Europe de la compliance : ce à quoi doivent se préparer les entreprises

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L’efficacité de la compliance européeenne dépend de la coopération entre états membres

À l’heure où la compliance est devenue une composante majeure du monde des affaires, l’idée de « compliance européenne », voire d’une « Europe de la compliance », s’impose de plus en plus fortement. Lutte contre la corruption et le blanchiment, protection des droits humains, punition des fraudes en tout genre… Chaque année, de nouvelles réglementations sont adoptées à l’échelon européen afin de doter l’Union Européenne d’instruments pour propager une véritable éthique des affaires.

Alors qu’un Parquet européen vient à peine de voir le jour, nous vous proposons un tour d’horizon rapide, pour comprendre ce à quoi les entreprises devraient se préparer pour les prochaines années.

Vers une stratégie européenne de la compliance 

À l’origine, la préoccupation européenne pour les sujets de compliance était surtout perçue comme une conséquence des sanctions extraterritoriales américaines. De 2008 et 2018, par exemple, les entreprises européennes ont représenté pas moins de 60% des 26 plus lourdes condamnations FCPA (Foreign Corrupt Practices Act), pour un montant total de $5 339 milliards. L’élaboration d’une politique de compliance, à la fois au niveau des États membres et au niveau européen, est donc en bonne partie issue de la volonté de rééquilibrer le rapport de force international, et de protéger les entreprises européennes face à l’omnipotence judiciaire américaine.

Mais au-delà de ces enjeux initiaux, la compliance s’est progressivement imposée comme un thème européen à part entière. Entre les directives antiblanchiment destinées à lutter contre les transferts illicites de fonds et le financement du terrorisme, l’intérêt croissant de la Commission pour la Responsabilité sociale des entreprises, et la mise en place du Règlement général sur la protection des données (RGPD), l’UE. ne cesse de diversifier ses leviers juridiques pour placer la compliance au cœur du droit communautaire.

Dans cette course à la compliance, les entreprises sont en première ligne. On l’a vu d’abord avec l’émergence de législations nationales, comme la loi Sapin 2 en France ou le UK Bribery Act au Royaume-Uni, qui ont chacune constitué une petite révolution pour la conformité en entreprise. Aujourd’hui ce modèle de compliance, dans lequel les entreprises sont responsables de s’approprier la loi, notamment par la mise en place de programmes de conformité à la française, semble en voie de s’imposer à l’échelle européenne.

Cette volonté politique s’est notamment manifestée au travers de la résolution sur le devoir de vigilance, votée en mars 2021 par le Parlement européen. Dans la lignée de la loi française, elle vise à faire adopter « des exigences contraignantes imposant aux entreprises d’identifier […] les effets préjudiciables potentiels et/ou réels pour les droits de l’homme, l’environnement et la bonne gouvernance dans leur chaîne de valeur, ainsi que d’en rendre compte, de s’y attaquer et d’y remédier ». Comme avec Sapin 2, il s’agit donc de soumettre les entreprises à des obligations de reporting et de prévention de la corruption (alerte interne, contrôle des tiers, etc.). Pour s’assurer de la mise en œuvre des mesures en question, une ou plusieurs autorités seraient désignées dans chaque État.

Cette résolution devrait donner lieu à une directive européenne d’ici fin 2021, qui s’appliquerait à l’ensemble des entreprises établies dans l’UE, mais aussi aux entreprises étrangères qui exercent une activité sur le marché européen. Si une telle disposition est adoptée, toutes les entreprises seront concernées indépendamment de leur taille et de leur forme sociale… Y compris, par exemple, les PME qui ne sont pas assujetties à la loi Sapin 2. L’évolution à venir du droit européen vient donc compléter la longue liste des raisons pour lesquelles ETI et PME devraient dès maintenant s’astreindre aux mêmes normes de conformité que les grandes entreprises, comme nous l’avions déjà l’abordé dans cet article.

Parquet européen : la compliance au cœur du droit communautaire

L’une des nouveautés majeures du droit européen est ainsi la création d’une instance judiciaire : le Parquet européen. Créé fin 2020 par 22 des États membres, le Parquet européen est entré le fonction le 1er juin 2021. Implanté au Luxembourg, il constitue une nouvelle autorité judiciaire à part entière, dont la mission est d’enquêter et de poursuivre les fraudes au budget de l’UE, ou toute autre infraction portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. La palette des crimes poursuivis est donc large : corruption, escroqueries à la TVA, détournement de fonds publics…

Là encore, la compliance est appelée à jouer un rôle normatif, en contraignant les États membres à sanctionner la corruption, ou encore en obligeant les entreprises de taille significative à la prévenir et à la détecter. Avec ce Parquet, on assiste aussi à la montée en puissance d’une compliance environnementale, par exemple avec l’instauration d’un tribunal spécialement dédié aux délits environnementaux, ou encore la création des Conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP)  en matière environnementale.

