Anticor de retour en première ligne après avoir récupéré son agrément

Anticor de retour en première ligne après avoir récupéré son agrément
Anticor est devenue en 20 ans un acteur incontournable dans la lutte anticorruption en France

Après plus d’un an d’incertitude, l’association anticorruption Anticor a officiellement retrouvé son agrément, le précieux sésame qui lui permet d’engager des procédures judiciaires au nom de l’intérêt général. Actuellement engagée dans 148 procédures, l’association s’est imposée comme un acteur incontournable dans le paysage des affaires politico-financières en France, tant par son rôle dans l’initiation de poursuites que par la saga mouvementée autour du renouvellement de son agrément… Sans oublier sa fameuse cérémonie annuelle, où les « prix éthiques » côtoient les « casseroles » pour récompenser les bons et dénoncer les mauvais élèves de l’éthique publique.

Un cheval de bataille : la lutte anticorruption

Créée en 2002 par le juge Éric Halphen et la femme politique Séverine Tessier, Anticor a pour mission de prévenir et de combattre la corruption au sein des institutions publiques et privées en France. L’association se veut non partisane et regroupe des citoyens et des élus de diverses tendances politiques, engagés pour faire respecter l’éthique et la transparence dans la gestion publique.

L’un des piliers de l’action d’Anticor est de proposer des réformes législatives, tout en menant des actions judiciaires contre des responsables politiques ou administratifs soupçonnés de corruption, de conflits d’intérêts ou d’inconduites financières. L’association revendique un modèle économique indépendant, reposant exclusivement sur les dons et les cotisations de ses membres, sans subventions.

Au fil des années, Anticor s’est affirmée comme un acteur incontournable dans la lutte contre la corruption en France, en s’impliquant dans plusieurs affaires politico-financières majeures. Cependant, son efficacité dépend en grande partie de son agrément, un outil juridique essentiel qui lui permet de se constituer partie civile dans des affaires de corruption. Depuis quelques années, le renouvellement de cet agrément a régulièrement fait l’objet de polémiques, révélant les tensions politiques entourant l’existence et l’action d’Anticor.

Un outil essentiel pour les associations

Il est important de distinguer deux types d’agréments dont bénéficie Anticor. Le premier, délivré par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), permet de saisir cette institution en cas de soupçons de conflits d’intérêts ou de non-respect des obligations de déclaration. Cet agrément, renouvelé en 2016 et en 2022, n’a jamais été au cœur des controverses.

Le second agrément, délivré par le ministère de la Justice, est crucial pour l’association. Il lui permet de se constituer partie civile dans des affaires de corruption, et ainsi d’accéder au juge d’instruction et de relancer les investigations lorsque le parquet a classé une affaire sans suite. Ce dispositif, mis en place par la loi du 6 décembre 2013, vise à contrer le risque d’interférence politique dans des affaires politico-financières. En effet, lorsque le parquet, hiérarchiquement soumis au ministre de la Justice, refuse des poursuites, un seul recours existe : la constitution de partie civile, qui nécessite cet agrément ministériel.

Cet agrément doit être renouvelé tous les trois ans. À l’heure actuelle, seules trois associations anticorruption l’ont obtenu. Transparency International, agréée depuis 2014, et Sherpa, agréée depuis 2015, ont vu leur agrément renouvelé sans difficulté majeure. En revanche, l’histoire de l’agrément d’Anticor est bien plus houleuse, marquée par des tensions avec les autorités, surtout lors des périodes où l’association a pointé du doigt certains responsables politiques en exercice.

L’agrément d’Anticor, une saga chaotique

Anticor a obtenu cet agrément pour la première fois en 2015 sous la garde des Sceaux Christiane Taubira, puis à nouveau en 2018 avec Nicole Belloubet. Cependant, à partir de 2021, le renouvellement de cet agrément a pris une tournure chaotique. Alors que l’association faisait face à des critiques internes et externes, notamment à la suite d’un don de 64 000 € de l’homme d’affaires Hervé Vinciguerra, ami d’Arnaud Montebourg, des recours en justice ont été déposés pour contester son agrément. L’un de ces recours était défendu par Frédéric Thiriez, l’avocat de Richard Ferrand, ancien président de l’Assemblée nationale et cible de l’une des plaintes d’Anticor.

En juin 2023, le tribunal administratif de Paris révoque l’agrément de l’association, estimant que certaines critiques étaient fondées. Malgré plusieurs recours, la décision est confirmée en appel, contre l’avis du rapporteur public selon lequel Anticor remplissait les conditions d’indépendance et de transparence nécessaires. Pendant plusieurs mois, Anticor se retrouve dans une situation juridique incertaine, essuyant de nombreux refus et attendant une explication.

