montant de 796 K€ en lien avec le Marché 4 était mis en évidence. SEDIVER n’apparaissait pas avoir connaissance du montant total reçu par Ingénieur C versé par BONICO.

17. SEDIVER informait spontanément le procureur de la République financier qu‘elle avait identifié des faits similaires en République Démocratique du Congo en lien avec :

  • un second projet mis en œuvre par la SNEL portant également sur la réfection de lignes à haute tension à courant alternatif en République Démocratique du Congo entre les stations d’lnga et de Kinshasa dans le cadre d’un projet financé par la Banque Européenne d’Investissement, dit « Marché 5 ».
  • un troisième projet mis en œuvre par la SNEL portant également sur la réfection de lignes à haute tension à courant alternatif en République Démocratique du Congo entre les stations de Fungurume et de Kasumbalesa dans le cadre d’un projet financé par la Banque Mondiale.

18. Il apparaissait que le même salarié de FICHTNER, Ingénieur C, recevait également des versements de « commissions » de SEDIVER par l’intermédiaire de son agent BONICO avec lequel des contrats étaient signés respectivement le 24 avril 2010 concernant les stations d’lnga et de Kinshasa et le 21 novembre 2011 concernant les stations de Fungurume et de Kasumbalesa. Des versements d’un montant de 165 K€ étaient effectués à BONICO en contrepartie de l’intervention d’ingénieur C pour que les spécifications techniques incluses dans les appels d’offres confèrent un avantage concurrentiel à SEDIVER.

19. Dans le cadre de Marché 5, un courriel émanant de Salarié D faisait état du versement envisagé d’une « commission » de SEDIVER à un agent indien (« Agent B »), et de sa société de droit émirati INDIGO ENTERPRISES.

20. Les investigations étaient élargies à d’autres pays et il apparaissait qu’lNDIGO avait travaillé avec SEDIVER en Algérie et au Nigéria, et que BONICO avait été sollicité en Algérie et en Libye.

21. L’exploitation des documents obtenus permettait de faire ressortir que les deux agents avaient là encore reçu des paiements de la part de SEDIVER à hauteur de 754 K€, dans un contexte similaire à celui des marchés de la République démocratique du Congo, et sans que SEDIVER soit en mesure de justifier de l’activité de ces agents sous contrats.

22. Le PNF estime que l’ensemble de ces faits, relatifs à la République Démocratique du Congo, à l’Algérie, la Libye et au Nigéria, sont susceptibles de recevoir la qualification de corruption active d’agent public étranger, prévue à l’article 435-3 du code pénal.

23. SEDIVER et SEVES GROUP déclarent reconnaître ces faits.

III. AMENDE D’INTERET PUBLIC

24. Aux termes de l’article 41-J-2 du code de procédure pénale, le montant de l’amende d’intérêt public est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30% du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements.

25. Le montant du chiffre d’affaires de Groupe SEVES était de 183,6 millions € au cours de l’exercice clos le 31 décembre 2022, 143,6 millions € au cours de l’exercice clos le 31 décembre 2021 et 213,4 millions € au cours de I*exercice clos le 31 décembre 2020, soit un chiffre d’affaires annuel moyen de 180,2 millions € au cours des trois derniers exercices.

26. Le montant maximal théorique de l’amende d’intérêt public encourue est donc de 54 millions €.

27. Les investigations ont permis d’évaluer les avantages tirés des manquements à la somme de 9 552 000 €.

28. L’évaluation a été établie par application d’un taux de rentabilité estimé sur les ventes enregistrées à l’échelle consolidée de Groupe SEVES au cours de la période sur les marchés visés et après réintégration du montant des commissions payées.

29. La part afflictive de l’amende tient compte des facteurs majorants suivants :

  • le caractère systémique des comportements identifiés pendant la période 2009 à 2015 en matière commerciale ;
  • l’implication d’un agent public.

30. Elle retient au titre des facteurs minorants les circonstances suivantes :

  • la révélation spontanée de certains faits ;
  • la pertinence des investigations internes et la coopération active de Groupe SEVES qui a engagé et transmis les éléments d’enquêtes internes permettant de préciser le montant des paiements irréguliers enregistrés ;
  • la reconnaissance non équivoque des faits par les sociétés ;
  • la réparation du préjudice dont a été bénéficiaire la République Démocratique du Congo au travers de l’indemnisation perçue par la Banque Mondiale de la part de deux filiales de Groupe SEVES à hauteur de 6,8 millions € au terme du protocole d’accord transactionnel signé en novembre 2017.

31. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le montant de la partie afflictive de l’amende s’élève à 3 821 000 €.