Des doutes demeurent néanmoins quant à l’efficacité future de ce Parquet : d’abord, parce qu’il ne sera pas en mesure de punir les actes de corruption transnationale qui ne portent pas directement atteinte aux intérêts financiers de l’UE. Aussi certains États veulent-ils d’ores et déjà élargir ce champ d’action : selon les recommandations émises fin 2020 par la commission « Pour un droit européen de la compliance » du Club des juristes, présidé par l’ancien premier ministre Bernard Cazeneuve, l’objectif est d’« étendre, à terme, la compétence du parquet européen à tous les actes de corruption internationale, qu’ils portent atteinte ou non aux intérêts financiers de l’UE. »

L’autre critique majeure concernant l’efficacité du Parquet renvoie à la structure hybride de l’UE elle-même. En effet, le Parquet fera cohabiter deux échelons décisionnels : à l’échelon central, les procureurs européens auront l’initiative des enquêtes et des poursuites. Ces dernières seront ensuite renvoyées à l’échelon décentralisé, celui des juridictions nationales, où les procureurs nationaux prendront le relais des opérations. L’impact réel de ce système à deux échelles dépendra donc également de la coopération des États membres avec l’échelon central.

Une efficacité conditionnée par celle des États membres

Plus généralement, pour que ce modèle européen porte ses fruits, les États membres doivent aligner les législations nationales sur les lois européennes.

Dans le cas de la France, par exemple, un certain nombre de propositions ont déjà été formulées afin de transcrire la stratégie européenne à l’échelle nationale – notamment via le rapport du Club des juristes (cité plus haut). Certaines mesures renvoient directement à l’alignement sur les lois européennes, comme la transposition dans le droit français de la directive du 23 octobre 2019 sur les lanceurs d’alerte. D’autres ciblent certains secteurs d’activités, comme la banque, l’assurance et l’investissement, que le rapport recommande de soumettre au respect de nouvelles clauses anticorruption.

D’autres encore visent à améliorer l’efficacité de certaines institutions nationales, « tant dans leur action que dans leur gestion budgétaire et humaine ». Le rapport préconise notamment la fusion de l’Agence Française Anticorruption (AFA) et de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), en une seule entité indépendante. Actuellement, l’AFA exécute des missions de conseil et de contrôle auprès du secteur privé, et l’HATVP se concentre sur la surveillance de la vie politique française et du secteur public. Selon Bernard Cazeneuve, cette fusion permettrait d’« unifier la lutte contre la corruption », à condition de ne pas « les fusionner de manière trop précoce » pour ne pas « perturber l’exercice de leurs missions respectives ».

Une telle fusion pourrait avoir des conséquences très concrètes pour les entreprises : les partisans de la fusion évoquent la possibilité de renforcer les capacités d’investigation de l’AFA, mais aussi de lui attribuer un pouvoir de sanction. Si elle ne semble pas d’actualité à très court terme, cette proposition signale néanmoins la possibilité future d’un autorité unique, doté de pouvoirs étendus sur le terrain – ce qui pourrait participer à simplifier la coordination avec l’échelon européen.

Enfin, l’efficacité d’une compliance européenne dépend aussi de la coopération entre les États membres. A l’heure actuelle, un projet comme Datacros, un outil d’exploitation des données pour détecter la corruption, illustre le type de coopération qui peut être entreprise pour parvenir à de meilleurs résultats à l’échelle régionale. Encore au stade de prototype, ce projet est le fruit d’un partenariat entre des organismes français (AFA), espagnol (CNP) et italien (IRPI).

Au-delà des textes de loi communautaires, l’émergence d’une véritable « Europe de la compliance » dépendra donc aussi des volontés politiques nationales, et de l’harmonisation effective des législations des états autour d’un standard européen commun. Quoi qu’il advienne exactement, les entreprises européennes ont tout intérêt à suivre ces évolutions, afin d’être prêtes à adapter leurs dispositifs anticorruption à la lumière des nouvelles législations.

Sources

Droit Européen

France

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