En janvier 2024, Anticor hausse le ton et dépose un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif, exigeant les justifications qui lui sont légalement dues. Le 4 septembre 2024, le juge des référés condamne l’État à une astreinte de 1 000 euros par jour de retard pour non-respect de la décision de justice ordonnant au Premier ministre de réexamine la demande d’agrément sous 24 heures. Le lendemain, Gabriel Attal rétablit l’agrément. Ces nombreux retournements ont suscité un vif débat sur les raisons de ces retards et sur la place de l’association dans la lutte contre la corruption en France.

Un fort impact sur le monde politico-judiciaire

La liste d’affaires politico-judiciaires dans lesquelles Anticor a joué un rôle actif, en déposant plainte avec ou sans constitution de partie civile, révèle des attaques ciblant des figures politiques de premier plan, provoquant des tensions avec les gouvernements successifs. Parmi les plus emblématiques, on peut citer :

  • L’affaire des sondages de l’Elysée : en 2010, Anticor porte plainte pour favoritisme suite à la publication d’un rapport de la Cour des comptes sur une convention entre l’Élysée et Publifact, société de Patrick Buisson, signée sans respecter les règles de concurrence. En 2022, Buisson est condamné à deux ans de prison avec sursis, et l’ancien secrétaire général Claude Guéant à un an de prison, dont huit mois ferme. Ce dernier a fait appel de cette décision.
  • L’affaire des Mutuelles de Bretagne : en 2017, Richard Ferrand, alors Ministre de la Cohésion des Territoires, est soupçonné d’avoir abusé de ses fonctions en tant que Directeur Général des Mutuelles de Bretagne, pour permettre à sa compagne d’acquérir un immeuble à moindres frais. Alors que l’enquête a été classée, Anticor dépose plainte pour « prise illégale d’intérêt » en 2017, et Ferrand, devenu président de l’Assemblée nationale, est mis en examen en 2019. Le dossier est finalement clos en 2021 pour cause de prescription.
  • L’affaire Alexis Kohler : en 2018, Anticor dépose plainte contre Alexis Kohler, alors secrétaire général de l’Élysée, pour prise illégale d’intérêts en lien avec des décisions favorables au groupe MSC, et ses liens familiaux non divulgués avec ses actionnaires. Mis en examen en 2022, A. Kohler reste néanmoins en poste.
  • L’affaire Éric Dupond-Moretti : en 2023, Éric Dupond-Moretti, alors garde des Sceaux, comparait devant la Cour de justice de la République (CJR), chargée de juger les membres du gouvernement pour des délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, suite à une plainte déposée par Anticor en 2020. C’est la première saisine de la CJR pour « prises illégales d’intérêts ». Accusé d’avoir ordonné des enquêtes contre des magistrats avec lesquels il avait des différends, E. Dupond-Moretti est relaxé, faute de preuves suffisantes.

L’on peut encore citer, parmi d’autres, l’enquête sur les contrats russes d’Alexandre Benalla, l’« affaire Platini » et l’octroi du Mondial 2022 au Qatar, l’affaire Alstom-General Electric ou encore la procédure visant les affaires de Vincent Bolloré au Togo. Au fil de ces affaire, Anticor illustre sa capacité à « réactiver » des institutions longtemps inactives comme la CJR, ainsi que sa persistance face à des personnalités en poste de pouvoir.

2024, une double victoire pour Anticor

Cette série d’affaires montre bien pourquoi Anticor peut faire grincer des dents aux plus hauts échelons du pouvoir. Le renouvellement de son agrément, souvent présenté comme une question administrative, révèle en réalité un véritable bras de fer politique : l’association s’est imposée comme un contre-pouvoir gênant pour certains responsables politiques, qu’ils soient directement impliqués dans des scandales ou non.

Ces tensions interrogent sur la légitimité du mode de renouvellement de l’agrément. Des personnalités telles que François Molins, ancien procureur général près la Cour de cassation, suggèrent qu’il serait « plus sain » de confier ce renouvellement à une autorité indépendante comme la HATVP. La question demeure en suspens. Pour l’heure, avec son agrément fraîchement renouvelé, Anticor maintient sa position centrale dans la lutte pour l’éthique publique en France. Néanmoins, le débat sur son indépendance et son pouvoir d’action reste ouvert, et de nouvelles tensions sont à prévoir lors des prochains renouvellements.

Paradoxalement, ces tensions actuelles et futures constituent aussi la force d’Anticor. Dans un climat de défiance généralisée à l’égard de la classe politique, jugée « corrompue » par 87% des Français, la résistance des dirigeants et des administrations alimente la méfiance du grand public. Chaque revers subi par l’association renforce ainsi, aux yeux de l’opinion, la nécessité d’une société civile indépendante capable de surveiller les pratiques des élites. Là se joue aussi, en 2024, la véritable victoire d’Anticor.

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