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Affaire SURYS : une CJIP historique qui redéfinit la lutte anticorruption internationale

Le 3 septembre 2025, le tribunal judiciaire de Paris a validé une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) impliquant SURYS, spécialiste français de l’authentification documentaire. Cette affaire illustre parfaitement les enjeux complexes de la compliance internationale et les nouvelles approches judiciaires face à la corruption transnationale.
Un dispositif novateur issu de la loi Sapin 2
Introduite en France par la loi Sapin II du 9 décembre 2016, la Convention Judiciaire d’Intérêt Public représente une innovation majeure du droit pénal français. Cet instrument transactionnel propose aux personnes morales une alternative aux poursuites pénales classiques pour les infractions de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment et infractions connexes.
Le mécanisme repose sur un principe simple mais puissant : plutôt que de subir un procès pénal avec ses aléas et sa publicité, l’entreprise peut négocier directement avec le Parquet National Financier les conditions de sa mise en conformité. En contrepartie du respect scrupuleux de ses engagements, l’action publique est définitivement éteinte. Cruciale distinction : la CJIP n’équivaut ni à une reconnaissance de culpabilité ni à une condamnation et n’apparaît pas au casier judiciaire.
Cette approche pragmatique permet aux autorités de concentrer leurs efforts sur la réparation des préjudices et la prévention des récidives, tout en offrant aux entreprises concernées une voie de sortie honorable. Pour les multinationales, elle évite également les complications liées aux poursuites pénales à l’international, particulièrement sensibles dans les marchés publics.
Des malversations aux rouages complexes
SURYS, anciennement connue sous le nom d’Hologram Industries, est une entreprise française reconnue pour son expertise dans les hologrammes de sécurité et l’authentification de documents. Détenue à 100% par IN Groupe depuis 2019, l’entreprise s’est retrouvée il y a 4 ans au cœur d’une enquête internationale complexe, qualifiée par les autorités de « dossier international pas comme les autres » et « chargée d’émotion ».
L’enquête du Parquet National Financier (PNF), menée en étroite collaboration avec le Bureau National Anticorruption d’Ukraine (NABU), a débuté fin 2021 dans un timing pour le moins dramatique : les perquisitions ont commencé juste avant l’invasion russe en Ukraine en février 2022. Malgré ce contexte de guerre, la coopération ukrainienne a été saluée pour sa qualité, les procureurs et enquêteurs ukrainiens maintenant leur engagement en alternant entre le front et l’investigation.
Au cœur de l’affaire, on retrouve un mécanisme de surfacturation assez élaboré impliquant trois acteurs principaux. SURYS fournissait ses solutions d’authentification à Polygraph Combine Ukraina (PCU), une entreprise publique ukrainienne spécialisée dans les documents d’identité. Entre ces deux entités s’interposait OÜ Feature, une société estonienne dirigée par des personnes proches des dirigeants de PCU.
La mécanique financière était particulièrement efficace. Entre 2014 et 2018, SURYS facturait ses produits 6 millions d’euros à OÜ Feature, qui les refacturait ensuite 18 millions d’euros à PCU, soit un coefficient multiplicateur de trois. Ce schéma s’est reproduit de 2018 à 2022 avec une ampleur encore plus importante : 7 millions d’euros facturés par SURYS devenaient 22 millions d’euros pour PCU.
Selon Peimane Ghaleh-Marzban, président du tribunal judiciaire de Paris ayant validé l’accord, ce mécanisme permettait de « rétrocéder des commissions à des personnes qui n’auraient pas dû en avoir ». Pour le PNF, il s’agissait clairement de blanchiment de détournements de fonds publics, SURYS ayant cédé à un acte de corruption d’agent public étranger.
L’état ukrainien indemnisé
La CJIP signée le 8 juillet 2025 impose à SURYS des obligations d’une ampleur significative. L’amende d’intérêt public s’élève à 18,36 millions d’euros, un montant calculé en proportion des avantages tirés des manquements constatés. Le paiement s’échelonne sur trois versements : 4 millions d’euros dans les dix jours suivant la validation définitive, 7 millions d’euros avant le 15 janvier 2026, et les 7,36 millions restants avant le 15 juin 2026.
