Vu des Etats-Unis : prévenir efficacement la criminalité en col blanc

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La prévention de la criminalité en col blanc selon Thomas R. Fox

Je termine ma rapide exploration d’une série d’articles de la Harvard Business Review (HBR) consacrée à la criminalité en col blanc. Je vous propose aujourd’hui de décrypter un article de Mary Jo White, intitulé « Ce que j’ai appris sur la criminalité en col blanc ». Mme White est une figure bien connue du Barreau aussi bien dans le rôle de l’accusateur que dans celui du défenseur. Elle est actuellement présidente du cabinet d’avocats Debevoise & Plimpton LLP. Elle fut précédemment Présidente de la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis et aussi la procureure du district sud de New York. Tous ces postes lui ont permis d’acquérir une connaissance approfondie non seulement du crime et des criminels en col blanc, mais aussi des mesures que les entreprises devraient prendre lorsqu’elles sont confrontées à une enquête du gouvernement.

On ne parlera pas ici de fraudes « traditionnelles » ni d’arnaques à la petite semaine comme on les constate souvent dans une usine ou un atelier de production. Il s’agit au contraire des agissements de cadres supérieurs à haut niveau de responsabilité, se livrant à d’importantes fraudes comptables et favorisant ainsi le développement d’une véritable « culture de la corruption » qui mène tout droit à des situations de corruption effective, et donc illégales en vertu du Foreign Corrupt Practices Act ( « FCPA », la loi américaine anti-corruption).

L’ego, ce grand déclencheur

Se référant de façon pertinente à l’esprit et aux travaux de Jonathan Marks, Mme White aborde d’abord la question de savoir pourquoi certains cadres supérieurs s’adonnent à la fraude financière et à la corruption. Une partie de cette motivation tient ainsi tout simplement de l’avidité, bien sûr, mais il y a plus que cela. Le facteur-clé que le public sous-estime en général est l’ego.

En effet, bon nombre des personnes qui commettent ce type de crime ont jusqu’ici brillamment réussi leur carrière professionnelle, et elles ne sont par conséquent jamais prêtes à supporter un quelconque échec. D’ailleurs, ces personnes ont au contraire besoin que les individus évoluant dans le même écosystème les considèrent comme des vainqueurs permanents. Même si le motif financier est souvent évoqué dans une activité à forte pression, intensive, avec une charge de travail élevée et des tentations multiples, la nature humaine est à prendre en compte en priorité, avec sa propension à considérer un statut prestigieux et un succès durable comme des attributs indispensables.

En quoi cela reflète-t-il la vision de Jonathan Marks ? C’est tout simplement un des 5 sommets du « Pentagone de Marks », celui qu’il appelle « l’arrogance » et qu’il définit comme suit : « l’arrogance, ou l’absence de conscience, est une attitude de supériorité et de légitimité ou de cupidité de la part d’une personne qui croit que les politiques et procédures de l’entreprise ne s’appliquent pas à sa personne ». Cette personne, possiblement aveuglée par les montants indécents en jeu dans les dispositifs de rémunération actuels, ne tient aucun compte des conséquences néfastes qu’elle fait subir à ses victimes. C’est ainsi que la compétence et l’arrogance du sujet jouent un rôle majeur aujourd’hui pour déterminer si un employé a non seulement le profil mais aussi toutes les cartes en main pour commettre une fraude. »

Diagnostic défaillant et traitement inadapté

De toute évidence, il est primordial de réagir rapidement : il faut apporter des mesures correctives à toute violation identifiée de conformité dans la perspective d’une poursuite judiciaire. Cela est d’ailleurs pris en compte par le « US Sentencing Guidelines » et inscrit dans la « FCPA Corporate Enforcement Policy » comme un élément clé pour l’évaluation de la responsabilité potentielle de l’entreprise.

Pourtant, Mme White croit que de nombreuses entreprises ratent le coche. Pour elle, « la plus grande erreur qu’elles commettent en tentant de prévenir les crimes et les fautes, est de croire qu’augmenter les ressources mises à la disposition de la conformité suffisent. Comme si chaque dollar supplémentaire investi avait un effet proportionnel. C’est inexact. Surtout, lorsque vous avez affaire à des violations potentielles du FCPA (l’anti-corruption) ou du Bank Secrecy Act (la loi anti-blanchiment, sur le secret bancaire). Vous devez faire preuve d’une précision chirurgicale et d’une extrême intelligence pour déterminer où se trouvent les risques les plus importants. C’est particulièrement vrai dans les organisations mondiales : les problèmes surgissent très souvent loin du siège social, dans les filiales à l’étranger ou avec des partenaires dans le cadre de joint-ventures ».

