CJIP : le Parquet National Financier précise les règles de la Justice négociée à la française

CJIP : le parquet précise les règles de la Justice négociée
Depuis le 16 mai 2018, le PNF occupe le vingtième étage de la nouvelle cité judiciaire de Paris

Quatre ans seulement après leur publication, le Parquet National Financier (PNF) vient de mettre à jour les lignes directrices de la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP), le mécanisme permettant aux entreprises de régler des poursuites pénales par un accord avec les autorités judiciaires. Une mise à jour nécessaire, car en quelques années, la place de la CJIP dans la justice française a sensiblement évolué.

Extension du domaine de la CJIP

Introduite en 2016 par la loi Sapin 2, la CJIP n’a cessé de gagner du terrain dans l’arsenal juridique français. Certaines affaires de corruption très médiatisées ont fait connaître du grand public ce mécanisme de justice dite « transactionnelle » : en 2021, la CJIP Bolloré a permis au groupe de régler des faits de corruption au Togo (12 millions d’euros d’amende), la CJIP Systra a réglé une affaire de corruption dans des marchés publics en Asie centrale (7,5 millions d’Euros)…

Plus récemment, Airbus a dû régler des accusations de corruption en Libye et au Kazakhstan via sa seconde CJIP, à hauteur de 15,8 millions d’euros. Et en 2022, on aura même vu McDonald’s écoper d’une CJIP de $1,25 milliard pour solder un contentieux… fiscal.

Initialement limitée aux cas de corruption et blanchiment d’argent, la CJIP a en effet été étendue aux délits de fraude fiscale en 2018, puis aux délits environnementaux en 2020. La CJIP n’est donc plus un régime exceptionnel réservé à la grande criminalité économique. Des tribunaux locaux peuvent désormais s’emparer de cet outil pour régler des contentieux d’intérêt public, dans le sillon du tribunal de Puy-en-Velay, qui a signé la première CJIP environnementale pour régler une affaire de déversement de substances toxiques.

Progressivement, le spectre d’intervention de la CJIP s’est étendu et elle devient ainsi une alternative crédible et viable aux procédures pénales classiques. La justice française fait ainsi un pas de plus dans le sens de la justice à l’américaine où la négociation est reine, la CJIP étant elle-même née notamment en réponse aux intrusives sanctions extraterritoriales américaines. 

Face à cette « démocratisation » de la CJIP, le PNF vient apporter des clarifications très attendues des professionnels du droit.

Une meilleure « prévisibilité juridique »

Du fait de la confidentialité des négociations, les entreprises ne savent en effet pas forcément à quoi s’attendre lorsqu’elles s’engagent dans un dialogue avec les autorités. Ces lignes directrices viennent donc clarifier les modalités de négociation et de validation des CJIP.

Seul le parquet peut officiellement proposer une CJIP à une entreprise. En revanche, le représentant légal ou l’avocat de l’entreprise peut approcher le parquet et lui faire connaître son souhait de bénéficier d’une CJIP. Des pourparlers informels peuvent donc être engagés à l’initiative de l’entreprise, sauf en cas d’atteintes graves aux personnes.

Des négociations s’ensuivent afin de déterminer les engagements de la personne morale incriminée : payer une amende d’intérêt public, mettre en place un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’Agence Française Anticorruption (AFA), réparer le préjudice causé aux victimes… Après sa signature, la CJIP est soumise à la validation du président du tribunal lors d’une audience publique, avant d’être publiée.

Une autre précision fondamentale pour rassurer les entreprises qui s’engageraient dans la démarche : les éléments remis par l’entreprise au PNF sont strictement confidentiels. Dans l’éventualité où les négociations échouent, ces documents ne sont pas remis au juge qui instruira le dossier. Une entreprise peut donc changer d’avis sans payer le prix de sa coopération avec les autorités.

Le calcul de l’amende gagne en transparence

En publiant son barème, le parquet rompt avec l’opacité qui régissait auparavant le calcul des amendes CJIP. La première étape de ce calcul consiste à évaluer les avantages tirés des manquements reprochés. L’amende doit être « proportionnée » aux profits indûment obtenus (par exemple, des bénéfices tirés d’un marché obtenu par la corruption), mais aussi aux avantages futurs et indirects (gains de parts de marché, de visibilité…) tirés de l’inconduite.

Ce montant est ensuite passé au crible d’une vingtaine de critères susceptibles de majorer ou minorer l’amende. Par exemple, l’amende peut être majorée de 50% en cas de trouble grave à l’ordre public ou de récidive. Cette majoration est moindre (30%) en cas d’obstruction à l’enquête, d’implication d’un agent public ou de création d’outils pour dissimuler l’infraction. Elle peut être plus limitée (20%) selon des facteurs comme la taille de l’entreprise, les manquements à la conformité Sapin 2 ou les antécédents judiciaires de l’entreprise.

