Argent sale, blanchiment, crypto-actifs : le Sénat exige une stratégie d’Etat et un plan global coordonné

En juin, la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance financière s’apprête à rendre ses conclusions
La commission sénatoriale a émis 50 propositions pour lutter contre la délinquance financière

Le 20 juin, la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance financière a rendu ses conclusions. Après plusieurs mois d’auditions diverses, ce rapport met en lumière la vulnérabilité croissante des services publics face à une criminalité financière de plus en plus structurée, souvent liée aux grands trafics. Le rapport chiffre le blanchiment annuel en France entre 38 et 58 milliards d’euros et décline près de cinquante recommandations pour instaurer une culture robuste de lutte contre l’argent sale.

Une commission pour prendre la mesure d’un phénomène tentaculaire

Depuis sa première réunion le 29 janvier 2025, la commission d’enquête a poursuivi ses travaux de manière discrète, entre auditions à huis clos et retransmissions en ligne. Créée à l’initiative du groupe Union Centriste, elle est née d’un constat alarmant : la criminalité organisée exerce une influence croissante en France, soutenue par des flux financiers massifs, souvent invisibles, qui fragilisent l’économie et les institutions publiques.

Pendant plusieurs mois d’auditions (ministres, magistrats, ONG, entreprises), l’objectif affiché était double : cartographier les circuits occultes et jauger l’efficacité des dispositifs actuels. Les conclusions sont alarmantes : le rapport déplore « l’absence de stratégie cohérente contre la délinquance financière», évoquant plutôt un « empilement d’outils» sans pilotage global.

Des efforts concrets sont néanmoins déjà en cours. Le 5 juin, la Police Judiciaire s’est dotée d’un nouvel organe de lutte contre la criminalité financière : la Brigade financière et anti-corruption (BFAC). Issue de la fusion de plusieurs services, cette structure vise à renforcer l’efficacité opérationnelle des enquêtes et à outiller les magistrats pour traiter des affaires complexes, notamment celles impliquant des composantes de cybercriminalité.

Plus généralement, le Parquet national financier (PNF), créé en 2014, illustre une prise de conscience progressive de la gravité du phénomène. Depuis sa création, il a ouvert 3 234 procédures, et le nombre de dossiers traités chaque année ne cesse d’augmenter, de 211 dossiers en 2014 à 766 en 2024. L’an passé, 97 personnes ont été condamnées, et 203,9 millions d’euros d’amendes ont été infligés. La quasi-totalité des affaires traitées concernent les finances publiques (46,9 %) et la probité (46,6 %), notamment la corruption internationale.

Mais pour la commission d’enquête, ces résultats restent insuffisants au regard de l’ampleur du phénomène. Par exemple, au sujet des fraudes aux aides publiques, la rapporteure Nathalie Goulet a critiqué une administration « absolument hermétique aux propositions de loi » qu’elle dépose depuis des années, et a appelé à des « sanctions exemplaires ».

Montants colossaux, moyens insuffisants

Les auditions ont révélé une criminalité financière à la fois hautement sophistiquée et désormais banalisée : recours massif aux crypto‑actifs, multiplication des sociétés-écrans et transferts de capitaux ultra‑rapides brouillent les pistes aussi vite qu’elles se créent. Face à ces montants colossaux, les forces de l’ordre peinent à suivre le rythme : si 1,129 milliard d’euros a été saisi en 2024, seules 2 % des sommes blanchies sont effectivement récupérées.

Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a évoqué des organisations disposant de « masses financières telles » qu’elles peuvent « infiltrer et corrompre» les agents publics. Les enquêteurs se heurtent selon lui à deux obstacles majeurs : la complexification croissante des procédures judiciaires et le manque d’attractivité de la filière financière, qui rend difficiles le recrutement et la rétention des spécialistes.

À Marseille, le procureur Nicolas Bessone confirme ce déséquilibre : pour traiter des flux illégaux jugés « massifs», la brigade financière ne compte que 26 agents, répartis entre affaires de probité et de délinquance financière. Au niveau national, l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) réunit 100 enquêteurs — un effectif notoirement insuffisant face à l’ampleur du phénomène.

« Tous les secteurs sont touchés par cette délinquance financière », a rappelé Christophe Perruaux. Le directeur de l’Office national anti-fraude (ONAF) a parlé d’une véritable « systématisation des attaques contre les dispositifs de distribution d’argent public » : fin 2023, 70 % des demandes étudiées se sont avérées frauduleuses. Si l’ONAF, qui compte aujourd’hui 345 agents (dont 260 officiers de douane judiciaire et 65 officiers fiscaux judiciaires à venir), voit ses compétences élargies à la lutte contre le blanchiment, son périmètre d’action reste encadré : il ne peut ouvrir d’enquête qu’à la suite d’un signalement formel, sans pouvoir d’initiative propre.

Ce diagnostic partagé par l’ensemble des auditions met en lumière un verrou organisationnel : la juxtaposition d’entités spécialisées, sans pilotage global, creuse un retard structurel dans la lutte contre les grands trafics et l’escroquerie aux fonds publics.

50 propositions pour une lutte coordonnée

La commission sénatoriale propose plus de cinquante mesures destinées à édifier une véritable stratégie publique de lutte contre le blanchiment et la délinquance financière. D’abord, elle recommande de fiabiliser le diagnostic en instituant des bilans périodiques partagés entre Tracfin, l’Agence Française Anticorruption (AFA), les douanes et la justice, afin d’établir chaque année l’ampleur réelle des flux illicites et de détecter précocement les nouveaux montages (crypto‑actifs, hawala, sociétés éphémères). Pour ce faire, elle insiste sur l’abaissement des seuils d’assujettissement de la loi Sapin II et sur l’élargissement des prérogatives des greffiers des tribunaux de commerce pour traquer les montages de façade.

Ensuite, la commission veut consolider et coordonner les moyens opérationnels: la nouvelle BFAC doit se voir reconnaître un droit d’initiative d’enquête et pouvoir instruire le nouveau délit d’« escroquerie de finances publiques en bande organisée ». L’interopérabilité immédiate des systèmes d’information entre police judiciaire, douanes et fisc et la mise en place d’une formation commune (gendarmerie‑douanes‑police‑fisc) sur la cybercriminalité et les crypto‑actifs figurent parmi les préconisations clés.

Enfin, consciente du caractère transfrontalier de la criminalité financière, la commission invite la France à renforcer son positionnement international: durcir les conditions de sortie de la « liste grise » du GAFI, généraliser l’usage de la plateforme SIENA pour le partage automatisé des signalements, et étoffer le réseau des magistrats de liaison dans les ambassades. Elle suggère également de donner au ministère des Affaires étrangères un rôle de pilotage dans la désignation des personnes visées par les sanctions internationales, afin de garantir une riposte européenne et mondiale plus efficace.

Les sénateurs ont annoncé le dépôt imminent de deux textes de loi : l’un consacré à la prévention et à la répression du blanchiment, l’autre à la lutte contre la contrefaçon, pour traduire concrètement ces préconisations et instaurer, enfin, une « culture de la lutte contre l’argent sale ».

Sources :

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