Ericsson, Glencore: ces entreprises plongées dans un cercle vicieux de poursuites anticorruption

Ericsson, Glencore: ces entreprises plongées dans un cercle vicieux de poursuites anticorruption
Le géant suisse des mines Glencore doit faire face aux « suites » de son règlement FCPA

Sur le plan de la lutte anticorruption, la justice américaine continue à mener ses poursuites extraterritoriales d’une main de fer. Après une année 2022 marquée par des règlements importants comme ceux des groupes Glencore ($700 millions d’amende FCPA), ABB ($315 millions), Honeywell ($203 millions) ou encore KT Corporation ($6,3 millions), l’oncle Sam semble plus que jamais déterminé à montrer aux entreprises que les conditions d’un règlement FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) ne doivent pas être prises à la légère.

En mars 2022, nous avions consacré un article aux cas d’Ericsson et Glencore, toutes deux surveillées de près suite à des manquements à leurs obligations post-règlement FCPA. Un an plus tard, nous revenons sur les conséquences bien réelles, pour ces deux entreprises, d’une coopération jugée insuffisante par le régulateur américain.

Ericsson : une affaire FCPA qui n’en finit pas

Quatre ans après le règlement FCPA Ericsson, à hauteur de $1 milliard, de nouveaux développements montrent que l’entreprise de télécommunications suédoises peine à tourner la page de son scandale de corruption.

Signé en 2019, cet accord de prosécution différé (DPA) est venu régler des poursuites liées à un vaste stratagème de corruption : de 2000 à 2016, l’entreprise a utilisé des agents et consultants tiers pour verser des pots-de-vin à des représentants gouvernementaux et pour gérer des caisses noires clandestines à Djibouti, en Chine, au Vietnam, en Indonésie et au Koweït.

Mais ce règlement n’a pas signé la fin des ennuis pour Ericsson. D’abord, en 2021, l’équipementier suédois a dû verser 80 millions d’euros en dommages-intérêts à son concurrent Nokia. Ensuite, la signature d’un DPA ne signifie pas la fin des obligations envers le DoJ (Department of Justice). En signant l’accord, l’entreprise s’engage à collaborer avec la justice américaine, notamment en fournissant toutes les preuves requises par le DoJ. Or en mars 2022, ce dernier a notifié Ericsson que l’entreprise n’avait pas respecté ses engagements de 2019, en refusant à plusieurs reprises de coopérer pleinement avec les autorités.

Selon le DoJ, Ericsson a enfreint son DPA en ne divulguant pas honnêtement toutes les informations et preuves dont l’entreprise disposait sur ses stratagèmes à Djibouti et en Chine. Qui plus est, Ericsson n’a pas rapidement déclaré et divulgué les preuves et les allégations de potentielles violations FCPA liées à ses activités commerciales en Irak. Anticipant les retombées futures de ces accusations, Ericsson avait choisi de révéler cette information au grand public.

Début mars 2023, soit un an après cette annonce, le verdict est tombé : le DoJ a annoncé qu’Ericsson paiera une sanction pénale de plus de $206 millions pour la violation du DPA de 2019. En vertu de ce nouvel accord, Ericsson sera également tenu de purger une période de probation jusqu’en juin 2024 et a accepté une prolongation de sa surveillance par un contrôleur de conformité indépendant pendant un an.

Notons que cette sanction ne concerne que la violation des obligations d’Ericsson prévues par son DPA, et ne met pas un terme au volet irakien de l’affaire. Là encore, Ericsson n’est pas non plus au bout de ses peines : l’entreprise est poursuivie en justice par plus de 500 citoyens américains l’accusant d’avoir financé des actes terroristes commis par al-Qaïda et l’État islamique.

Glencore, de multiples fronts judiciaires

Ericsson n’est pas la seule à avoir attisé les foudres du régulateur américain pour son manque de coopération. La société minière suisse Glencore, condamnée en 2022 à régler $1,1 milliard (dont $700 millions d’amende FCPA) pour des faits de corruption et de fraude aux matières premières en République Démocratique du Congo (RDC) et au Nigéria, fait l’objet d’une surveillance accrue depuis que le DoJ a élargi son enquête à des transactions qui n’avaient pas été initialement examinées.