32. Par conséquent, le montant total de l’amende d’lntérêt public à payer par SEDIVER est fixé à la somme de 13 373 000 €.

IV. PROGRAMME DE MISE EN CONFORMITE

33. Aux termes de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, la convention judiciaire d’intérêt public peut prévoir, pour la personne morale mise en cause, l’obligation de se soumettre, pour une durée maximale de trois ans, et sous le contrôle de l’Agence Française Anticorruption (AFA), à un programme de mise en conformité destiné à s’assurer de l’existence et de la mise en œuvre par la société de mesures et procédures énumérées au II de l’article 131-39-2 du code pénal.

34. Groupe SEVES a transmis des informations et documents relatifs à son dispositif de lutte contre la corruption.

35. Sur la base de ces éléments, à la demande du procureur de la République financier, l’AFA a transmis le 3 novembre 2023 un rapport d’examen préalable à l’établissement d’une CJIP concernant Groupe SEVES.

36. La mise en place d’un programme de mise en conformité d’une durée de trois ans sous le contrôle de l’AFA est convenue, incluant un audit initial permettant de dresser un état des lieux de l’existence et de la pertinence du dispositif anticorruption de Groupe SEVES, des audits ciblés pour s’assurer de son déploiement effectif et de son efficacité au regard des risques identifiés, ainsi qu’un audit final.

37. S’il est constaté par le procureur de la République financier, sur la base d’un rapport de l’AFA émis en cours d’exécution, que l’intégralité des obligations a été respectée de manière anticipée, il pourra être mis fin au programme à l’échéance de deux ans.

38. Les frais occasionnés par le recours de l’AFA, le cas échéant, à des experts ou autorités qualifiés nécessaires à l’accomplissement de la mission de contrôle, seront supportés par SEDIVER jusqu‘à concurrence de 500 000 € que SEDIVER s‘engage à provisionner et à consigner par virement sur le compte du contrôleur budgétaire et ministériel des ministères économiques et financiers dans un délai qui sera fixé par l’AFA.

39. L‘AFA rendra compte à sa demande et au moins annuellement au procureur de la République financier de la mise en œuvre du programme.

V. CHAMP D’APPLICATION DE LA CONVENTION

40. En considération du caractère systémique des comportements identifiés, de la difficulté à réaliser des investigations complémentaires pour identifier l’ensemble des interventions potentielles des deux agents sur la période visée, de la coopération de Groupe SEVES dans l’identification des manquements, notamment par la communication volontaire d’éléments d’enquête interne, le procureur de la République financier considère que la présente convention porte effet sur les faits de corruption d’agent public étranger de même nature susceptibles d’être intervenus en Albanie, Algérie, Ethiopie, Georgie, Kenya, Libye, Macédoine, Mozambique, Nigeria, République Démocratique du Congo, Sénégal, Serbie, Slovénie, Afrique du Sud, Soudan, Tanzanie, Ukraine, Ouzbékistan, et au Yémen entre 2009 et 2015 et d’être reprochés à SEDIVER, sous réserve que ces faits n’aient pas été sciemment dissimulés au PNF au cours des discussions ayant permis la conclusion de la présente convention par l’une ou l’autre des sociétés signataires.

41. L’existence potentielle de tels faits sera rapportée au PNF dès que SEDIVER ou SEVES GROUP en a connaissance pour que le bénéfice de la présente clause trouve à s‘appliquer.

VI. MODALITE D’EXECUTION DE LA PRESENTE CONVENTION

42. Aux termes de la présente convention, SEDIVER s’engage à procéder au paiement de la somme de 13 373 000 € au titre de l’amende d’intérêt public, dans les conditions prévues par l’article R.15-33-60-6 du code de procédure pénale.

43. Ce paiement aura lieu en quatre versements de la part de SEDIVER dans un délai de douze
mois.

44. Le premier versement, d’un montant de 1 500 000 €, aura lieu sous 10 jours à compter de la date à laquelle la présente convention sera devenue définitive en application du dixième alinéa de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale. Le solde sera versé :

  • pour un montant de 3 958 000 €, au plus tard le 14 avril 2024 ;
  • pour un montant de 3 958 000 €, au plus tard le 14 août 2024 ;
  • pour un montant de 3 957 000 €, au plus tard le 14 décembre 2024.

45. L‘exécution des obligations prévues par la convention éteint l’action publique à l’égard de SEDIVER et SEVES GROUP.

46. Il est rappelé que conformément à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, l’ordonnance de validation de la présente convention judiciaire d’intérêt public n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation.

A paris, le 28 novembre 2023

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