Qatargate : l’éthique publique européenne face au défi de la corruption

Qatargate : quel avenir pour l’éthique publique européenne ?
Le Qatargate jette un pavé dans la mare : quel avenir pour l’éthique publique européenne ?

Depuis décembre 2022, le monde politique européen subit les retombées de l’un des plus gros scandales de corruption de son histoire : le « Qatargate ». Face à des craintes ravivées autour de l’ingérence d’États étrangers dans la politique européenne, plusieurs mesures ont été mises à l’étude afin de renforcer la transparence des institutions. Retour sur un scandale international mêlant corruption, diplomatie et football, et ses conséquences long-terme potentielles sur les institutions européennes.

Genèse d’un scandale international

« Le Qatar est un chef de file en matière de droits du travail ». Lorsque le 22 novembre 2022, la vice-présidente du Parlement Européen Éva Kaïlí s’exprime la tribune, certains eurodéputés s’étonnent de pareils propos tenus au sujet d’un pays vivement critiqué pour son traitement des ouvriers sur les chantiers de la Coupe du monde de football à Doha.

Peu de temps auparavant, à quelques jours du début de la compétition, le député Marc Tarabella a lui aussi dénoncé les critiques à l’encontre du Qatar, lors d’une session portant sur les conditions de travail des ouvriers. Ses déclarations, comme celles d’Éva Kaïlí, font donc lever quelques sourcils, mais personne, ou presque, ne se doute de l’ampleur du scandale qui est sur le point de survenir quelques semaines plus tard.

L’affaire éclate le 9 décembre 2022 : soupçonnée par les autorités belges d’avoir reçu de l’argent du Qatar, Éva Kaïlí est interpelée chez elle en possession de 150 000 euros dans des sacs de voyage. Son père, prévenu juste en amont, est également arrêté alors qu’il tente de s’enfuir avec près de 600 000 d’euros en liquide.

Ce jour-là, les autorités belges effectuent 16 perquisitions et saisissent au total 1,5 million d’euros. Trois autres personnes sont arrêtées : Francesco Giorgi, assistant parlementaire et compagnon de Kaïlí, Niccolo Figa-Talamanca, président de l’ONG No Peace Without Justice, et l’ex-député italien Pier Antonio Panzeri.

Tous les quatre sont soupçonnés d’avoir tenté d’influencer la politique européenne – notamment pour blanchir l’image du Qatar à la veille de la Coupe du Monde – en échange de faveurs et de pots-de-vin. Panzeri, en particulier, est soupçonné d’avoir joué un rôle central dans les malversations présumées. 600 000 € sont saisis à son domicile, ainsi qu’un certain nombre de cadeaux « siglés Qatar ». Cet ancien député européen est le fondateur de l’ONG Fight impunity, soupçonnée de n’être qu’une plateforme pour le blanchiment d’argent sale, et Francesco Giorgi est son bras droit.

Le 10 décembre, Éva Kaïlí est destituée de son titre de vice-présidente du Parlement européen. Au fil des mois qui suivent, les révélations s’accumulent pour mettre au jour un vaste réseau de corruption, dont Kaïlí n’est que le maillon le plus visible.

Le Qatargate est aussi un « Marocgate »

Face à ces révélations, le Qatar clame son innocence. Le temps de tirer l’affaire au clair, le Parlement suspend les titres d’accès des représentants d’intérêts qataris. En réponse, le Qatar menace de cesser ses exportations de gaz à destination de l’UE.

Kaïlí nie elle aussi ces accusations, affirmant tout ignorer des sommes trouvées chez elle et son père. Mais son compagnon, Francesco Giorgi, passe aux aveux. Il reconnaît appartenir à une organisation travaillant au service du Qatar, dénonce le rôle d’eurodéputés comme Marc Tarabella ou son ancien chef Andrea Cozzolino… Et, surtout, il révèle que Maroc a, lui aussi, joué un rôle dans les malversations.

Là encore, Panzeri se trouve au cœur de l’affaire. Son épouse, Maria Colleoni, et sa fille, Silvia Panzeri, ont été placées en résidence surveillée pour avoir transporté des cadeaux offerts par l’actuel ambassadeur marocain en Pologne, Abderrahim Atmoun. Des documents saisis lors de perquisitions à son domicile italien contiennent des conversations de Panzeri avec sa femme, évoquant l’utilisation d’une carte de crédit appartenait à un tiers surnommé « le géant » (qui serait Atmoun), ou encore l’ouverture d’un compte belge permettant à Colleoni d’exercer un contrôle sur les « combines » (sic) bruxelloises de son mari. Les pots-de-vin marocains auraient visé à influencer des questions diverses, comme la négociation des droits de pêche entre Rabat et l’UE, la légitimation de son action au Sahara occidental ou la gestion du culte musulman en Belgique.

L’implication du Maroc est confirmée « à demi-mot » par le ministre de la justice belge Vincent Van Quickenborne, qui laisse entendre que l’enquête des autorités belges (initiée en 2019 suite à des renseignements venant de « partenaires étrangers ») visait à l’origine le Maroc plutôt que le Qatar.

