Responsabilité pénale des sociétés absorbantes : une véritable révolution

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La décision de la Cour de Cassation opère un véritable renversement de jurisprudence

Dans une opération de fusion-acquisition, des faits antérieurs de corruption au sein de l’entreprise cible peuvent fortement affecter le succès de l’opération. Ceci était déjà vrai début 2020 lorsque l’Agence Française Anticorruption (AFA) publiait son guide de bonnes pratiques anticorruption pour les fusions-acquisitions sur lequel nous reviendrons plus bas. Si une entreprise acquise était inculpée pour des faits de corruption, la réputation et l’intégrité financière de l’entreprise acheteuse s’en trouvaient souvent affectées.

Mais une décision de justice récente a surtout donné une nouvelle ampleur aux enjeux d’une opération de fusion : le 25 novembre 2020, la Cour de cassation a rendu un arrêt qui bouleverse les principes fondamentaux de la responsabilité pénale des entreprises. Désormais, une entreprise peut être tenue pénalement responsable des actes passés d’une société qu’elle vient d’absorber.

Quelle était la responsabilité de l’acquéreur avant ce nouvel arrêt de la Cour de Cassation ?

Il est avant tout nécessaire de comprendre que la responsabilité légale de la société acquéreuse ou absorbante varie selon le type d’opération. En cas d’acquisition, la cible reste une personne morale distincte. Elle seule peut être tenue responsable de faits antérieurs. Le cédant peut d’ailleurs s’autodénoncer pour devancer une éventuelle dénonciation par l’acquéreur.

Il en va différemment des cas de fusion/absorption, car l’entreprise absorbée disparaît juridiquement : c’est donc l’entité-mère qui répond de faits de corruption avérés, même s’ils sont commis avant l’absorption. Une sanction peut donc alors être infligée à la société-mère. Cependant, avant cet arrêt de la Cour de cassation, le transfert de responsabilité ne concernait que la responsabilité civile, qui était transmise à l’absorbant. Toute dette issue de sanctions, par exemple, faisait partie du patrimoine transmis par la société absorbée à l’absorbant.

Mais sur le plan pénal, la règle opérante jusqu’ici était que « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » (article 121-1 du Code pénal). Ce principe empêchait qu’une société absorbante soit condamnée pénalement pour des faits commis par une autre société avant qu’elle soit absorbée. Ainsi, lorsqu’une société était impliquée dans une affaire de corruption ou de fraude, une opération de fusion-absorption pouvait annuler les charges à son encontre – car le responsable des faits était alors considéré comme « défunt ».

C’est sur ce point que cet arrêt de la Cour de cassation change la donne.

Ce qui change : désormais, l’acquéreur peut être tenu responsable pénalement

La Cour a considéré que cette conception des fusions-absorptions relèvait d’une approche « anthropomorphique », car elle assimile la situation d’une personne morale dissoute à celle d’une personne physique décédée. Or ce principe ne correspond pas à la réalité économique. Lors d’une absorption, l’entreprise n’est pas réellement liquidée : le patrimoine est transmis à la société absorbante, les actionnaires deviennent actionnaires de la nouvelle entité, et les contrats de travail sont poursuivis. En un mot, la Cour a estimé que puisque l’activité économique de la société absorbée n’est pas interrompue, elle ne peut donc être assimilée à une personne physique décédée.

En outre, il s’agissait aussi d’aligner le droit français avec le droit européen, qui insiste sur la nécessité d’une plus grande distinction entre personnes physiques et personnes morales.

Le transfert de responsabilité pénale reste toutefois soumis à certaines limitations. D’abord, il concerne exclusivement les fusions-absorptions impliquant des sociétés anonymes ou des sociétés par actions simplifiées (SAS). Ensuite, il se limite aux peines d’amendes et de confiscation – cette limitation est imposée par le fondement même du transfert de responsabilité pénale, qui se justifie par la transmission du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante.

Cependant, la Cour va plus loin : s’il est démontré que la fusion a eu pour objectif de « faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale », alors le transfert de responsabilité pénale ne sera plus limité aux amendes et aux confiscations. Si une telle allégation est prouvée, la fusion sera alors considérée comme une fraude à la loi, et la responsabilité pénale intégrale de la société absorbante peut être engagée. Restent à déterminer les critères qui serviront à distinguer les opérations frauduleuses des opérations licites – la Cour ne s’est pas encore prononcée sur ce point.

Cette décision a été rendue dans le cadre d’une affaire concernant l’incendie en 2002 d’entrepôts de la société d’archivage Intradis, absorbée en mars 2017 par la société Iron Mountain. À l’issue de cette décision, ce principe s’applique à toutes les fusions, sauf celles conclues avant la date de l’arrêt, le 25 novembre 2020.

Comment s’assurer de l’intégrité d’une société dont on envisage l’absorption ?

Pour une entreprise qui envisage l’absorption d’une autre entité, de nouveaux risques sont donc à prendre en compte : si l’on découvre des actes illégaux commis par l’entreprise absorbée avant la fusion-absorption, c’est l’opération elle-même qui risque d’être soupçonnée de constituer une fraude.

Il est donc plus que jamais essentiel de savoir dans quoi on s’engage. Et en la matière, les vérifications prônées par l’AFA sont un bon moyen d’appréhender les risques présentés par la société ciblée avant l’opération.

Pour mener ses vérifications, l’entreprise désigne un responsable qui pilote la collecte d’informations (questionnaires, entretiens, recherches…). Avant le signing, cette personne doit en priorité établir une cartographie des risques à l’aide de toutes les informations disponibles : activités, structure actionnariale, dirigeants et bénéficiaires, liens avec des agents publics, dispositif anticorruption, affaires ou sanctions en cours… Si le cédant refuse de communiquer certaines informations, une lettre d’intention peut formaliser la volonté de mener l’opération à terme, et protéger les deux parties.

Entre le signing et le closing, l’AFA suggère d’approfondir l’étude des tiers à risque (clients, fournisseurs, intermédiaires), les contrôles comptables sur les opérations à risque (cadeaux, sponsoring…) et le dispositif d’alerte de la cible.

Et après les vérifications ?

Si l’opération est confirmée, l’acquéreur doit alors intégrer ou adapter le dispositif de la cible. Un audit complémentaire peut aider à identifier les défaillances à corriger.

Mais si des soupçons sont confirmés, il faut prendre des mesures au plus vite, comme des procédures disciplinaires contre les salariés impliqués. Si la dénonciation des faits n’est pas obligatoire, elle peut permettre d’apurer la situation pénale de la société grâce à une Convention Judiciaire d’Intérêt Public. Une CJIP peut imposer une amende d’intérêt public et un programme de mise en conformité ; mais elle n’est pas un jugement de condamnation, et n’exclut pas l’entreprise des marchés publics français.

Dans les deux cas, ces vérifications permettent donc à l’acquéreur de mieux anticiper les risques de l’opération, et les éventuelles dépenses liées à l’intégration de la cible dans son dispositif anticorruption. Plus généralement, suite à ce revirement de jurisprudence, la réalisation d’un audit préventif va probablement devenir une condition sine qua non pour toute société dont l’absorption est envisagée. La Cour elle-même le recommande implicitement dans la note explicative qui accompagne sa décision : « rien n’empêche la société absorbante de faire effectuer avant la fusion un audit détaillé de la situation économique et juridique de la société à absorber pour obtenir […] une vue plus complète des obligations de cette société ». Plus que jamais, savoir correctement évaluer l’intégrité des tiers est donc un enjeu de taille pour les entreprises.

Sources

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