Chaque année, l’ONG Transparency International (TI) publie son Indice de Perception de la Corruption (IPC, ou encore CPI en anglais pour « Corruption Perception Index »), un baromètre incontournable qui scrute la probité dans le secteur public des pays du monde. En attribuant un score à chaque pays, sur la base d’évaluations et d’enquêtes menées auprès d’experts et de chefs d’entreprise, l’IPC met en relief les progrès et les revers des pays, qui voient leur score changer en fonction de leurs efforts anticorruption, réformes institutionnelles et pratiques de gouvernance.
L’édition 2023 ne déroge pas à la règle, affichant des résultats contrastés d’un pays à l’autre : plongée dans le classement de l’IPC, avec un focus particulier sur la position de la France dans ce panorama mouvementé.
Dans ce nouvel opus de l’IPC, la lutte contre la corruption à l’échelle mondiale semble piétiner. Pour la douzième année consécutive, plus de deux tiers des nations présentent un score inférieur à 50/100, symptomatique de graves problèmes de corruption. La moyenne mondiale stagne à 43.
Parmi les indicateurs qui composent cet indice, le volet « État de droit » accuse la détérioration la plus importante. Cet indicateur, qui évalue le bon fonctionnement des systèmes judiciaires, est étroitement corrélé au score global de l’IPC : en atteste par exemple la situation du Venezuela, dont le score CPI est en chute libre depuis le coup d’État de 2017, qui a aboli la frontière entre pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Cette corrélation confirme le lien, bien connu, entre la qualité du système de justice et la corruption.
Le Danemark maintient sa place en tête du classement pour la sixième année consécutive, avec un score de 90. Il est suivi de près par la Finlande (87) et la Nouvelle-Zélande (85). À l’autre extrémité, la Somalie (11) occupe la dernière place du classement, derrière le Venezuela (13), la Syrie (13) et le Soudan du Sud (13).
Des démocraties notables telles que la Suède (82), les Pays-Bas (79) et le Royaume-Uni (71) ont enregistré leurs scores les plus bas jamais enregistrés dans l’IPC. Le Royaume-Uni, notamment, a perdu deux places pour se retrouver au 20e rang du classement, sa position la plus basse depuis 2012. Inversement, d’autres pays ont vu leur score augmenter de plusieurs points, comme l’Égypte (35 contre 30 en 2022), le Cap-Vert, le Koweït et la Zambie.
La France, quant à elle, gagne une place malgré un score légèrement en baisse (71 en 2023, 72 en 2022).
À chaque parution de l’IPC, le même constat revient comme un refrain : « la France stagne ». En effet, malgré une décennie de réformes juridiques anticorruption, le score oscille obstinément entre 69 et 72.
Cette stagnation a de quoi surprendre. En dix ans, la France a vu la montée en puissance d’institutions comme la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), l’Agence Française Anticorruption (AFA) et le Parquet National Financier (PNF). Elle a intensifié les obligations éthiques des entreprises ainsi que leur surveillance, notamment grâce à la loi Sapin 2, et s’est dotée d’un statut de lanceur d’alerte parmi les plus ambitieux au monde. Comment expliquer, alors, ce score de 71/100 en 2023, soit exactement le même qu’en 2013 ?
Cette immobilité déconcertante s’explique, selon TI France, par le « manque d’exemplarité du pouvoir exécutif » et le « manque d’indépendance de l’autorité judiciaire ». En effet, dans un classement qui s’attache principalement à la perception de la corruption, l’exemplarité des décideurs politiques apparaît comme un facteur décisif. Or une série d’affaires récentes, impliquant des ministres en exercice mis en examen sans démission immédiate, a écorné l’image d’intégrité attendue du gouvernement français.
Depuis les années 1970, la jurisprudence Bérégovoy-Balladur a entériné l’idée selon laquelle un ministre mis en examen doit démissionner de ses fonctions. Jusqu’à 2017, cette pratique a été généralement appliquée, comme en atteste la démission de François Bayrou en juin 2017, alors qu’il venait d’être nommé ministre de la justice, suite à sa mise en examen dans l’affaire des emplois fictifs du MoDem.
