Conseil de lecture : affaire Alstom, « Le piège américain » s’est-il refermé sur la France ?

Le piège americain de Frédéric Pierucci sur l'affaire Alstom - fcpa loi contre la corruption
L’otage de la plus grande entreprise de déstabilisation économique témoigne


Je vous propose un petit jeu. Je vais citer six entreprises, et vous devez deviner ce qui les réunit : Technip, Alcatel, Total, Alstom, Crédit Agricole, Société Générale… Vous avez trouvé ? Il s’agit de six fleurons de l’économie française qui ont subi les foudres de la justice américaine. Leurs torts ? Ne pas avoir respecté la loi le l’Oncle Sam. Les peines ? Souvent des amendes, comme les 9 milliards de dollars infligés à BNP. Parfois, la mise à mort brutale et impitoyable, comme les rachats de Technip, Alcatel ou Alstom. Dans un livre haletant paru aux éditions J-C. Lattès, Frédéric Pierucci, qui fut un cadre dirigeant d’Alstom aux Etats-Unis, nous en raconte l’histoire. Il démonte pièce par pièce les mécanismes de cette guerre économique. Pour vous plonger au coeur du « Piège Américain » et de ses enjeux, commençons ici par répondre à trois questions…

Comment les Américains ont-ils mis à terre Alstom ?

Au commencement, il y a des opérations de corruption perpétrées par Alstom en Asie du Sud-Est. C’est indéniable. Le délit est donc réel et sérieux. Mais Frédéric Pierucci explique que c’était monnaie courante dans les secteurs du transport et de l’énergie, et que les concurrents américains recourent aux mêmes pratiques, même si cela prend parfois des formes relativement différentes. Cela passe par leur pouvoir d’influence (« soft power »), l’externalisation de la corruption ou l’espionnage économique. Frédéric Pierucci rappelle à ce titre que l’espionnage commercial est considéré aux Etats-Unis comme partie intégrante de la « sécurité nationale, jouissant d’une priorité équivalente à l’espionnage diplomatique, militaire et technologique ». Nonobstant, ces faits de corruption constitués ont été le prétexte d’un harcèlement judiciaire américain permanent dont l’aboutissement a été le rachat pur et simple d’Alstom par son concurrent américain General Electric.
Les Américains ont ainsi mis en place un véritable arsenal, constitué de lois (FCPA…), d’une capacité d’espionnage économique (NSA), de relais avec les cabinets d’avocats, d’un pouvoir de pression politique, économique… Cela leur confère un pouvoir de saisine planétaire et leurs investigations sont toujours orientées. Quelles sont les entreprises les plus condamnées par les Américains pour corruptions ? Pas de compagnies chinoises, pas plus qu’asiatiques ou encore africaines. Non, aucune. Les cibles des Etats-Unis sont quasi-exclusivement européennes, et surtout… Françaises.

Comment fonctionne la justice américaine ?

Frédéric Pierucci, qui a été incarcéré aux États-Unis près de 2 ans dans le cadre de cette affaire, explique dans son ouvrage le fonctionnement du système judiciaire américain.
En résumé, le procureur y travaille à charge, à la différence de la France où la juge travaille à charge et à décharge. Aux Etats-Unis, les avocats plaident rarement. Ils jouent en réalité le rôle de négociateurs entre le prévenu et le procureur. Le prévenu doit également payer cette « défense ». Il est pratiquement contraint d’avouer les fautes que lui impute le procureur (même s’il est innocent) et de rechercher un accord.

Deux chiffres suffisent à montrer l’ampleur des effets pervers que peut entraîner cette « justice » à 2 vitesses (au minimum) : un citoyen noir américain sur trois fera au moins une fois un séjour en prison au cours de sa vie, et 25% des prisonniers dans le monde sont incarcérés aux États-Unis…

Quelles sont les conséquences de la vente d’Alstom ?

Avoir perdu le contrôle d’Alstom met tout simplement la France en situation de dépendance concernant la maintenance des 58 turbines du parc de centrales nucléaires situées sur le territoire métropolitain. General Electric (GE), qui a racheté Alstom, n’aura ainsi aucun scrupule à exercer un chantage lorsque le besoin s’en fera sentir, comme il l’a déjà fait dans le passé. Ce fut par exemple le cas en 2016, lorsque GE a suspendu ses services durant quelques jours pour exercer des pressions sur EDF dans le cadre de négociations sur les contrats d’entretien.

Surtout, au travers de GE, La France se trouve plus que jamais à la merci du gouvernement américain. De toute évidence, GE se pliera à toutes les demandes du patron de la Maison Blanche. Les précédents sont multiples. Récemment, on a par exemple vu Google ne plus proposer Android à Huawei sur demande de Donald Trump. La France est donc désormais coincée entre GE et le gouvernement américains pour le sujet stratégique de la maintenance de nos turbines… Et donc pour la fourniture d’électricité en France. Comme le résume sobrement l’auteur, « nous sommes dans le noir ».

Qu’en conclure ?

Dans l’épilogue, Frédéric Pierucci convoque François Mitterrand. Et l’on se rend compte que l’ancien Président avait tout compris de la guerre économique qui nous oppose à notre allié. Voici ce qu’il nous dit, des propos recueillis par George-Marc Benamou pour son livre Le Dernier Mitterrand : « La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. » Le piège américain s’est-il refermé sur la France ?

Lire aussi : Etats-Unis et France : les salariés, laissés pour compte de la justice négociée dans les affaires de fraude ou de corruption

Jérôme Bondu
Directeur du cabinet de conseil en intelligence économique Inter-Ligere.fr



Pour en savoir plus :

> Vidéo : Interview de Frédéric Pierucci par ThinkerView

> Vidéo : Alstom, une affaire d’État ? Droit de suite, l’émission diffusée le 11/10/2017 sur LCP.

> Compte rendu de lecture : « Le droit, nouvelle arme de guerre économique« , d’Ali Laidi. Comment les États-Unis déstabilisent les entreprises européennes…

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