Une nouvelle enquête du PNF sur Thales ravive le débat sur les lanceurs d’alerte

enquête du PNF sur Thales ravive le débat sur les lanceurs : soupçons de corruption et de trafic d'influence
Le débat sur les lanceurs d’alerte en France est relancé par la nouvelle enquête sur THALES

Fin 2020, des soupçons de « corruption » et de « trafic d’influence » ont conduit le Parquet National Financier (PNF) à lancer une enquête à l’encontre de plusieurs cadres dirigeants de Thales, le groupe français spécialisé dans l’aérospatiale, la défense, la sécurité et le transport terrestre.

Des soupçons relancés suite au licenciement d’une ex-salariée

L’enquête concerne des faits intervenus en 2017 et relatifs au transfert d’un ancien cadre du groupe au sein de l’Organisation des Nations Unies, l’un des clients de Thales.

Avant d’être confirmée par le PNF, la nouvelle de cette enquête avait été diffusée par La Lettre A. Selon cette publication, le salarié est soupçonné « d’avoir rejoint l’organisation internationale grâce à sa casquette de réserviste tout en conservant sa rémunération versée par Thales, sans en informer l’ONU, son nouvel employeur ».

Le lettre confidentielle ajoute également qu’« après s’être porté candidat à un nouveau poste aux Nations Unies en 2018, il aurait demandé un pécule en contrepartie des informations utiles au business de Thales qu’il apporterait une fois en poste ».

Ces soupçons sont notamment fondés sur plusieurs signalements émis en interne par une ancienne responsable export du groupe en 2019. Mais suite à ces signalements, l’alerte a été classée sans suite par Thales ; un an plus tard, en mai 2020, l’ancienne cadre a été licenciée.

C’est ce licenciement qui a éveillé des soupçons concernant le traitement de ces alertes chez Thales, et conduit l’Agence Française Anticorruption (AFA) à signaler la situation au PNF.

Thales défend sa décision de classer l’alerte

De son côté, le groupe a annoncé à l’AFP qu’il lancerait un recours contre l’ancienne employée pour ses « allégations mensongères », invoquant la solidité du traitement des alertes au sein de Thales.

L’entreprise revendique effectivement d’avoir mis en place un dispositif exemplaire en matière de prévention et détection de la corruption. Après avoir vu sa réputation entachée par plusieurs affaires de corruption (l’affaire des frégates de Taïwanaffaire du tramway de Niceaffaire Zuma…), l’entreprise a revendiqué un véritable tournant vers une culture de la compliance. Elle revendique d’ailleurs aujourd’hui être la seule entreprise de son secteur à avoir obtenu la certification ISO 37001, la norme qui estampille les « systèmes de management anticorruption ».

Et en effet, les efforts menés semblent réels. Sur son site internet, le groupe communique sur les composantes de son dispositif anticorruption : une organisation « Conformité » s’appuyant notamment sur 18 Chief Compliance Officers et plus de 100 Compliance Officers ; une série de codes de conduite à destination de ses salariés, filiales, partenaires et fournisseurs… Et un  dispositif d’alerte interne solide, permettant de signaler des conduites contraire à la loi et au code d’éthique du groupe.

Pour donner l’alerte, un employé dispose de deux canaux : il peut informer directement sa hiérarchie, ou utiliser « Thales Alert Line », une plateforme numérique permettant de signaler une inconduite de manière anonyme. Toute personne peut y effectuer un signalement, qu’elle soit interne ou externe au groupe Thales. En principe, le signalement est ensuite étudié par un Comité de Suivi des Alertes dans un délai maximal de 15 jours.

Or selon la déclaration de Thales sur l’affaire en cours, ce même comité « est arrivé à la conclusion, après une étude détaillée des éléments transmis par le lanceur d’alerte au soutien de ces allégations, que celles-ci étaient sans fondement ».

Le groupe ajoute également que le licenciement de l’ancienne salariée était dû à des différends graves avec sa hiérarchie, et qu’il « n’est aucunement lié au statut de lanceur d’alerte, ni à l’alerte évoquée ». Pour appuyer son propos, il rappelle que cette conclusion a été confirmée par Conseil des prud’hommes de Nanterre en octobre 2020, puis par la Cour d’appel de Versailles en septembre 2021. La Cour d’appel a en effet considéré que ce licenciement ne constituait pas un « trouble manifestement illicite » – en  d’autres termes, que le licenciement n’était pas lié à l’alerte.