Mais à patir de 2017, la jurisprudence Bérégovoy-Balladur a été mise à mal par plusieurs affaires ; que ces dernières soient directement liées à la corruption ou non, elles exercent une influence indéniable, par capillarité, sur la manière dont la corruption est perçue. Alain Griset, nommé ministre délégué en charge des PME en juillet 2020, aura été le premier ministre de la présidence Macron à comparaître devant un tribunal correctionnel, pour « déclaration incomplète ou mensongère de sa situation patrimoniale ». Sa démission tardive, suite à sa condamnation à six mois d’emprisonnement avec sursis a porté un coup à l’exemplarité attendue de ministres en exercice.
L’exemple Griset a été suivi par plusieurs figures importantes du gouvernement. En 2022, le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler, mis en examen pour prise illégale d’intérêt, et Éric Dupond-Moretti, actuel ministre de la justice, mis en examen pour conflits d’intérêt, sont restés en poste malgré de nombreux appels à la démission pendant les procédures. De même, en 2023, Olivier Dussopt, alors ministre du Travail, n’a pas démissionné malgré sa mise en examen pour favoritisme. Ce maintien en poste très critiqué a nui à la crédibilité du gouvernement. Enfin, la nomination récente de Rachida Dati au Ministère de la Culture a entériné l’idée qu’il était possible de devenir ministre tout en étant déjà mise en examen.
Ces maintiens en poste ont conduit TI à critiquer un « déni déontologique » de la part de l’exécutif : « ce retentissant recul en matière de déontologie suffit à lui-seul à compenser les maigres avancées obtenues […], comme la décision de la France de maintenir l’accès du grand public au registre des bénéficiaires effectifs des sociétés dans l’attente d’une redéfinition de la législation européenne en la matière. »
Face à ce constat, on peut se demander à quel point ces affaires très médiatisées du secteur public affectent la perception des efforts déployés par la France dans la prévention et la détection de la corruption dans son ensemble. Car si l’exemplarité du secteur public laisse à désirer, la France a néanmoins connu des avancées indéniables en matière de probité du secteur privé. Or, ces avancées ne se reflètent pas forcément dans le score de la France selon le baromètre TI, puisque l’IPC n’évalue pas directement le secteur privé.
Dans la mesure où l’indice TI se focalise principalement sur le secteur public, il faut s’intéresser à d’autres sources pour évaluer les progrès réels de la lutte anticorruption en France.
En dix ans, le paysage de la lutte anticorruption a radicalement évolué, avec une focalisation particulière sur la corruption dans le secteur privé. La loi Sapin 2, avec ses obligations de vigilance imposées aux entreprises, s’est révélée à l’international comme un modèle de prévention en amont des inconduites potentielles. Les acteurs publics, associations et fondations reconnues d’intérêt public doivent également mettre en œuvre un dispositif anticorruption, mais ils ne sont pas soumis aux 8 mesures obligatoires de l’article 17 de la loi Sapin 2, focalisé sur les entreprises, en dépit des actions d’information menées assidûment à leur endroit par l’AFA.
La récente synthèse d’activité du PNF atteste de ces efforts, puisque près de la moitié des 781 procédures en cours concernent des atteintes à la probité – dont la moitié sont liées à des faits de corruption.
Plusieurs faits saillants soulignent cette dynamique :
Ainsi, derrière le manque d’exemplarité légitimement dénoncé par TI, des progrès tangibles dans la détection et la sanction de la corruption au sein du secteur privé méritent d’être salués et soulignés. Toutefois, pour être en mesure de dresser un bilan à 360° des avancées anticorruption en France, il faut que les avertissements de TI soient entendus, pour éviter que les affaires très médiatisées du secteur public ne masquent pas les progrès tangibles effectués par ailleurs. La route vers une plus grande exemplarité des dirigeants publics s’impose donc comme la prochaine étape cruciale dans la lutte contre la corruption, une bataille par nature complexe et multidimensionnelle.
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