Enquêtes internes anticorruption : les bonnes pratiques selon l’AFA

L’enquête interne anticorruption doit être réalisée en bonne et due forme
L’enquête interne anticorruption doit être réalisée en bonne et due forme selon la loi Sapin 2

Pratique plutôt anglo-saxonne à l’origine, l’enquête interne anticorruption s’est propagée au sein des entreprises françaises suite à l’essor de législations extraterritoriales comme le FCPA américain (Foreign Corrupt Practices Act). Elle a donc d’abord servi à coopérer avec les autorités de poursuite et, dans la mesure du possible, leur montrer patte blanche. Mais aujourd’hui, l’enquête interne est devenue une pratique bien connue des entreprises françaises, au cœur des mesures anticorruption instaurées par la loi Sapin 2.

Elle est aussi devenue une condition sine qua non pour conclure une CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public), la procédure permettant de négocier avec la justice française en cas de poursuites pour faits de corruption. En 2019, les lignes directrices communes publiées par le PNF et l’AFA ont signalé que pour bénéficier d’une CJIP, l’entreprise doit avoir « activement participé à la manifestation de la vérité au moyen d’une enquête interne ou d’un audit approfondi sur les faits ».

On parle d’enquête interne lorsqu’une organisation, de sa propre initiative, mène des investigations sur des faits susceptibles d’être qualifiés de corruption. Contrairement à une enquête judiciaire, menée par des enquêteurs spécialisés sous l’autorité du juge d’instruction, l’enquête interne n’est pas obligatoirement prise en compte par l’autorité judiciaire. En revanche, elle peut fournir des informations essentielles pour faire avancer une enquête judiciaire ou la conclusion d’une CJIP… A condition d’avoir été réalisée en bonne et dûe forme.

Pour aider les entreprises à réaliser des enquêtes internes conformes aux exigences Sapin 2, l’AFA (Agence Française Anticorruption) a récemment publié pour consultation un projet de guide pratique que nous vous présentons ici. Le cas échéant, les contributions peuvent être envoyées avant le 8 avril 2022 à consultation.afa@afa.gouv.fr.

Quand faut-il déclencher une enquête interne ?

Une enquête peut être déclenchée suite à des alertes internes ou externes. Rappelons que la mise en place d’un système d’alerte anticorruption est obligatoire pour les entreprises de plus de 500 salariés et réalisant 100 millions d’€ de chiffre d’affaires, afin de permettre aux salariés ou aux tiers de signaler des infractions. Cette obligation s’impose aussi à certaines PME, puisque les entreprises d’au moins 50 salariés doivent créer un dispositif pour recueillir les signalements.

Suite à l’alerte, l’instance dirigeante doit décider si une enquête interne est nécessaire pour confirmer ou infirmer les faits. Si la décision de diligenter une enquête a été déléguée à un comité ad hoc, ce dernier doit en informer l’instance dirigeante, notamment dans les cas les plus sensibles.

Le même cas de figure se présente si la potentielle inconduite est révélée par un contrôle interne, l’audit d’un tiers ou un contrôle initié par une autorité publique. Par exemple, si un contrôle détecte des informations comptables inexactes, l’enquête doit déterminer si ces anomalies proviennent d’une erreur ou d’une fraude avérée.

En d’autres termes, l’enquête est nécessaire dès qu’il existe un doute. Si l’entreprise a la preuve qu’une infraction pénale a été commise, la réaction immédiate la mieux adaptée consiste à la signaler aux autorités judiciaires le plus tôt possible afin d’éviter d’être tenu responsable de l’inconduite. Ensuite, il peut être utile d’ouvrir une enquête interne en parallèle de l’enquête judiciaire : l’entreprise montre ainsi sa volonté de coopérer avec les autorités en communiquant toutes les informations dont elle dispose.

Enfin, si des inconduites ont été révélées par la presse, l’ouverture d’une enquête interne peut servir la communication de l’entreprise, en témoignant que celle-ci prend au sérieux les accusations portées à son encontre.

Là encore, le timing est clé : plus tôt l’entreprise annoncera l’ouverture d’une enquête interne, plus sa démarche sera prise au sérieux. De même, la dénonciation d’inconduites à la justice peut participer à la minoration de l’éventuelle amende infligée dans le cadre d’une CJIP, mais seulement si elle est considérée comme « précoce et sincère ».

