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Ne pas respecter la charte éthique peut justifier une rupture de contrat commercial
En quelques années, la compliance est devenue un sujet majeur et une préoccupation quotidienne pour les entreprises françaises. Entre la loi Sapin 2 et l’essor des règlementations étrangères à portée extraterritoriale, elles doivent constamment s’adapter à de nouveaux risques juridiques, financiers et réputationnels.
Sur le plan légal, la loi Sapin 2 a défini les éléments constitutifs du dispositif anticorruption dont doivent se doter depuis 2016 les entreprises de plus de 500 salariés réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.
Parmi ces obligations : la mise en place d’un code de conduite, une « charte éthique », à destination des employés et partenaires commerciaux de la société. Cette charte éthique est un bon exemple de l’importance croissante de la conformité dans les relations d’affaires : on voit aujourd’hui émerger une jurisprudence permettant de mieux comprendre la portée concrète de ce nouveau type de contraintes légales.
La charte éthique : de la théorie à la pratique
L’article 17 de la loi Sapin 2 définit la charte éthique comme un document intégré au règlement intérieur de l’entreprise, « définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence ». Chaque employé est tenu de respecter ce code de conduite, mais l’entreprise doit également appliquer ce niveau d’exigence à tous ses partenaires commerciaux.
Alors concrètement, quelles sont les conséquences du non-respect de la charte par un partenaire commercial ? Certaines décisions de justices récentes permettent de mieux appréhender ses conséquences pratiques.
En mai 2021, la Cour d’appel de Paris a rendu un jugement concernant une rupture de relation commerciale pour violation de charte éthique. Le contentieux opposait la société Carrefour Hypermarchés et l’un de ses fournisseurs spécialisé dans l’ingénierie et les études techniques, la société I2C. Depuis 2010, I2C était un fournisseur référencé par la centrale d’achats du groupe. Mais en 2013, une enquête interne a révélé que le président de la société I2C avait offert une mallette, une caisse de champagne et un voyage à l’île Maurice à un responsable du référencement des fournisseurs de Carrefour, des cadeaux prohibés par le code de conduite signé par tous les fournisseurs du groupe. Suite à cette enquête interne, Carrefour a décidé de mettre fin aux relations commerciales entre les deux entités.
En réaction à cette rupture, I2C a saisi la justice en invoquant une rupture brutale des relations commerciales – le droit français permet en effet de sanctionner ce type de rupture sans préavis (article L. 442-6-I.5° du Code de commerce). Cependant, la loi autorise à résilier brusquement un contrat, si l’autre partie fait défaut à ses obligations ou en cas de force majeure.
C’est ici que, dans le cas Carrefour, la charte éthique a joué un rôle clé : la Cour a déterminé que la rupture des relations était légitime, puisque les actes commis par I2C contrevenaient à la charte applicable aux fournisseurs de Carrefour depuis 2014. Même si la gravité des actes commis a joué dans la décision de la Cour, le bras de fer juridique a donc consisté à déterminer si les actes étaient antérieurs ou postérieurs à la signature de la charte éthique.
Concluant que I2C avait manqué à ses obligations, la Cour a condamné la société à régler une somme de 20 000 € à Carrefour et à sa centrale de référencement. En parallèle, les conséquences pour le salarié ayant accepté les cadeaux ne sont pas connues. L’objet de ce jugement ne concernait que la validation de la rupture des relations entre les deux entreprises.
Une jurisprudence en construction
Arrêt après arrêt, on assiste ainsi au développement progressif d’une jurisprudence qui doit permettre de mieux préciser les enjeux légaux des différentes obligations issues de la loi Sapin 2.
Concernant la charte éthique, la décision Carrefour a ainsi été précédée par deux autres décisions. En 2019, une affaire similaire avait opposé la société Monoprix à l’un de ses fournisseurs textiles. Après avoir réalisé un audit social auprès des usines de ce fournisseur, Monoprix avait décidé de suspendre leurs relations commerciales. En cause : la méconnaissance par le fournisseur des règles applicables en matière sociale et éthique. Comme dans le cas Carrefour, le fournisseur a saisi la justice, reprochant une rupture des relations commerciales brutale et sans préavis. Mais là encore, le Tribunal de commerce puis la Cour d’appel de Paris ont jugé que la rupture était justifiée, le fournisseur ayant manqué à ses obligations de vigilance.
La même logique a été appliquée plus récemment, en mars 2021, lorsque la Cour d’appel de Paris a déterminé qu’un fournisseur de l’enseigne textile Promod avait violé le code de conduite établi par cette dernière. En signant la charte de Promod, tout partenaire commercial s’engageait à agir en conformité avec les lois nationales et internationales. Cette fois, les actes reprochés concernaient des irrégularités en matière de droit du travail, des actes d’ailleurs répréhensibles sur le plan légal indépendamment de toute charte éthique. Mais le simple fait d’avoir signé la charte a constitué un facteur aggravant aux yeux de la justice, qui a donné raison à Promod.
La conformité des entreprises : un facteur de compétitivité
Un fournisseur contrevenant à la charte de son client et une rupture brusque des relations commerciales validée par la justice : les similitudes entre ces trois affaires illustrent concrètement la propagation d’une culture de la conformité, notamment dans les grands groupes, au travers des chartes éthiques que leurs partenaires doivent signer et s’engager à respecter. De fait, dès lors qu’une société est assujettie à la loi Sapin 2, son devoir de vigilance se propage à tous ses partenaires, y compris ceux qui ne sont pas assujettis à la loi.
Il est ainsi clair que les entreprises, quelle que soit leur taille, ont donc désormais tout intérêt à ne pas appréhender la compliance comme une simple contrainte, mais comme un enjeu commercial à part entière, voire un facteur décisif de leur compétitivité.
Sources
- Le cas Carrefour : décision de la Cour d’appel de Paris : CA PARIS, 5 mai 2021, n°19/15680
- Le cas Monoprix : décision de la Cour d’appel de Paris : CA Paris, 13 Mars 2019 n°17/21477
- Le cas Promod : décision de la Cour d’appel de Paris : CA Paris, 24 mars 2021, n°19/155565
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