Recul de l’UE sur la transparence financière : le libre accès au Registre des Bénéficiaires Effectifs sous la menace

Recul de l’UE sur la transparence financière : le libre accès au Registre des Bénéficiaires Effectifs sous la menace
Le libre accès au Registre des Bénéficiaires Effectifs est menacé par une décision de la CJUE

Le 22 novembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a invalidé une disposition qui permettait au grand public de consulter les Registres des Bénéficiaires Effectifs (RBE) des entreprises européennes. Ces registres permettent de connaître les véritables propriétaires des entreprises, souvent désignés par l’acronyme « UBO » (Ultimate Beneficiary Owners). Leur transparence devait permettre de mieux détecter l’utilisation de sociétés-écrans pour des crimes financiers comme le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme.

La CJUE est donc revenue sur cette ambition, invoquant une menace aux droits fondamentaux des citoyens européens. Mais plusieurs pays, dont la France, sont actuellement menacés d’une procédure d’infraction pour avoir maintenu l’accès public à leurs RBE.

La France menacée par une procédure d’infraction

En France, la mise en place du RBE est survenue suite à une directive européenne de 2016, rendant obligatoire la collecte d’informations sur les bénéficiaires effectifs des entreprises. En 2018, le registre a été ouvert au grand public suite à une nouvelle directive européenne. Toutefois, en novembre 2022, la CJUE a annulé cette décision, suite à des plaintes déposées au Luxembourg par des propriétaires d’entreprises s’opposant à la divulgation publique de leurs informations personnelles.  Reconnaissant une ingérence grave dans le respect de la vie privée et des données personnelles, la Cour a déclaré illégal l’accès du grand public à ces informations.

Plusieurs pays, dont l’Allemagne et le Luxembourg, ont immédiatement suspendu l’accès public à leurs registres respectifs. En France, cependant, l’accès du grand public au RBE a été maintenu « dans l’attente de tirer toutes les conséquences de l’arrêt de la CJUE », selon le communiqué publié en janvier 2023 par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Le même mois, la suspension soudaine du registre avait causé l’émoi général, mais il ne s’agissait, selon l’INPI, que d’une « erreur technique » et l’accès a été rétabli.

Bruno Le Maire revendique ainsi le choix de conserver l’accès au grand public le temps de définir les futures modalités d’accès, avec pour objectif de « permettre aux organes de presse et aux organisations de la société civile y ayant un intérêt légitime » de continuer à accéder au registre.

La France veut donc prendre donc son temps pour appliquer la décision de la CJUE. Mais la pression augmente pour faire fermer le registre français : la France est désormais menacée par une procédure d’infraction européenne, tout comme la Lettonie, l’Estonie, le Danemark, qui ne sont pas non plus en conformité avec l’arrêt de la CJUE.

La croisade d’un avocat contre la transparence financière

L’injonction à la fermeture a suscité l’émoi parmi ONG et magistrats anticorruption, car le RBE s’est imposé comme un outil majeur pour lutter contre les sociétés-écrans et la dissimulation des actifs financiers. En mars 2023, certaines de ces critiques ont été adressées par le Parlement européen avec l’adoption de l’AML Package, qui comprend un projet de mise à jour de la directive antiblanchiment afin de préciser et harmoniser les conditions d’accès au RBE. L’AML Package entérine notamment le besoin d’accessibilité au registre pour les autorités compétentes et certains membres de la société civile (journalistes, etc).

La voie vers un compromis acceptable semblait donc tracée. Mais c’était sans compter l’initiative de l’avocat suisso-britannique Filipo Noseda, associé au sein du cabinet Mishcon de Reya, qui a demandé à la Commission européenne de sanctionner la France pour son refus d’appliquer la décision européenne. Noseda, lui-même à l’origine des recours luxembourgeois qui ont abouti à la décision de la CJUE, demande aujourd’hui à la Commission de mettre en demeure la France de s’expliquer. Si elle a lieu, cette mise en demeure serait la première étape d’une procédure d’infraction qui pourrait mener à des poursuites européennes. La Commission ne s’est pas encore prononcée sur cette demande, mais a déclaré « examiner la question qui est soulevée ». En parallèle, l’avocat a demandé à la CNIL d’interdire en urgence le traitement des données issues du RBE français.