Une culture de la conformité solide et exemplaire

Mme White donne ici toute sa mesure dans le débat. Tout en soulignant l’importance des programmes de conformité, elle estime que c’est vraiment une question de culture. Selon elle : « Les programmes de conformité sont importants, mais ce qui compte vraiment, c’est la culture et le ton qu’un leader donne à l’organisation. C’est souvent un moyen plus efficace d’augmenter les chances que les défaillances ne se reproduisent plus. »

Elle prend l’exemple du PDG dans sa tour de verre et nous dit : « Au lendemain d’un scandale, certains dirigeants prétendent qu’ils ne savaient pas ce qui se passait. Parfois c’est vrai… mais si c’est le cas, il faut alors se demander si le leader a construit un système de communication conçu pour apporter les mauvaises nouvelles jusqu’à lui ou si le système est au contraire conçu pour isoler le dirigeant ».

Toutes les entreprises cotées en bourse ont l’obligation d’avoir des lignes directes pour les lanceurs d’alerte. Le problème est que les allégations parviennent très rarement au conseil d’administration, au comité de vérification ou de conformité, ou encore au bureau du PDG. Comme l’a démontré Kyle Welch dans ses travaux précurseurs  » Evidence on the Use and Efficacy of Internal Whistleblowing Systems « , les entreprises dotées de systèmes de signalement solides, où les cadres supérieurs recherchent activement les plaintes et les allégations, développent une culture de conformité et d’éthique beaucoup plus forte. Malheureusement, comme le fait remarquer Mme White, « certaines lignes directes semblent en revanche conçues pour permettre aux dirigeants un déni acceptable : nous avons un système de signalement des plaintes, mais il n’y en a pas eu beaucoup… Dans ce genre de situation, les dirigeants devraient plutôt se demander : pourquoi les employés hésitent-ils à se manifester… Par crainte de représailles ? »

Il est intéressant de noter par exemple que Wells Fargo a par le passé souffert des deux problèmes en même temps. Tout d’abord, un grand nombre d’employés de l’entreprise se sont manifestés pour mettre en garde contre la création frauduleuse de comptes à la banque. Toutefois, à l’époque, cette information n’a jamais été transmise au PDG, au conseil d’administration ou au comité de vérification.

Pire encore, les lanceurs d’alertes ont fait l’objet de mesures de représailles brutales de la part de l’entreprise, par le biais de licenciements par exemple !

Cela doit venir du sommet

Mme White conclut qu’il y a peu de chances qu’une entreprise puisse se remettre d’un « incident en col blanc » si l’affaire n’est pas prise en main par des dirigeants qui soient moteurs et exemplaires dans l’application du processus de conformité et d’éthique au sein de leur entreprise.

Si vous êtes un nouveau leader dans une organisation, dit-elle, mon conseil est de laisser les gens apprendre à vous connaître, vous et vos valeurs. « Faites-leur savoir à quel point vous êtes sérieux à propos de faire ce qui est juste. Expliquez clairement aux employés que s’ils sont témoins d’un acte répréhensible, ils doivent le signaler et que, ce faisant, ils seront soutenus par la direction. Quand quelqu’un s’égare, cela affecte toute l’entreprise. Les employés ne peuvent ni ne doivent laisser cela se produire. C’est le message que les leaders doivent transmettre, et c’est aussi la façon dont ils doivent agir. » »

Bref, l’une des caractéristiques essentielles d’une culture éthique est de savoir s’il existe vraiment une politique de tolérance zéro à l’égard des actes répréhensibles.
Beaucoup d’entreprises prétendent en avoir une, mais lorsque des collaborateurs très performants ou des cadres supérieurs enfreignent les règles, les dirigeants peuvent parfois se montrer indulgents envers eux, que ce soit pour des raisons bassement mercantiles ou par simple loyauté. Cela sape l’ensemble de l’édifice. Vous ne pouvez pas vous fier uniquement à la conformité et aux vérifications ; vous devez être prêt à traquer et punir les gens qui franchissent les lignes blanches. Pour bâtir une culture éthique, vous n’avez d’autre choix que de tenir votre promesse de tolérance zéro. Ne vous contentez pas de parler, passez à l’action.


J’aurais peut-être dû commencer cet article en disant que lorsque Mary Jo White parle, il faudrait l’écouter. Les idées qu’elle avance dans ne sont pas nouvelles, révolutionnaires ou controversées. Pourtant, sa longue et brillante carrière des deux côtés du barreau devrait donner à chaque chef d’entreprise l’occasion de réfléchir à leur organisation.
180 des plus grands patrons américains réunis au sein du Business Roundtable l’ont bien compris, en propulsant en août 2019 éthique et conformité parmi les principales raisons d’être de toute entreprise digne de ce nom. Mme White explique tout simplement pourquoi ne pas le faire peut mener aux pires calamités.


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Cet article a été traduit par Franck Métay et Jean-Charles Falloux et republié avec l’autorisation de Thomas R. Fox, auteur du FCPA Compliance and Ethics Blog.

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