Les enjeux d’une évaluation d’intégrité dans une opération de fusion-acquisition selon l’AFA

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Dossier fusions-acquisitions & due diligence d’intégrité – Partie 1

Réaliser une due diligence d’intégrité d’une entreprise « cible » a pour objectif de mesurer les risques encourus si l’opération atteint son terme. Cela permet également de préparer son intégration au schéma anticorruption pré-existant chez l’acquéreur. Dans ce premier volet de notre dossier, nous revenons sur les trois types d’enjeu identifiés par l’AFA lors d’une opération de fusion-acquisition : financier, juridique et opérationnel.

1/ Les enjeux financiers

Les vérifications anticorruption peuvent en premier lieu soulever des éléments potentiellement impactants sur le montant de l’opération à venir. En effet, si une investigation pour soupçons de corruption concernant l’entreprise cible est en cours, cette dernière risque des sanctions pénales post-acquisition, lesquelles peuvent provenir non seulement d’une juridiction française mais également d’une juridiction étrangère, du fait de la notion d’extraterritorialité de certaines lois anticorruption comme le FCPA américain.

Ces sanctions peuvent être :

  • une amende élevée (jusqu’à plusieurs centaines de millions d’euros) ;
  • la contrainte de mise en conformité anticorruption à ses frais, sous la tutelle d’un superviseur externe.

D’autres coûts peuvent même venir augmenter l’addition comme la réalisation d’une enquête interne ou encore le recours à des consultants extérieurs au cas où l’enquête pénale se poursuivrait après l’opération.

A noter également que la médiatisation d’une affaire de corruption impliquant la cible avant l’opération pourrait aussi affecter sa réputation et par conséquent sa valeur économique. L’opération finalisée, il est fort probable que l’image de l’acquéreur pourrait elle-même être atteinte par un phénomène de « contagion ».

Par ailleurs, la situation peut se compliquer si l’acquéreur entre dans le champ des obligations prévues par la loi Sapin 2 et son article 17. En effet, l’inexistence ou les insuffisances du dispositif anticorruption de la cible pourraient générer des coûts importants de mise à niveau.

Enfin, concernant le cédant, s’il est lui-même soumis aux mêmes obligations légales, il est a priori dans son intérêt de réaliser des vérifications anticorruption sur une cible potentielle. Il sera ainsi en mesure de démontrer aux candidats acquéreurs la qualité du dispositif anticorruption.

2/ les enjeux juridiques

La réalisation d’une due diligence d’intégrité de la cible permet à l’acquéreur d’évaluer le risque d’engagement de sa responsabilité pour faits de corruption ou certains manquements à l’article 17 de la loi Sapin 2 commis avant l’opération. Selon le guide de l’AFA, 3 types de transfert de responsabilité peuvent opérer : transfert de responsabilité administrative, transfert de responsabilité civile et transfert de responsabilité pénale.

A – le transfert de responsabilité administrative

En cas de manquements constatés par l’AFA lors d’un contrôle de la cible avant l’opération, se pose la question de l’identification des sociétés pouvant être sanctionnées par la commission des sanctions de l’AFA statuant post opération. Deux cas sont à distinguer sous réserve de l’avis de cette commission et, possiblement, de celui du juge administratif précise l’AFA dans son guide.

A.1) En cas d’acquisition de la cible

En vertu de l’article 17 de la loi Sapin 2, lorsque la société mère établit des comptes consolidés, l’obligation de dispositif anticorruption porte sur cette société ainsi que sur toutes ses filiales. Si des manquements de la cible sont constatés par l’AFA avant l’opération, cette société, le cédant et leurs dirigeants pourront en répondre après l’opération devant la commission des sanctions.

Dans cette hypothèse, la responsabilité de l’acquéreur ne peut pour autant être recherchée sur le fondement de l’article 17. Il a néanmoins tout intérêt à s’informer, avant l’opération, sur l’existence d’un possible contrôle exercé par l’AFA sur la cible. En effet, selon les caractéristiques des manquements éventuels reprochés, il pourrait être amené à prendre, après l’opération, des mesures visant à améliorer le dispositif anticorruption de la cible.

A.2) En cas d’absorption ou de fusion de la cible

Seule l’entreprise absorbante ou l’entité issue de la fusion (ainsi que ses dirigeants) peut être sanctionnée par la commission des sanctions, la société absorbée ayant « disparu ».

