Dans le monde anglo-saxon, l’essor des lois anticorruption préventives sur les traces de Sapin 2

Sur les traces de Sapin 2, l’essor des réglementations préventives anticorruption dans le monde anglo-saxon
Les lois anticorruption préventives touchent désormais à la sphère d’influence du Commonwealth

Depuis une dizaine d’années, un outil juridique majeur a émergé dans la lutte contre la corruption au sein des organisations publiques et privées : l’intégration de dispositifs préventifs obligatoires dans les réglementations anticorruption. Cette approche, de plus en plus répandue, impose aux entreprises la mise en place de systèmes de conformité robustes pour prévenir les pratiques corruptives. À long-terme, elle vise à promouvoir une culture de la prévention pour enrayer la corruption et réduire ses impacts négatifs sur la société : il ne s’agit plus seulement de sanctionner les crimes en col blanc, mais d’agir en amont pour empêcher leur occurrence.

Initiée par la loi Sapin 2 en France, cette démarche s’est progressivement étendue à de nombreux pays, notamment au Royaume-Uni, en Afrique du Sud et en Australie.

De la loi Sapin 2 à l’ECCTA britannique : les chefs de file de la réglementation préventive

Adoptée en 2016, la loi Sapin 2 a marqué un tournant dans la stratégie française de lutte contre la corruption. Avec cette loi, les entreprises de plus de 500 salariés avec un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’€ se sont vu imposer la création de procédures internes rigoureuses pour détecter et prévenir les actes corruptifs. Les entreprises françaises connaissent dorénavant bien ces différentes mesures obligatoires, comme le code de conduite, la cartographie des risques, l’évaluation de l’intégrité de leurs tiers, les contrôles comptables internes, le dispositif d’alerte interne ou encore la formation des salariés.

En se distinguant des régulations américaines comme le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), qui se concentraient historiquement sur la répression des infractions, la loi Sapin 2 met l’accent sur la prévention en amont. Aux États-Unis, bien que le FCPA ait initialement favorisé les négociations et les réductions de peine en échange de la reconnaissance de culpabilité, l’application de la loi a évolué pour intégrer davantage la prévention comme critère de clémence. Ainsi, les entreprises ayant mis en place des programmes de conformité solides peuvent voir leurs sanctions réduites en cas de violation. Le Ministère de la Justice (DoJ) publie chaque année des précisions sur les mesures internes qui participent aux réductions de sanctions FCPA. Fin 2023, par exemple, le DoJ a inclus les systèmes de rémunération favorisant la conformité au rang de ces mesures préventives. Un tel système peut prévoir d’intégrer l’engagement pro-conformité des salariés dans l’attribution ou la suppression des bonus, en récompensant les bonnes pratiques et sanctionnant les pratiques à risque.

Au Royaume-Uni, l’Economic Crime and Corporate Transparency Act (ECCTA) a introduit en mai 2024 une nouvelle infraction de « défaut de prévention », qui impose aux entreprises une responsabilité étendue. Contrairement à l’infraction du même nom établie en 2010 par l’UK Bribery Act (UKBA), l’ECCTA ne nécessite pas de prouver l’intention frauduleuse des dirigeants pour établir la responsabilité de l’entreprise. Il suffit de démontrer une absence de mesures préventives adéquates ayant permis à l’entreprise de bénéficier – directement ou indirectement – d’une fraude. Cette infraction, qui entrera en vigueur fin 2024, a une portée extraterritoriale, impliquant qu’une entreprise non britannique peut être poursuivie si un de ses employés commet une fraude selon la loi britannique ou vise des victimes britanniques.

Les entreprises actives dans ces pays aux lois à portée extraterritoriale (ce lien avec le pays peut se résumer à des simples transactions en dollar, dans le cas du FCPA) doivent ainsi ajuster leurs procédures pour se protéger en cas de poursuites. Sur ce point, les entreprises françaises conformes à la loi Sapin 2 ont une longueur d’avance, puisqu’elles ont déjà déployé des procédures préventives similaires – ce qui ne doit cependant pas les exonérer d’une étude approfondie des exigences spécifiques à chaque réglementation nationale.

Australie : les dispositifs préventifs au cœur de la nouvelle loi sur la corruption transnationale

En février 2024, le Parlement fédéral australien a ainsi adopté un projet de loi modifiant la législation pénale relative à la lutte contre la corruption transnationale. Ces mesures étaient attendues depuis longtemps, les gouvernements précédents ayant échoué à faire passer des projets de loi similaires lors de leurs mandats respectifs. La principale nouveauté de cette loi réside dans une nouvelle infraction, qui entrera en vigueur en septembre 2024 : l’incapacité à prévenir la corruption transnationale.

