Le Royaume-Uni relance la bataille contre la criminalité économique et financière avec sa nouvelle loi ECCTA

Royaume-Uni relance sa bataille contre la corruption avec sa nouvelle loi ECCTA
La loi ECCTA entre en vigueur alors que la lutte anticorruption semble mise à mal au Royaume-Uni

Depuis quelques années, le Royaume-Uni (RU) fait face à des critiques persistantes concernant l’efficacité de sa stratégie anticorruption, notamment en raison d’une mise en œuvre lacunaire des lois nationales contre la criminalité financière. Cette situation, exacerbée par la crise russo-ukrainienne et le rôle du RU en tant que plaque tournante de l’argent russe illicite, les allégations de corruption liées à la pandémie de Covid-19 et la démission en juin 2022 de John Penrose, « champion anticorruption » du gouvernement, culmine avec le score historiquement bas du RU dans l’Indice de Perception de la Corruption 2023 (IPC) de Transparency International.

La corruption semble ainsi gagner de nouveau du terrain au Royaume-Uni, telle un défi majeur supplémentaire que le pays cherche à relever avec sa nouvelle loi entrée en vigueur le 4 mars 2024 : l’Economic Crime and Corporate Transparency Act (ECCTA).

Royaume-Uni : une lutte anticorruption en berne

Bien que le Royaume-Uni ait instauré l’UK Bribery Act (UKBA) en 2010, considérée comme l’une des lois anticorruption les plus innovantes et rigoureuses, celle-ci peine à atteindre ses objectifs ambitieux. Le Serious Fraud Office (SFO), chargé des enquêtes et poursuites contre la corruption et la fraude, a certes emporté quelques succès récents, comme l’amende de £615 millions imposée à l’entreprise de paris en ligne Entain Plc pour des faits de corruption en Turquie. Décidée suite à un accord de poursuite différée (DPA), elle constitue la deuxième sanction pénale la plus élevée jamais imposée à une entreprise au RU. Une enquête de la National Crime Agency (NCA) a également débouché début mai sur la condamnation pour corruption de Romy Andrianarisoa (trois ans et demi de prison). L’ancienne directrice de cabinet du président malgache Andry Rajoelina avait demandé des pots de vin au groupe minier Gemfields pour sécuriser une autorisation d’exploitation à Madagascar. Pourtant, ces réussites isolées sont éclipsées par des revers notables sur le territoire britannique.

En mars 2023, le SFO a abandonné les poursuites contre trois anciens dirigeants de l’entreprise de surveillance G4S, inculpés pour leur rôle dans une fraude liée à un contrat de fourniture de services de surveillance électronique. Le SFO a en effet décidé que ces poursuites n’étaient finalement pas d’intérêt public et a abandonné l’affaire, citant des retards insurmontables et des problèmes liés à la divulgation des preuves.

Ce scénario n’est pas sans rappeler l’annulation de la condamnation de trois individus dans le cadre de l’affaire Unaoil en 2022, ou encore l’abandon des poursuites à l’encontre de deux individus liés à l’entreprise britannique de sécurité Serco Geografix en 2021. Là encore, ces condamnations ont été annulées en raison de défaillances du SFO en matière de divulgation, forçant l’organisme à renoncer aux poursuites faute de preuves admissibles.

Récemment, ces lacunes ont été corroborées par des statistiques sur la lutte anticorruption au RU depuis 2013, publiées par l’association britannique Spotlight on Corruption. Cet examen détaillé met en lumière les difficultés à traduire en justice les cadres supérieurs de grandes entreprises, qui représentent seulement 13% des individus condamnés par le SFO depuis 2013, alors que plus de 60% des affaires poursuivies étaient liées à des grandes entreprises.

Dans de nombreux cas, la condamnation des auteurs d’inconduites semble radicalement dissociée du sort réservé à leur entreprise. Entre 2013 et 2022, la FCA (Financial Conduct Authority) n’a imposé des sanctions individuelles que dans 6% des cas où elle a sanctionné des entreprises. De même, sur les 12 DPA conclus par le SFO, menant à 8 condamnations d’entreprise totalisant £1,7 milliards, seul un cadre supérieur d’une grande entreprise a été condamné.

