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Lanceurs d’alerte : protection renforcée et nouveaux risques pour les entreprises
Après plusieurs années de débat sur leur statut, la loi française sur la protection des lanceurs d’alertes a été promulguée le 21 mars 2022. Selon l’auteur du texte de loi, Sylvain Waserman, la version revue par l’Assemblée et le Sénat aura un impact supérieur à la dispositive européenne dont elle est issue, en faisant ainsi « le texte le plus protecteur d’Europe ».
Une protection juridique longtemps attendue
Désormais, le lanceur d’alerte bénéficie du statut de « facilitateur », avec une protection renforcée et étendue aux personnes physiques et morales à but non lucratif en lien avec le lanceur d’alerte.
En principe, cette loi devrait faciliter le signalement d’inconduites permettant au lanceur d’alerte de contourner d’éventuelles pressions en interne et lui garantissant une protection juridique face à de potentielles représailles. Le texte liste un grand nombre de faits susceptibles d’être considérés comme des mesures de représailles : licenciement, refus de promotion, harcèlement, transfert de fonction, discrimination…
La radicalité de cette loi a été largement saluée, à l’heure où de nombreux lanceurs d’alertes restent trop peu protégés face aux menaces résultant du signalement réalisé. Fin 2021, l’engouement pour ce sujet a par exemple été ravivé suite au licenciement d’une salariée par Thalès, considéré comme des représailles post-dénonciation par la Défenseure des droits, mais pas par la Cour d’appel.
Au-delà de la protection juridique, le lanceur d’alerte pourra également bénéficier d’un soutien financier pour ses frais de justice, ou lorsque sa situation financière s’est dégradée du fait de son nouveau statut.
Des moyens de défense limités face au risque d’alertes infondées
Cependant, avec cette protection considérablement élargie, on peut d’ores et déjà anticiper certaines dérives potentielles, comme celle de voir des employés indûment briguer le statut mieux valorisé et mieux protégé de lanceur d’alerte.
Par exemple, un employé récemment licencié décide de riposter par des allégations de corruption ou de fraude au sein de l’entreprise. Ou encore : craignant d’être bientôt licencié, un salarié signale une conduite douteuse afin de s’assurer qu’en cas de licenciement, il pourra prétendre au statut de lanceur d’alerte.
Dans de telles situations, les entreprises risquent de se trouver démunies quant à la conduite à adopter, et ce d’autant plus qu’elles ont seulement jusqu’au 1er septembre 2022 pour s’y préparer. En un mot : comment se défendre face au détournement potentiel de cette nouvelle loi, le risque d’utilisations abusives ou excessives des alertes par exemple ?
Une protection non proportionnée à l’importance de l’inconduite
Le champ des alertes protégées a en effet été considérablement élargi, alors qu’il était limité aux violations « graves et manifestes ». Cette condition, qui visait à apporter une réponse proportionnée à l’inconduite dénoncée, a été supprimée par la nouvelle loi, alors même qu’elle subsiste dans le texte européen.
Cela peut ouvrir le champ à des utilisations excessives, limitant les moyens de défense de l’entreprise. Toute dénonciation d’une « violation de la loi ou du règlement », même de faible importance, peut fonder une demande du statut de lanceur d’alerte. Qu’est-ce qui empêcherait alors un employé, récemment licencié pour faute grave, de dénoncer une micro-violation sans lien avec son licenciement, afin de bénéficier d’une protection juridique avantageuse ?
Le texte ne le précise pas. Il est donc à souhaiter que la justice prenne les précautions nécessaires pour refuser la protection juridique à toute dénonciation infondée ou abusive. Le Défenseur des droits jouera sans doute un rôle de « filtrage » décisif, puisqu’il sera chargé de conseiller, protéger, et orienter les lanceurs d’alerte vers des autorités compétentes.
Le poids du canal externe au coeur du débat
Avec la loi Sapin 2, une alerte pouvait être signalée en trois temps : si l’alerte interne avait échoué pour une quelconque raison, le dénonciateur pouvait saisir l’alerte en externe (auprès d’une autorité compétente), puis, en dernier recours, divulguer publiquement les faits.
Désormais, le lanceur d’alerte n’est donc plus obligé de signaler l’affaire en interne avant toute démarche extérieure : il peut choisir de se tourner d’emblée vers la justice, voire effectuer une divulgation publique.
Certes, quelques gardes-fous ont été mis en place : l’alerte publique ne pourra être utilisée que si un signalement externe n’a pas été traité dans un certain délai, s’il crée un risque de représailles ou n’a aucune chance d’aboutir, ou en cas de « danger grave et imminent » pour l’intérêt général. Mais le caractère vague de ces conditions ouvre la porte à des utilisations abusives : pour refuser le déclenchement d’une alerte publique, il faudrait pouvoir prouver au préalable qu’il n’y a pas de dangers de représailles ni de menace à l’intérêt général.
Ce progrès pour la libération de la parole des lanceurs d’alerte fait donc aussi peser certains risques sur les entreprises, qui n’auront même pas forcément connaissance de l’alerte signalée. Dans un tel cas de figure, elles ne seront pas en mesure de vérifier l’exactitude des faits pour se préparer à d’éventuelles poursuites.
Un enjeu réputationnel fort
Mais l’enjeu est aussi réputationnel. La sensibilisation accrue du grand public aux cas de corruption, conjuguée à la viralité médiatique, risque de faire peser une aura de culpabilité sur l’entreprise avant même que les faits aient été étudiés par la justice.
Une fois l’affaire ébruitée, l’entreprise n’ayant pas eu la possibilité d’apporter d’éléments pour confirmer ou infirmer les accusations, sa seule ligne de défense possible serait de mettre en cause la parole du lanceur d’alerte. Une position délicate, voire contre-productive, car en cas de « parole contre parole », l’opinion publique a tendance à voter David contre Goliath. Le temps que la justice statue, ce rapport de force peut suffire à entacher la réputation de l’entreprise, quand bien même l’alerte serait infondée.
Dans ce contexte, que peuvent faire les entreprises pour se préparer à l’entrée en vigueur de la loi le 1er septembre ? D’abord, prendre au mieux connaissance en amont des nouvelles dispositions légales concernant les lanceurs d’alerte. Ensuite, un mécanisme d’alerte interne bien huilé peut protéger l’entreprise de tels abus… Et la protéger, tout court. En effet, plus les employés se sentent en confiance pour signaler des inconduites au moment où elles surviennent, plus l’entreprise a de chances d’éradiquer la corruption ou la fraude avant que la situation ne dérape.
Or justement, plus le mécanisme montre son efficacité, plus il y a de chances que les employés aient confiance en la capacité de l’entreprise à régler l’inconduite, limitant ainsi la tentation de la dénoncer immédiatement en externe.
Sources
- Legifrance : LOI n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte
- Le Monde : « Protéger l’alerte et le lanceur d’alerte est un enjeu de société majeur »
- Skan 1 Outlook : Une nouvelle enquête du PNF sur Thales ravive le débat sur les lanceurs d’alerte
- Sylvain Waserman : Textes des propositions de loi sur les lanceurs d’alerte
- Ethicsgeneration.org : Sondage « Les Français et la corruption »
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Le contenu de cette publication n’est fourni qu’à titre de référence. Il est à jour à la date de publication. Ce contenu ne constitue pas un avis juridique et ne doit pas être considéré comme tel. Vous devriez toujours obtenir des conseils juridiques au sujet de votre situation particulière avant de prendre toute mesure fondée sur la présente publication.
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