À l’inverse, certains facteurs peuvent minorer l’amende : l’auto-dénonciation (50%), l’indemnisation préalable des victimes (40%), la coopération avec le parquet (30%), les mesures correctives déployées et la qualité de l’enquête interne (20%), l’absence d’antécédents et l’efficacité du système d’alerte interne (10%) …

Enfin, l’amende finale est plafonnée : elle ne peut excéder 30% du chiffre d’affaires moyen sur les trois dernières années. Mais attention, il s’agit du chiffre d’affaires consolidé, soit celui du groupe et non seulement de l’entreprise incriminée. Un plafond fixé à un niveau très élevé pour empêcher les groupes de défausser de leur responsabilité pénale sur une filiale aux faibles revenus.

Des mécanismes trop incitatifs ?

Les promoteurs de la CJIP mettent en avant le pragmatisme de ce système qui, d’une pierre deux coups, responsabilise les coupables tout en facilitant le travail du parquet. En effet, l’entreprise a tout intérêt à collaborer pour éviter un procès long et coûteux, dont l’issue incertaine pèse sur la confiance des actionnaires et investisseurs… Qui plus est, la CJIP écarte le risque d’être exclu de procédures de marchés publics, un facteur vital pour les entreprises très dépendantes de marchés publics, comme les secteurs du BTP ou de l’énergie. Enfin, elle n’entache pas le casier judiciaire de l’entreprise.

Cette approche suscite pourtant certaines critiques : Jean-Philippe Foegle, chargé de plaidoyer au sein de l’organisation Sherpa dénonce « une justice à deux vitesses dans laquelle les entreprises achètent leur innocence pour les infractions les plus graves, sans voie de recours possible pour les victimes ». Selon ces critiques, cette conception économique est étrangère à la culture juridique française, et confère une place trop importante à l’élément financier. Sans procès ni débat public, l’action de la justice perdrait sa « valeur d’exemplarité », ce qui pourrait favoriser davantage des pratiques frauduleuses.

Jean-François Bohnert, le procureur national financier, préfère parler d’une « justice d’adhésion ». Certes, les victimes ne peuvent faire appel d’une CJIP, mais les entreprises sont incitées à les indemniser – avec, à la clé, une amende diminuée de 40%. Et si cela ne suffit pas, le parquet peut inclure des indemnisations dans le règlement. Enfin, les victimes elles-mêmes peuvent réclamer une indemnisation lors de la période de négociation ; après avoir proposé une CJIP, le parquet doit en effet informer les victimes pour leur permettre de faire valoir leur potentiel préjudice. Un argument à relativiser, cependant, puisque comme le signale Sherpa, les victimes de la criminalité économique, financière ou environnementale sont souvent difficiles à identifier précisément.

Quant au montant de l’amende, est-il si avantageux que ça ? C’est ce qu’affirment les critiques, qui considèrent que la justice négociée profite aux entreprises les plus puissantes, car elles ont les moyens de payer des amendes élevées. Mais pour Jean-François Bohnert, c’est le contraire : dans une procédure pénale classique, l’amende encourue par Airbus aurait été plafonnée à 5 millions d’euros, contre 18 millions d’euros dans le cadre d’une CJIP.

Une « prime à l’autorévélation » pour une justice plus efficace

Pour le parquet, encourager les révélations spontanées permet à la fois d’accélérer les procédures d’enquête et de réaliser des économies de moyens. Ainsi, l’auto-dénonciation n’est considérée légitime que si l’entreprise se manifeste dans un « délai raisonnable » après avoir eu connaissance des faits, et qu’elle participe activement à révéler la vérité via une enquête interne. Au-delà de la dénonciation, la minoration de l’amende dépend donc aussi du niveau de détail du rapport d’enquête communiqué aux autorités, de la qualité des preuves, etc.

Citant notamment l’auto-dénonciation d’Airbus, qui a remis près de 400 millions de documents au PNF, Jean-François Bohnert souligne les gains de productivité pour la justice et la société dans son ensemble : la collaboration réduit les coûts d’enquête et ceux liés aux experts de l’instruction, qui disparaissent du processus judiciaire. « Sans la CJIP, on aurait ouvert une information judiciaire et la procédure aurait pris entre dix et quinze ans. », résume-t-il.

Notons en revanche qu’à l’heure actuelle, la CJIP ne concerne que les personnes morales. Dans la pratique, cela revient à consacrer un système à double temporalité, avec des négociations rapides pour les entreprises par rapport à des procédures judiciaires traditionnelles, par définition plus lentes, pour les personnes physiques. Mais, pour Jean-François Bohnert, étendre la CJIP aux individus n’est pas (encore) d’actualité : « notre société n’est pas prête à généraliser à ce point la justice négociée. »

Sources

Quelques CJIP en texte intégral

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