Filipo Noseda n’en est pas à son coup d’essai. Spécialisé dans la structuration et la gestion des grandes fortunes, l’avocat mène un combat acharné contre la transparence en multipliant les démarches judiciaires au nom des droits des citoyens européens. Depuis les années 2010, il lutte activement contre l’échange automatique d’informations (EAI), qui oblige les Etats de l’OCDE à communiquer les données bancaires de leurs résidents de nationalité étrangère. Ce mécanisme, qui joue aujourd’hui un rôle fondamental dans la lutte contre la criminalité financière, est décrit par Noseda comme « la plus grosse menace sur nos données personnelles depuis qu’Orwell a écrit 1984 ». Si son combat contre l’EAI est resté lettre morte, l’avocat aura malgré tout obtenu gain de cause sur le sujet des RBE.

Face à ce champion du secret dans la sphère financière, les apôtres de la transparence regrettent un recul de la lutte contre la criminalité financière RBE au nom d’un équilibre délicat entre transparence et vie privée. Toutefois, même si le sort réservé par Bruxelles aux pays qui ne s’exécutent pas assez rapidement reste incertain, on peut tout de même s’attendre à ce que les informations sur les BE restent accessibles aux organismes et journalistes enquêtant sur de possibles inconduites.

Un nouveau défi pour les due diligences d’intégrité

Qu’ils soient divulgués au grand public ou pas, l’identification des BE reste un enjeu clé dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Afin de lutter plus efficacement contre la criminalité financière, le GAFI a publié en mars 2023 des recommandations actualisées sur la propriété des personnes morales, réaffirmant la nécessité que les autorités compétentes aient accès à des informations adéquates, précises et à jour sur les véritables propriétaires des entreprises.

Ainsi pour les entreprises, quelles que soient les futures modalités d’accès au RBE, les obligations légales de déclaration des BE demeurent. Pour rappel, les entreprises doivent identifier en tant que BE toute personne physique détenant (directement ou indirectement) plus de 25% des droits de vote ou du capital, ainsi que toute personne disposant d’un pouvoir de contrôle sur la société. Si aucun de ces critères n’est rempli, ses BE sont de facto les représentants légaux de l’entreprise c’est-à-dire ses mandataires sociaux comme le Président par exemple. Les sanctions en cas de non-déclaration des BE ou de fausses informations peuvent s’avérer relativement sévères : amende pouvant aller jusqu’à 37 500 €, exclusion temporaire ou définitive des marchés publics, interdiction d’entrer en bourse, dissolution de la société…

Mais au-delà de la déclaration de leurs propres BE, les entreprises doivent également identifier les BE de leurs tiers dans le cadre des due diligences obligatoires en amont de toute relation d’affaire avec des tiers. Sur ce point, la décision européenne affecte directement les entreprises : avec la suspension de l’accès libre au RBE, ces dernières perdent une source d’information précieuse pour leurs due diligences.

En effet, derrière tout partenaire potentiel peut se cacher une ou plusieurs personnes utilisant l’entité à des fins criminelles. Face à ces risques, les entreprises doivent connaître l’identité des BE de leurs potentiels fournisseurs, consultants ou clients, et vérifier qu’ils ne présentent pas de « red flags » : antécédents de corruption, présence sur des listes de sanctions internationales… Si ces due diligences font soupçonner que la relation d’affaires pourrait participer au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme par exemple, l’entreprise doit y mettre fin.

La fin de l’accès libre au RBE signifie donc aussi que les entreprises devront redoubler de vigilance lorsqu’elles effectuent leurs due diligence, en démultipliant leurs canaux d’information afin de s’assurer de l’identité réelle de leurs partenaires.

Sources

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