Dans ce contexte peu enviable, l’ECCTA représente une avancée significative vers une responsabilisation plus efficace à la fois des entreprises et des individus coupables de crimes financiers.

Anti-blanchiment : l’ECCTA redéfinit les normes de transparence des sociétés

La nouvelle législation anticorruption vise également à renforcer l’efficacité des autorités britanniques via trois leviers centraux :

  1. Lutter contre le blanchiment d’argent en améliorant la transparence des informations sur les entreprises incorporées au Royaume-Uni
  2. Lutter contre la fraude grâce à une nouvelle infraction d’ « incapacité à prévenir la fraude »
  3. Faciliter la responsabilisation pénale des entreprises en cas de corruption avérée

Le volet anti-blanchiment attaque de front l’opacité qui a longtemps régi les informations sur les entreprises implantées au RU. À l’origine, la création d’une entreprise au Royaume-Uni était simple et peu coûteuse, avec un minimum d’informations à fournir et sans vérification de l’identité réelle des propriétaires. Cette opacité a facilité le blanchiment des produits de la corruption et d’autres délits économiques. 

Face à ce constat, le RU adopté en 2022 une loi sur la criminalité économique (Economic Crime Act), imposant une transparence accrue des informations publiées par les sociétés au Registre de la Companies House, qui répertorie l’ensemble des sociétés implantées au RU. L’ECCTA vient compléter cette loi avec un certain nombre de changements importants au statut de la Companies House, qui passe du statut de dépositaire passif à gardien actif du Registre des sociétés. L’institution a désormais pour mission d’améliorer la qualité des informations, plutôt que de les accepter au pied de la lettre ; elle peut également radier les entreprises frauduleuses, et dispose de capacités accrues d’enquête et de partage de données avec les forces de l’ordre. 

Cette requalification s’accompagne de nouvelles obligations pour les entreprises, comme la fourniture d’une adresse e-mail enregistrée, la mise à jour des informations précédemment données sur tout associé, et une « déclaration de confirmation » à envoyer chaque année au registre, confirmant que toutes les informations requises par la loi ont été renseignées.

Les criminels auront ainsi désormais davantage de difficultés à se cacher derrière de fausses informations sur les propriétaires réels des entreprises. Les personnes désignées comme « personnes exerçant un contrôle significatif » (PSC) sur des sociétés, ainsi que les administrateurs et certains dirigeants, sont désormais soumis à une vérification d’identité obligatoire, soit par des tiers autorisés, soit directement par la Companies House. Le fait de fournir des informations fausses ou trompeuses constituera également une infraction pénale.

En parallèle, l’ECCTA confère de nouveaux moyens d’enquête au SFO, qui pourra notamment obliger les entreprises à fournir des informations en amont d’une enquête du SFO. De quoi, peut-être, résoudre les « problèmes de divulgation » tels que ceux qui ont conduit à l’annulation des poursuites à l’encontre des dirigeants d’Unaoil, G4S et Serco Geografix.

« Incapacité à prévenir la fraude » : une nouvelle infraction pour les entreprises et les individus

Afin de lutter plus efficacement contre la fraude, l’ECCTA introduit enfin une infraction ciblant le défaut de prévention (FTP), qui rend passibles de poursuites les grandes entreprises ayant échoué à prévenir une fraude, à moins d’avoir mis en place des procédures raisonnables pour l’empêcher.  Cette disposition signifie que, pour déterminer la responsabilité d’une entreprise, les procureurs n’ont plus besoin de prouver que les dirigeants de l’entreprises avaient l’intention de commettre la fraude. Il leur suffit désormais de prouver que 1) l’entreprise n’avait pas déployé de mesures préventives suffisantes 2) la fraude a profité directement ou indirectement à l’entreprise.

L’infraction s’applique aux « grandes entreprises », qui répondent à deux des trois critères suivants : un chiffre d’affaires supérieur à £36 millions, un bilan supérieur à £18 millions, ou plus de 250 employés. Elle s’étend également aux sociétés mères et filiales cumulant ces seuils. En cas de fraude commise par un employé d’une filiale et profitant à la société mère, cette dernière peut être tenue pénalement responsable – et exposée à une amende illimitée. Notons que les individus peuvent aussi être reconnus coupables de cette infraction.