Comme le Conseil d’État l’a relevé dans une autre matière, il appartient donc à la société absorbante, « lors de l’opération de fusion-absorption, de recueillir toute information utile sur la situation de la société » absorbée.

Cependant, en l’état de la jurisprudence (voir encadré ci-après), le principe de la personnalité des peines empêche qu’une sanction autre que financière soit prononcée.

En matière de contentieux des sanctions administratives pour manquement à la règlementation sur les marchés financiers, le Conseil d’État a jugé, à plusieurs reprises, que la personnalité des peines ne s’oppose pas à ce qu’une sanction pécuniaire soit infligée par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) à l’entreprise absorbante à raison des manquements commis par l’entité absorbée. Il a retenu le même raisonnement en matière fiscale

Au contraire, il a jugé que ce même principe interdit qu’un blâme soit prononcé contre la société absorbante ou que l’autorité administrative ordonne la publication de la sanction pécuniaire infligée à raison des manquements commis par l’entreprise absorbée.

B – le transfert de responsabilité civile

La responsabilité civile de l’acquéreur peut parfois être engagée en fonction de la participation de la cible à des faits de corruption pré-opération. Selon l’AFA, trois situations peuvent alors se présenter :

  • si une entreprise acquiert une cible sans l’absorber, cette dernière demeure une personne morale à part entière. Par conséquent, si la société cible a participé à la commission des faits avant l’acquisition, elle demeurera seule responsable civilement, et il en va de même de sa responsabilité pénale (voir plus bas), que sa responsabilité soit engagée avant l’opération ou après.
  • Lorsqu’une entité acquiert, en l’absorbant, une cible coupable de corruption avant l’opération, la transmission universelle du patrimoine à l’acheteur entraîne l’intégration, dans le patrimoine de ce dernier, de la dette née ou à naître d’une condamnation à dommages et intérêts pour corruption ou d’un accord prévoyant une telle indemnité. Par sa disparition, la société acquise transmet sa dette civile à l’acquéreur.
  • Enfin, lorsqu’une nouvelle entité juridique résulte de la fusion de sociétés initialement distinctes, la transmission universelle de leurs patrimoines respectifs à la nouvelle structure a pour autre conséquence le transfert de leur éventuelle responsabilité civile pour faits de corruption commis avant la fusion. La nouvelle entité et elle seule devra en répondre le cas échéant.

Dans ces 3 cas, la due diligence d’intégrité permet à l’acquéreur d’estimer le risque d’obligation au paiement d’indemnités pour faits de corruption commis par la cible avant l’opération.

C – le transfert de responsabilité pénale

Pour l’acquéreur comme pour le cédant, les vérifications anticorruption peuvent consister à déterminer le risque de sanctions pénales encourues à raison des faits commis par la cible en amont de l’opération.

A ce sujet, il est important de rappeler ici que la législation pénale française et celles d’autres pays peuvent s’appliquer cumulativement aux personnes, physiques ou morales, impliquées dans des faits de corruption (Foreign Corrupt Practices Act américain ou UK Bribery Act britannique par exemple).

Or, les conditions d’engagement de la responsabilité pénale d’une personne peuvent fortement varier selon les législations en vigueur localement. Lors d’une opération transfrontière, les vérifications anticorruption auront par conséquent à considérer l’ensemble des législations applicables pour évaluer au plus juste le risque de sanctions pénales.

« Nul n’est pénalement responsable que de son propre » fait selon le droit français (article 121-1 du Code Pénal), et le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle de ce principe (« Nul n’est punissable que de son propre fait »). C’est ainsi que la Cour de Cassation exclut l’imputation d’une responsabilité pénale à toute personne, physique ou morale, si elle n’a pas participé aux faits en question. Il y a néanmoins lieu à distinguer 2 types d’opération :

1) Cas d’acquisition de la cible

A partir du moment où l’acquéreur n’a pas pris part à la corruption commise en amont de l’opération par sa cible, sa responsabilité pénale ne pourra être recherchée. La cible demeurera seule responsable pénalement.

A la faveur de vérifications anticorruption, l’acheteur pourra engager après l’opération une enquête interne pour déterminer la nature et l’ampleur des faits de corruption commis. Au terme de ces diligences, l’acquéreur pourra mettre un terme aux agissements délictueux et éviter la mise en cause de sa responsabilité pénale, pour de tels faits ou pour recel ou blanchiment de corruption, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal.