De nouveaux éléments viennent étayer l’enquête en janvier 2023, lorsqu’Antonio Panzeri passe aux aveux après avoir signé un accord avec les autorités belges. Reconnaissant avoir été « l’un des principaux dirigeants d’une organisation criminelle […] en lien avec le Qatar et le Maroc », il désigne Tarabella comme principal bénéficiaire des « cadeaux venant du Qatar » (ce que ce dernier nie fermement). Il cite également d’autres noms, comme celui du chef de la Confédération syndicale internationale Luca Visentini, qui aurait bénéficié du soutien du Qatar pour son élection et de versements en liquide de la part de M. Panzeri.

Mises bout à bout, ces révélations dressent ainsi le tableau d’une vaste organisation criminelle, impliquant anciens et actuels eurodéputés, assistants parlementaires, ONG et organisations syndicales. L’enquête continue, dirigée par Michel Claise, un juge connu pour son combat contre la criminalité en col blanc. Le 13 avril dernier, Tarabella et Panzeri ont quitté leurs prisons respectives pour être placés en détention préventive sous surveillance électronique (DPSE) – un système de surveillance par GPS, sans droit de sortie du domicile. Le lendemain, c’est Eva Kaïlí qui connaissait le même sort. Giorgi reste en liberté surveillée avec port de bracelet électronique, et l’extradition de Cozzolino vers la Belgique a été reportée par la justice italienne. Tous ont vu leur immunité parlementaire levée suite à leurs arrestations respectives.C’est l’écosystème politique européen dans son ensemble qui se trouve mis en cause.

Lobbying, groupes d’intérêts : tout à refaire ?

Le Qatargate a ainsi ravivé des critiques préexistantes sur le manque de transparence dans les relations entre les députés européens et les groupes d’intérêts, qu’ils soient liés à des lobbys ou à des États étrangers.

Suite au scandale, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola a déclaré dans l’hémicycle bruxellois que « la démocratie européenne [était] attaquée », et annoncé que plusieurs mesures seraient mises à l’étude. Elle a notamment évoqué la limitation de la présence de représentants d’intérêts à des événements organisés au Parlement, ou encore l’interdiction des groupes d’amitié non-officiels avec des pays tiers.

La première mesure concrète a été annoncée le 17 avril : les anciens eurodéputés auront dorénavant interdiction de pratiquer des activités de lobbying pendant une période de six mois après la fin de leur mandat. Cible de fréquentes critiques, le lobbying est encadré depuis 2021 par un registre de transparence qui répertorie les entités menant des activités de lobbying en Europe. À l’heure actuelle, plus de 12 000 organisations – environ 50 000 individus — y sont inscrites. Les organisations doivent y remplir une déclaration annuelle indiquant le nombre et le nom des lobbyistes, les dépenses effectuées, l’objet de leurs activités et leur forme (événements, communications, réunions avec des membres de la Commission…).

Toutefois, l’inscription n’y est obligatoire que pour certaines activités, comme la participation à des auditions, l’obtention d’une accréditation au Parlement ou la rencontre de commissaires européens. Par ailleurs, cette obligation est souvent jugée inopérante. L’ONG de Panzeri, Fight Impunity, a par exemple pu pénétrer les locaux du Parlement sans être inscrite au registre. Autre limite : cette obligation ne concerne pas les représentants de pays non-Européens. Jusqu’ici, elle ne concernait pas non plus les anciens eurodéputés, qui auront désormais l’obligation de s’y inscrire (passé le délai de six mois).

Par ailleurs, les lobbyistes marocains enregistrés dans le registre ont été interdits d’entrée au Parlement tant que l’enquête se poursuivra. Pendant cette période, les eurodéputés ne seront pas autorisés à effectuer des déplacements officiels au Maroc.

Nouveau paquet anticorruption, organe éthique commun : des propositions sont à l’étude

Metsola a également présenté un projet de paquet anticorruption avec de nouvelles mesures liées aux activités des députés. Il s’agit notamment de renforcer les sanctions face aux inconduites, la transparence des cadeaux et voyages hors UE et la formation des assistants parlementaires aux règles éthiques.

Ces annonces ont reçu un accueil mitigé. Le Réseau européen d’éthique publique, créé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’UE, a appelé la Commission à inclure davantage de mesures préventives : harmoniser la définition du conflit d’intérêt, mieux réglementer les déclarations des élus en matière d’intérêts et de patrimoine, mieux contrôler les liens entre secteurs public et privé… Plus généralement, il estime que la corruption ne pourra être efficacement combattue que par l’institution de standards communs aux membres de l’UE.

D’autres critiques, comme l’eurodéputée Manon Aubry (qui avait partagé ses soupçons sur une possible infiltration du Qatar au Parlement avant que l’affaire n’éclate), jugent que le Parlement devrait appliquer des résolutions précédemment évoquées, comme la création d’une commission d’enquête interne, la nomination d’un vice-président en charge de la lutte anticorruption ou une collaboration accrue entre le Parquet européen et l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF). L’idée d’un organe éthique commun à toutes les institutions européennes a notamment été remise sur la table, soutenue par plusieurs eurodéputés. Cet organe indépendant permettrait d’ouvrir des enquêtes sur les potentiels conflits d’intérêts au sein des institutions européennes, et fournirait des recommandations sur les questions d’éthique. Cette proposition, émise en 2019 par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, sera étudiée par la Commission dans les mois à venir.

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