Mais l’aspect le plus innovant de cette CJIP réside dans l’indemnisation directe de l’État ukrainien. SURYS versera 3,38 millions d’euros à l’Ukraine au titre des pertes de recettes fiscales subies. Cette mesure, qualifiée de « rarissime » dans ce type de procédure, a été saluée par les procureurs du PNF comme un acte de « justice » rendu à l’État ukrainien, considéré comme la véritable victime de ce marché corrompu.
La convention prévoit également la mise en place d’un programme de conformité ambitieux. Pendant trois ans, l’Agence française anticorruption (AFA) contrôlera l’application des mesures et procédures anti-corruption au sein de SURYS. Cette surveillance s’étendra même aux autres filiales d’IN Groupe, qui soumettra l’ensemble de ses participations à des audits réguliers.
Cette affaire va au-delà du simple cadre judiciaire pour revêtir une dimension géopolitique. Dans un contexte où l’Ukraine lutte pour sa survie, la décision d’indemniser directement l’État ukrainien peut-être considéré comme un signal politique fort. Elle démontre que la justice française adapte ses outils aux réalités contemporaines, transformant la lutte anticorruption en une sorte d’instrument de solidarité entre états souverains.
La coopération exemplaire entre autorités françaises et ukrainiennes, maintenue malgré la guerre, illustre également cette nouvelle approche. Les enquêteurs ukrainiens, alternant entre missions judiciaires et service au front, incarnent un dévouement à la justice qui force le respect et justifie cette réparation exceptionnelle.
Certaines leçons à tirer
L’affaire SURYS offre des enseignements précieux pour les dirigeants d’entreprise et les professionnels de la compliance. Elle souligne d’abord l’importance cruciale des due diligences lors des opérations de M&A. Les dirigeants actuels de SURYS, représentés par Jean-Laurent Donato, ont déclaré avoir hérité de cette situation sans avoir été informés par les anciens actionnaires lors de l’acquisition. IN Groupe aurait détecté les anomalies et cessé toute transaction avec OÜ Feature seulement un mois avant les perquisitions du PNF.
Cette chronologie révèle la valeur des dispositifs de détection précoce et des programmes d’audit continu. Elle démontre également que la coopération proactive avec les autorités peut influencer favorablement l’issue d’une enquête, la CJIP permettant d’éviter des poursuites pénales plus lourdes.
Pour les professionnels de la compliance, cette affaire confirme l’importance de surveiller attentivement les circuits de sous-traitance et d’intermédiation commerciale, particulièrement dans les zones géopolitiquement sensibles. Elle rappelle que les risques de corruption peuvent se nicher dans des montages apparemment légitimes mais économiquement aberrants.
Un avant et un après
Cette CJIP pourrait marquer un tournant dans l’évolution de la justice économique française. L’innovation que constitue la réparation directe aux états victimes ouvre la voie à une approche plus globale de la lutte anti-corruption, où les sanctions ne se limitent plus à punir mais cherchent aussi à réparer.
Cette évolution s’inscrit dans un contexte géopolitique où les entreprises européennes doivent naviguer entre contraintes réglementaires renforcées et tensions internationales croissantes. La capacité des autorités judiciaires à adapter leurs outils aux réalités contemporaines devient un enjeu stratégique pour préserver l’attractivité économique tout en maintenant l’exigence éthique.
L’enquête globale initiée par le PNF le 17 décembre 2021 n’étant pas encore terminée, d’autres développements pourraient enrichir cette jurisprudence naissante. Pour SURYS, cette CJIP marque la fin d’un chapitre judiciaire, mais aussi le début d’une nouvelle ère sous surveillance renforcée, où la conformité devient un impératif stratégique autant qu’éthique.
Cette affaire illustre finalement comment la justice économique française réinvente ses outils face aux défis du XXIe siècle, transformant les sanctions en outils de diplomatie judiciaire et de solidarité internationale.
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Le contenu de cette publication n’est fourni qu’à titre de référence. Il est à jour à la date de publication. Ce contenu ne constitue pas un avis juridique et ne doit pas être considéré comme tel. Vous devriez toujours obtenir des conseils juridiques au sujet de votre situation particulière avant de prendre toute mesure fondée sur la présente publication.
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