S’il a connaissance de faits de corruption commis par la cible avant l’opération, le cédant aura également tout intérêt selon l’AFA à mener des investigations afin de savoir s’il peut être considéré comme complice ou pour recel ou blanchiment de cette infraction. Le cas échéant, il pourra s’autodénoncer au procureur de la République et devancer une éventuelle dénonciation par l’acquéreur.

2) En cas d’absorption ou de fusion de la cible

La responsabilité pénale d’une entreprise absorbante ne peut être recherchée pour des faits commis antérieurement à l’opération par la société absorbée car la transmission universelle du patrimoine d’une société absorbée à une autre absorbante n’a pas pour effet de lui transférer sa responsabilité pénale. Cette solution peut être étendue à la société issue d’une fusion. Dans ces deux situations, les sociétés absorbées ou fusionnées, qui n’ont plus d’existence juridique, ne peuvent être ni poursuivies ni condamnées.

Toutefois, si des faits de corruption se produisent après l’absorption ou la fusion, ils pourront être imputés, dans les conditions prévues par l’article 121-2 du code pénal, à la société absorbante ou à la nouvelle société résultant de la fusion.

Responsabilité pénale des personnes physiques en cas de fusion-absorption

La fusion-absorption n’a pas d’incidence sur les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes physiques, notamment des dirigeants des sociétés absorbées ou fusionnées, ayant participé aux faits de corruption avant l’opération. Il en résulte que si ces personnes physiques ont pris part à des faits délictueux avant l’absorption ou la fusion, leur responsabilité pénale pourra toujours, sous réserve de la prescription de l’action publique, être recherchée postérieurement à l’opération.

L’AFA signale aussi cela : la Cour de Justice de l’Union Européenne a pris une position contraire à celle de la Cour de Cassation au sujet de l’engagement de la responsabilité pénale de la société absorbante. En effet, elle a jugé qu’une fusion par absorption entraîne la transmission à la société absorbante de l’obligation de payer une amende infligée pour des infractions pénales commises par la société absorbée avant l’opération.

3/ Les enjeux opérationnels

Pour l’acquéreur, la réalisation d’une due diligence d’intégrité en amont de l’opération peut le mener à renoncer à cette dernière si elle soulève des risques majeurs. Cela peut jouer le rôle d’un véritable deal breaker.

Si l’opération a déjà eu lieu et que l’acquéreur découvre des faits de corruption, il pourra y mettre fin dans les plus brefs délais et prendre les mesures correctives nécessaires.

Enfin, ces vérifications placent l’acheteur en situation de prévoir l’intégration ou l’adaptation du dispositif anticorruption de la cible après l’opération.

Pour le cédant, les vérifications anticorruption donnent la possibilité de répondre plus efficacement aux demandes des sociétés candidates à l’acquisition par la cible. Une meilleure connaissance de son dispositif anticorruption peut aussi favoriser davantage de transparence dans les négociations.

Si vous avez manqué le début, vous pouvez retrouver ici l’introduction-présentation de notre dossier sur les vérifications anticorruption dans le cadre des opérations de fusion-acquisition selon l’AFA ainsi que les deux parties suivantes :

Deuxième partie : pendant l’opération

Dans ce deuxième volet de notre dossier nous revenons sur le déroulement opérationnel des vérifications anticorruption telles qu’envisagées par l’AFA dans le cadre d’une opération de fusion-acquisition : La réalisation des due diligences d’intégrité lors d’une opération de fusion-acquisition

Troisième partie : après l’opération

Cette troisième et dernière partie porte sur la nécessité de réaliser un audit post-acquisition afin d’évaluer le dispositif anticorruption de la cible…. s’il en existe un bien entendu. L’objectif visé ici est l’intégration de la cible dans le dispositif anticorruption pré-existant.

Cette publication ne contient que des informations générales. Elle est est basée sur le guide de l’AFA « Les vérifications anticorruption dans le cadre des fusions-acquisitions ». L’auteur ne fournit pas, par le biais de cette publication, de conseils d’affaires, de conseils juridiques ou d’autres conseils ou services professionnels. Cette publication ne remplace pas de tels conseils ou services juridiques et ne doit pas non plus servir de base à une décision ou à une action qui pourrait avoir une incidence sur votre entreprise. Avant de prendre toute décision ou de prendre toute mesure qui pourrait avoir une incidence sur votre entreprise, vous devriez consulter un conseiller juridique qualifié. L’auteur, ses sociétés affiliées et ses entités apparentées ne sont pas responsables des pertes subies par toute personne ou entité qui se fie à la présente publication.

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