Lanceur d’alerte : un statut encore ambivalent

Mais pour plusieurs associations, la conclusion des tribunaux est loin de prouver que l’ex-salariée a été licenciée en bonne et due forme.

Parmi elles, la Maison des lanceurs d’alerte (MLA) a élevé la voix afin de dénoncer « une disproportion flagrante entre les nombreux éléments matériels présentés par la lanceuse d’alerte et leur absence dans les motivations de l’arrêt ». L’association, qui milite pour une plus grande protection des lanceurs d’alertes, accuse la Cour d’appel de s’être appuyée quasi-exclusivement sur les déclarations du groupe Thales lui-même, et notamment les conclusions de son comité d’éthique.

Cet avis est partagé par la Défenseure des droits, qui avait alors considéré que Thales n’avait fourni aucun élément pour montrer que les allégations étaient fausses, ou que la situation avait été régularisée. La Défenseure des droits avait également jugé que le licenciement constituait des représailles directes à cette dénonciation.

Cette situation illustre une certaine ambivalence actuelle de la justice française vis-à-vis des lanceurs d’alertes : malgré la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte de l’ex-salariée, cette dernière n’a pas obtenu gain de cause suite à son licenciement, et ce malgré le soutien de la Défenseure des droits.

Mais cette situation pourrait bien changer dans les mois à venir, puisque la directive européenne du 25 septembre 2019 doit être transposée avant la fin de l’année 2021, sur la base de deux propositions de loi (une loi ordinaire, et une loi organique visant à modifier le statut du Défenseur des droits) portées par le député Sylvain Waserman

Que va changer la transposition de la directive européenne sur les lanceurs d’alerte ?

En France, le statut de lanceur d’alerte a été intégré à la loi en 2013, puis élargi en 2016 avec l’article 6 de la loi Sapin 2.

À l’heure actuelle, sur le plan civil, la protection des lanceurs d’alerte repose sur le même principe que celui de non-discrimination : l’article 1132-3-3 du Code du travail interdit toute mesure discriminatoire (y compris, donc, un licenciement) à l’encontre d’un salarié ayant signalé une alerte. Par ailleurs, l’article 122-9 du Code pénal exempte de responsabilité pénale l’auteur de l’alerte « dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte ».

D’abord, la transposition de la directive sur les lanceurs d’alerte mettrait fin à certaines limites de ces définitions. Le statut de lanceur d’alerte pourrait être élargi à tout individu, y compris extérieur à l’organisation dénoncée. La protection pourrait également être étendue à toute tierce personne ayant aidé le lanceur d’alerte, comme des collègues ou des proches, ainsi que tout « facilitateur » ayant aidé à effectuer le signalement. Certaines organisations syndicales revendiquent d’aller plus loin, par exemple en incluant les personnes morales – et notamment les syndicats – dans cette définition.

Les deux propositions de loi accordent aussi une part importante à la protection des lanceurs d’alerte contre les représailles, qui seraient considérées comme un délit puni de 3 ans d’emprisonnement. La définition des représailles serait élargie, incluant les cas déjà compris dans la loi (licenciement, sanction…), mais aussi des situations comme la modification des horaires de travail, le harcèlement ou l’atteinte à la réputation de la personne.

Enfin, contrairement à la loi actuelle, la directive ne définit pas le lanceur d’alerte par le motif du désintéressement et de la bonne foi ; si le texte était ainsi transposé, l’existence d’un « motif raisonnable » de croire aux faits dénoncés pourrait suffire à qualifier un lanceur d’alerte.

Dans l’ensemble, malgré des progrès réels, la question des lanceurs d’alerte resterait donc abordée sous l’angle de la protection juridique. À titre de comparaison, les États-Unis ont opté pour une stratégie nettement plus incitative avec le Whistleblower Program, qui propose une rétribution à ceux qui dénoncent des infractions aux lois américaines. Depuis fin 2020, la SEC a récompensé 53 lanceurs d’alerte, pour une somme totale d’environ $339 millions.

L’idée de récompenser les lanceurs d’alerte séduit aussi en Europe – comme on pourra le lire dans cette tribune de Mark Worth, le directeur exécutif du European Center for Whistleblowing Rights. Mais pour l’heure, l’Europe et la France semblent plus enclines à protéger les lanceurs d’alerte qu’à les récompenser.

Sources

Enquête sur Thalès

Lanceurs d’alertes

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