Cette nouvelle infraction introduit une notion de « responsabilité absolue » des entreprises pour les actions de leurs employés, mais aussi de leurs partenaires commerciaux, les rendant pénalement responsables même sans preuve d’intention frauduleuse. À l’instar de l’ECCTA, une entreprise peut être tenue responsable en cas d’actes de corruption de la part de ses employés ou partenaires, dès lors que l’entreprise en a tiré un avantage commercial. Cette loi crée ainsi une nouvelle responsabilité face aux actes commis par des « associés » de l’entreprise, ce qui peut inclure des tiers en relation commerciale directe, mais aussi d’autres tiers, comme des agents de douane qui commettraient une infraction de corruption au profit de la société. Les peines peuvent atteindre 31,5 millions de dollars australiens, trois fois le bénéfice indûment tiré ou 10% du chiffre d’affaires annuel de la société-mère, selon la gravité des faits.

Pour se défendre, les entreprises ne peuvent pas prouver leur ignorance des faits. Elles doivent prouver qu’elles ont mis en place des « procédures de conformité adéquates », définies par les autorités selon deux principes-clé : la proportionnalité et l’efficacité.

La proportionnalité dicte que les mesures doivent être adaptées aux risques réels auxquels l’organisation est confrontée, compte tenu de sa taille, de son secteur et terrain d’activité et de la complexité de ses opérations. L’efficacité signifie que les procédures ne doivent pas se limiter à une liste de case à cocher, mais fonctionner dans la pratique. Les directives citent notamment cinq indicateurs : une solide culture d’intégrité au sein de l’entreprise ; un engagement pro-conformité clairement démontré par l’instance dirigeante ; des professionnels de conformité à la lutte contre la corruption disposant de ressources suffisantes (l’externalisation de ces fonctions de conformité n’est pas envisagée par ces lignes directrices) ; des procédures solides d’évaluation des risques et de due diligence ; et l’utilisation prudente et appropriée des tiers.

Enfin, les entreprises ne doivent pas oublier les procédures de vigilances établies par les lois précédentes, comme la loi sur les sociétés de 2001, qui impose notamment la mise en place d’un mécanisme de signalement en interne des infractions et définit les suites à donner en cas d’infraction avérée. En intégrant toutes ces mesures préventives au cœur de sa stratégie de lutte contre la corruption, l’Australie s’aligne ainsi sur la tendance mondiale à la réglementation préventive et rejoint la tête de file de ce mouvement.

L’Afrique du Sud amende sa loi anticorruption en suivant l’exemple britannique

Cette tendance à la prévention semble particulièrement adaptée dans des pays exposés à un risque corruption élevé, comme l’Afrique du Sud, qui a atteint en 2023 son score le plus bas dans l’Indice de Perception de Corruption publié chaque année par Transparency International (classée 83ème place sur 180 pays).

Face à une corruption endémique, aggravée par la crise du Covid-19, le gouvernement sud-africain a approuvé, en avril 2024, le Judicial Matters Amendment Act (JMMA), réformant la loi de 2023 sur les questions judiciaires, qui constituait elle-même une modification de la loi de 2004 sur la prévention et la lutte contre les activités de corruption (PRECCA). La nouveauté-clé de cette réforme est l’introduction du nouvel article 34A, qui crée une nouvelle infraction de « défaut de prévention des activités de corruption ».

Cette disposition impose aux entités publiques et privées de mettre en œuvre des « procédures adéquates » pour se prémunir contre les inconduites de leurs employés ou de toute « personne associée », une notion interprétée de manière large pour inclure divers partenaires commerciaux.  Les entreprises peuvent ainsi éviter des sanctions potentielles si elles démontrent l’existence de mesures préventives suffisantes. À l’heure actuelle, ces mesures ne sont pas détaillées dans le texte de loi, et le gouvernement n’a pas encore publié de lignes directrices complémentaires. Mais comme le notent plusieurs experts juridiques de la criminalité économique en Afrique du Sud, la PRECCA ressemble à s’y méprendre à l’UKBA. Cette proximité prête à penser que l’interprétation de la loi suivra de près les principes de la loi britannique.

Les entreprises opérant en Afrique du Sud ont donc tout intérêt à s’inspirer des directives émises par les autorités britanniques. Cependant, elles doivent faire preuve de vigilance accrue dans un pays où la corruption reste souvent impunie, comme l’illustrent les difficultés rapportées par la National Prosecuting Authority (NPA). Le risque de traiter avec des partenaires commerciaux ou des intermédiaires se croyant à l’abri de toute sanction juridique est donc élevé.

Même si le succès de ces nouvelles lois reste à déterminer, les exemples du Royaume-Uni, de l’Australie et de l’Afrique du Sud illustrent ainsi une tendance du monde anglo-saxon – si ce n’est mondiale – vers une régulation accrue et préventive des pratiques anticorruption. Cette approche vise à responsabiliser les entreprises pour les actions de toutes les parties impliquées dans leur chaîne de valeur. Pour se protéger du risque d’être impliqué dans des inconduites commises à leur insu par un employé ou un tiers, les entreprises n’ont qu’une ligne de défense : investir dans des dispositifs de conformité anticorruption à toute épreuve et exercer une vigilance accrue à l’égard de leurs partenaires tiers.

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