Cette orientation vise à stimuler un changement culturel et à accroître la responsabilité des entreprises face aux activités frauduleuses de leurs employés ou tiers. Simultanément, elle offre aux entreprises la possibilité de se défendre en démontrant qu’elles disposaient, au moment des faits, de procédures adéquates pour prévenir la fraude. Cette logique s’inscrit dans la lignée directe de l’UKBA, qui instauré l’infraction de « défaut de prévention » en matière de corruption et d’évasion fiscale.

Il est essentiel de noter la portée extraterritoriale de cette infraction, qui peut cibler une entreprise non-britannique dès lors qu’un employé « commet une fraude en vertu de la loi britannique ou cible des victimes britanniques ». Les entreprises étrangères opérant au RU doivent ajuster leurs procédures à cette nouvelle donne, bien que, pour les entreprises françaises, les changements ne devraient pas nécessiter une révision complète. En effet, cette focalisation sur les procédures préventives se rapproche fortement de l’esprit de la loi Sapin 2.

Cependant, l’absence de clarification sur ce qui constitue une « procédure adéquate » par les autorités britanniques suscite des interrogations. Dans l’attente de ces précisions, les entreprises peuvent s’appuyer sur la définition des procédures adéquates dans le cadre de l’UKBA, similaire à celle de la loi Sapin 2 : cartographie des risques, formation des employés, signalement interne, due diligence sur les tiers, audits des procédures internes…

Ainsi, cette nouvelle orientation met en avant l’importance croissante des dispositifs anticorruption de type « Sapin 2 » dans la défense des entreprises lors de poursuites. Cependant, une subtilité persiste : en France, ces procédures préventives sont une obligation légale, tandis qu’au Royaume-Uni, comme aux États-Unis, leur mise en place reste à la discrétion des entreprises… qui verront leur niveau d’effort récompensé – ou puni – en cas de poursuites.

Faciliter la responsabilisation des entreprises en cas d’inconduite

Enfin, le changement le plus significatif est sans doute la réforme historique de la « doctrine d’identification », le principe qui régit la manière dont les entreprises sont poursuivies au RU, pour les affaires impliquant des délits économiques. Cette règle sous-jacente au droit anglais explique en grande partie le faible nombre de DPA conclus depuis leur introduction en 2014.

En droit anglais, le principe d’identification stipule qu’une entreprise ne peut être tenue responsable d’une infraction pénale que si le comportement criminel d’un employé (ou d’un groupe d’individus) suffisamment haut placé peut être directement imputé à l’entreprise. Ainsi, pour engager la responsabilité de l’entreprise, les procureurs devaient prouver que l’auteur du crime avait à la fois l’intention de le commettre et l’autorité du conseil d’administration pour le faire – une exigence extrêmement élevée qui mettait de nombreuses entreprises hors de portée de la loi.

Cette doctrine, longtemps débattue pour les limites qu’elle imposait en matière de responsabilisation des entreprises, a désormais été ajustée pour permettre de poursuivre plus efficacement les entreprises, en particulier lorsqu’une inconduite est commise par un cadre supérieur dans le cadre de ses fonctions. Autrement dit, il n’est plus nécessaire de démontrer que l’infraction découle de « l’esprit et la volonté dirigeante » de l’entreprise, ce qui signifiait concrètement l’implication des membres du conseil d’administration dans les actes répréhensibles. L’ECCTA étend considérablement ce champ pour inclure les « cadres supérieurs » de l’entreprise, s’ils agissent dans le cadre (réel ou apparent) de leur fonction.

Selon le nouveau directeur du SFO Nick Ephgrave, cette réforme est le changement « le plus significatif en matière de responsabilité pénale des entreprises depuis des décennies », facilitant l’engagement de poursuites à l’encontre des entreprises impliquées dans des malversations financières.

La nomination de N. Ephgrave s’est également accompagnée d’une intensification des perquisitions, l’OFS ayant « franchi plus de portes d’entrée au cours des trois derniers mois qu’au cours des trois dernières années ». Ces perquisitions ont déjà donné lieu à l’ouverture de plusieurs enquêtes, notamment sur des soupçons de fraudes dans plusieurs entreprises. Enfin, N. Ephgrave a également évoqué la possibilité d’offrir des incitations financières aux lanceurs d’alertes, prenant exemple sur le modèle américain.

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