Au total, Glencore aurait versé plus de $100 millions en pots-de-vin à des fonctionnaires africains pour obtenir des contrats, et parfois pour éviter des poursuites judiciaires locales. Selon le DoJ, ces agissements avaient lieu avec la complicité de hauts-dirigeants de l’entreprise. Ce fait a été retenu dans le calcul de l’amende FCPA, aux côtés d’autres facteurs pénalisants comme la faiblesse de son dispositif anticorruption et le manque de coopération à l’enquête américaine. Le règlement prévoyait également une surveillance, pendant trois ans, de l’amélioration de son dispositif de conformité par deux responsables conformité indépendants.

Cependant, suite à la signature du règlement, le DoJ a décidé d’intensifier sa surveillance après avoir estimé que Glencore avait trop tardé à fournir des preuves pertinentes et à prendre des mesures correctives appropriées à l’encontre des coupables. Pour favoriser cette surveillance, la Suisse a autorisé pour la première fois un État étranger à intervenir directement sur son sol. Pendant trois ans, les moindres faits et gestes de Glencore seront ainsi scrutés par la justice américaine.

Mais la justice américaine n’est que l’un des nombreux fronts judiciaires auxquels Glencore doit faire face. En novembre 2022, la filiale britannique du géant minier a été condamnée à régler $314 millions (£281 millions) pour la même affaire africaine. C’est la plus lourde sanction d’entreprise jamais imposée par le Royaume-Uni en vertu du UK Bribery Act de 2010. Puis, en décembre, Glencore a signé un accord avec la RDC, prévoyant de verser $180 millions de compensation à la justice congolaise.

Coopération aux enquêtes : carotte et bâton

Ces récents développements illustrent l’accent grandissant placé par les autorités américaines sur la coopération des entreprises à leur propre enquête. Cette approche, qui vise à responsabiliser les entreprises fautives et à faciliter le travail d’enquête du DoJ, repose sur une double stratégie d’incitation et de dissuasion.

Une entreprise qui adopte un comportement exemplaire en divulguant elle-même des inconduites, et en coopérant pleinement à l’enquête, peut ainsi être récompensée. On l’a vu en 2022 avec le courtier en assurance Jardine Lloyd Thompson, dont la coopération a été jugée suffisamment satisfaisante pour que le DoJ abandonne les poursuites FCPA à son encontre. Ce cas de figure s’est reproduit avec le groupe d’aéronautique français Safran, dont les poursuites ont également été annulées pour une similaire « bonne conduite » suite à des malversations commises par des filiales antérieurement à leur rachat par le motoriste. Les deux entreprises ont ainsi dû restituer les « biens mal acquis » (« disgorgement »), mais sans écoper d’amendes supplémentaires.

D’un autre côté, la sévérité des peines réservées aux entreprises qui, comme Ericsson et Glencore, ne coopèrent pas assez aux yeux du régulateur américain, peut être interprétée comme un avertissement envoyé aux entreprises qui n’adoptent pas le comportement attendu par le DoJ.

En effet, pour Kenneth Polite, procureur général adjoint du DoJ, cette nouvelle sanction Ericsson est l’occasion de faire passer un message : « Les entreprises doivent être averties que nous examinerons de près leur conformité à toutes les conditions des accords de résolution d’entreprise et qu’il y aura de graves conséquences pour celles qui ne respecteront pas leurs engagements. ».

Toute coopération jugée insuffisante pourra donc être un motif de violation du DPA, et donner lieu à de nouvelles sanctions. Pour les entreprises du monde entier, Ericsson et Glencore peuvent donc servir de mise en garde : une entreprise sanctionnée pour corruption peut se retrouver piégée dans une spirale depoursuites judiciaires si elles n’adoptent pas un comportement exemplaire.

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