Récompenser les lanceurs d’alerte : une nouvelle idée pour la vieille Europe

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Directive Européenne sur les lanceurs d’alerte

Il nous a semblé intéressant de vous présenter ici cette tribune de Mark Worth, engagé dans une intense campagne en faveur du paiement de récompenses aux lanceurs d’alerte en Europe. Ce serait selon lui une avancée capitale à l’heure ou une récente directive européenne se contente d’exiger leur protection renforcée de la part des états membres.

Mark Worth est entre autres le directeur exécutif du European Center for Whistleblowing Rights. Il est l’un des meilleurs experts mondiaux en matière de politique et de pratique de dénonciation des abus. Il est notamment l’auteur de nombreux écrits sur le sujet.


Peut-être est-ce à cause de son scepticisme à l’égard du libre marché ? Ou de sa méfiance à l’égard de tout ce qui est américain. Ou encore de sa boussole morale et de ses valeurs philosophiques façonnées par plus de 2 000 ans de civilisation…

Quelles qu’en soient les raisons, la plupart des citoyens de la vieille Europe et leurs élus sont depuis longtemps mal à l’aise avec l’idée de récompenser financièrement les lanceurs d’alerte. Pour les Européens, ces derniers devraient dénoncer les manquements constatés uniquement par sens de la justice et du devoir civique, non parce qu’ils pourraient en tirer profit. Payer les gens pour faire ce qui est juste risquerait d’affaiblir la portée de ce geste et pourrait le vider de son sens altruiste : c’est ce que prescrit l’éthique européenne.

Mais le moment est venu pour l’Europe de consentir à sacrifier une part infime de son intégrité morale pour permettre en contrepartie un immense pas en avant pour la société tout entière.

En effet, les 27 pays de l’Union européenne doivent a priori adopter une loi globale de protection des lanceurs d’alerte d’ici décembre prochain. Cette obligation est prévue par une nouvelle directive européenne approuvée en octobre 2019. Bien que les mesures de protection prévues par cette directive soient solides et strictes, elle ne prévoit pas en revanche de récompenser les lanceurs d’alerte. C’est à mon sens une occasion à saisir absolument pour lancer ce débat indispensable.

Quatre organismes travaillent en ce moment intensément ensemble pour convaincre les législateurs d’aller au-delà de la directive, et d’inclure ainsi des récompenses financières dans leurs nouvelles lois nationales. Le National Whistleblower Center, le cabinet d’avocats Kohn, Kohn & Colapinto, Whistleblowing International et le European Center for Whistleblower Rights estiment de fait que de tels dispositifs encourageraient davantage de personnes à révéler les comportements répréhensibles, et permettraient de lutter plus efficacement contre la corruption.

Les premiers pays ciblés par cette campagne sont ceux qui élaborent en ce moment de nouvelles lois : L’Allemagne, la Finlande, la Grèce, l’Irlande, les Pays-Bas, la République tchèque, la Suède et le Royaume-Uni, bien qu’il ne soit plus membre de l’UE.

L’indemnisation des personnes qui prendraient le risque de dénoncer des abus pourrait ainsi devenir le moteur idéal pour créer en Europe une culture citoyenne de lutte contre la criminalité en col blanc. Malgré certaines affaires très médiatisées telles que les Lux Leaks et l’affaire Bradley Birkenfeld / UBS, le vieux continent ne réunit pas, et loin de là, toutes les conditions nécessaires pour en faire un élément moteur et une future place forte de la lutte anticorruption. Certains pays ne reconnaissent pas officiellement les lanceurs d’alerte, et dans de nombreux autres, seules quelques affaires surviennent chaque année. Les juges prononcent d’ailleurs régulièrement des jugements défavorables à l’encontre des lanceurs d’alerte, et les réintégrations sont par exemple rares.

Offrir des récompenses aux lanceurs d’alerte permettrait donc non seulement d’augmenter le nombre d’affaires soulevées, mais aussi d’obtenir de meilleurs résultats à l’issue des procédures ainsi déclenchées. Tels sont les objectifs de cette campagne :  encourager les lanceurs d’alerte en les récompensant, médiatiser les cas ayant abouti à une condamnation, veiller en parallèle à ce que les lois sur les lanceurs d’alerte soient efficaces et bénéfiques pour la population dans son ensemble, réclamer des comptes aux criminels et enfin développer une véritable culture de lanceurs d’alerte là où il n’en existe encore pratiquement pas.

Ces dispositifs pourraient aussi rapporter d’importants bénéfices financiers indirects à la société européenne. Une étude de l’UE de 2019 a révélé que la mise en place d’une protection solide des lanceurs d’alerte pourrait permettre d’économiser entre 5,8 et 9,6 milliards d’euros par an dans le seul domaine des marchés publics. Ce chiffre pourrait augmenter significativement avec l’introduction des récompenses, ce qui a déjà été constaté en Corée du Sud et aux États-Unis.

L’ironie de la situation est que l’Europe – avec ses élites politique et business – demeure tout aussi corrompue que n’importe quelle autre région du monde. Compte tenu de l’ampleur et de la gravité des scandales récents, on pourrait même dire que c’est la région la plus touchée par ce fléau : blanchiment d’argent à la Danske Bank, escroquerie au Dieselgate de Volkswagen, corruption politique endémique en Espagne et corruption systémique chez Siemens et Novartis… Et ce mois-ci, le cas tout simplement inimaginable du conglomérat allemand de paiement numérique Wirecard qui a admis avoir « perdu » la trace de 2 milliards d’euros, peu de temps après s’être vanté publiquement, entre autres, que ses comptes étaient bien tenus.

Alors aussi indigne que cela puisse leur sembler en apparence, les Européens ont donc beaucoup à apprendre des lois américaines récompensant les lanceurs d’alerte et de leurs résultats probants. Parmi elles, nous pouvons notamment citer la loi sur les fausses créances (False Claims Act), la loi sur les pratiques de corruption à l’étranger (Foreign Corrupt Practices Act), la loi sur la prévention de la pollution par les navires (Act to Prevent Pollution from Ships) et les programmes de lanceurs d’alerte mis en place par l’IRS et la SEC.

A travers cette campagne, j’espère que les Européens comprendront qu’une politique de lanceur d’alerte efficace peut récompenser aussi bien les citoyens que la société tout entière. Il y a une valeur aux deux extrémités de l’équation.

Cet article a été traduit par Jean-Charles Falloux et Franck Métay et republié avec l’autorisation de Marc Worth et du blog « Front Line Whistleblower News ».

Lire aussi : $ 168 millions versés à 13 lanceurs d’alerte en 2018 par la SEC

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