Quels points de vigilance ?

De nombreux facteurs peuvent nuire à la recevabilité des éléments apportés par l’entreprise dans le cadre d’une procédure judiciaire : soupçon d’altération de preuves, dépassement des délais de prescription judiciaire, violation des droits des salariés au cours de l’enquête… Si des preuves sont recueillies par des méthodes illicites, l’entreprise peut subir des conséquences civiles (verser des dommages et intérêts à un salarié dont les droits n’auraient pas été respectés) ou même une condamnation pénale.

L’AFA recommande donc de formaliser un plan en amont de toute enquête :

  • Les critères de déclenchement
  • Les étapes d’une enquête et les acteurs intervenant à chaque étape. Si la procédure est externalisée, elle doit garantir l’absence de conflit d’intérêt. Par exemple, si elle est confiée à un avocat, ce dernier devrait être différent de celui qui assure la défense des salariés visés.
  • Les méthodes pouvant être mises en oeuvre
  • Les mesures de confidentialité et les modalités de conservation des données
  • Les critères pour déterminer les suites à donner à l’enquête

L’employeur a l’obligation d’informer son comité social et économique de l’ensemble des moyens d’enquête sur les salariés pouvant être utilisés. Idéalement, une « charte de l’enquête interne » peut être mise à disposition des collaborateurs.

Rappelons aussi qu’en droit français, le salarié visé par une enquête interne doit en être informé. Sinon, la justice peut considérer que les informations à son sujet sont irrecevables, car obtenues de manière « déloyale ». De son côté, le salarié doit collaborer à l’enquête, et se présenter aux entretiens organisés pendant son temps de travail. S’il refuse, l’employeur est en droit d’en tirer des conséquences disciplinaires.

Enfin, il est « fortement recommandé » de rédiger un rapport d’enquête interne afin de consigner l’ensemble des actions réalisées et des faits recueillis. L’AFA en fournit un plan-type à la page 25 de son projet de guide. Si l’enquête est réalisée dans le cadre d’une CJIP, ce rapport doit être transmis aux autorités judiciaires. Il constitue alors un gage de la volonté de coopérer de l’entreprise, et « un indice de la solidité du dispositif de conformité anticorruption de la personne morale, que le parquet devra apprécier avec le soutien de l’AFA ».

Quelles suites après l’enquête ?

Les suites à donner à l’enquête doivent être déterminées par l’instance dirigeante, rapport à l’appui. Si les soupçons étaient sans fondement, l’enquête est clôturée et le rapport d’enquête doit être archivé dans la plus stricte confidentialité. Le données permettant d’identifier l’auteur du signalement et les personnes visées doivent soit être anonymisées, soit détruites au maximum deux mois après la fin de l’enquête.

Si des infractions ont été avérées, des procédures judiciaires et/ou disciplinaires peuvent être entamées, conformément au règlement intérieur de l’entreprise. La procédure disciplinaire doit être engagée dans les deux mois après la fin de l’enquête, par une convocation à un entretien préalable, une mise à pied conservatoire ou la notification d’une sanction.

Au-delà de ces exigences, l’entreprise est libre des suites à donner à l’enquête. Mais l’AFA recommande de prononcer des sanctions disciplinaires afin de ne pas donner l’impression de valider les agissements délictueux, et de rappeler à l’ensemble des salariés que face à la corruption, l’entreprise a une « tolérance zéro ».

L’AFA soumet donc ce projet de guide pratique à une consultation publique afin de l’enrichir avec le retour d’expérience des praticiens avant la publication de la version définitive. Les observations éventuelles peuvent être envoyées par e-mail avant le 8 avril 2022 à consultation.afa@afa.gouv.fr

Sources

AFA : Guide pratique : Les enquêtes internes anticorruption (projet)

Skan 1 Outlook : Conflits d’intérêts en entreprise : focus sur le guide pratique de l’AFA

CNIL : RGPD : Droits de la personne concernée

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Le contenu de cette publication n’est fourni qu’à titre de référence. Il est à jour à la date de publication. Ce contenu ne constitue pas un avis juridique et ne doit pas être considéré comme tel. Vous devriez toujours obtenir des conseils juridiques au sujet de votre situation particulière avant de prendre toute mesure fondée sur la présente publication.