L’auto-divulgation au coeur des enjeux FCPA : les leçons MilliporeSigma et Gunvor en 2024

Découvrez les implications de l'auto-divulgation dans l'application du FCPA. Explorez comment cette pratique influence les sanctions pour inconduites financières.
Pour la justice américaine, l’auto-divulgation est désormais un sujet central des résolutions FCPA

« Selon que vous serez coopératif ou réfractaire, les juges du FCPA vous rendront blanc ou noir ». Cette maxime, librement inspirée de la célèbre fable de La Fontaine, semble plus que jamais illustrer la direction prise par la justice américaine dans l’application du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), la loi extraterritoriale sur la corruption à l’international.

En 2024, le nombre de sanctions a diminué à ce stade par rapport aux années précédentes, et notamment la période pré-Covid-19. Néanmoins, l’application de la loi reste une priorité, comme en attestent plusieurs résolutions conclues avec le Ministère de la Justice américain (DoJ). Au cœur de ces règlements, on assiste à la montée en puissance d’un facteur de plus en plus décisif dans la détermination des peines infligées, ou épargnées, aux auteurs d’inconduites financières : l’auto-divulgation.

Cap sur l’auto-divulgation des individus

Fin avril, le DoJ a annoncé le lancement d’un programme pilote incitant les individus à se dénoncer eux-mêmes pour des délits commis au sein de leur entreprise, en particulieren matière de corruption ou de fraude financière. Désormais, les personnes qui fournissent des informations pertinentes et exploitables sur des actes de fraude, de corruption ou d’autres malversations financières peuvent bénéficier d’un accord de non-poursuite (NPA).

Pour être éligible, certaines conditions doivent être remplies : les informations transmises doivent être inconnues du DoJ, divulguées volontairement par l’individu (si une enquête gouvernementale est en cours, il est déjà trop tard) et complètes, y compris quant à l’étendue du rôle joué par la personne elle-même dans l’inconduite. Enfin, l’individu doit s’engager à indemniser les victimes, à restituer tout gain mal acquis et à payer toute confiscation ou restitution applicable. Cette initiative vient compléter un ensemble de mesures visant à améliorer la détection et la sanction des inconduites financières, en faisant participer les responsables à l’enquête.  

En deux décennies, la justice américaine a ainsi évolué d’une approche purement répressive à une logique d’incitation, en particulier vis-à-vis des entreprises, qui se voient proposer des crédits de coopération (en d’autres termes, une amende minorée) lorsqu’elles coopèrent pleinement en fournissant les documents nécessaires à l’enquête et en identifiant les individus impliqués. Cette logique incitative a ensuite été élargie à l’auto-divulgation, via plusieurs lignes directrices visant à récompenser les entreprises dénonçant elles-mêmes des inconduites auprès du DoJ. Ainsi, certaines entreprises ont obtenu l’annulation des poursuites, à l’instar de Corsa Coal en mars 2024, ou des réductions de l’amende, comme Frank’s International en avril 2024.

Avec le nouveau programme pilote, cette stratégie incitative s’applique désormais aussi aux individus. Depuis la loi Sarbanes-Oxley de 2002, qui impose aux salariés de signaler les inconduites financières de leur entreprise, plusieurs mécanismes incitatifs ont renforcé la stratégie de détection des crimes en col blanc. La participation des individus a d’abord été encouragée via des programmes favorables aux lanceurs d’alerte, qui bénéficient d’une protection renforcée, et parfois même une d’indemnisation importante. Désormais, la justice américaine vise ainsi à aller plus loin, en ciblant non seulement les témoins d’inconduites (les potentiels lanceurs d’alerte), mais aussi en misant sur l’intérêt des auteurs d’inconduites eux-mêmes à se dénoncer.

L’entreprise MilliporeSigma exemptée de poursuites grâce à l’auto-divulgation

En mars 2024, le DoJ a publié des nouvelles lignes directrices afin de renforcer sa stratégie incitant les entreprises à l’auto-divulgation. Une application concrète de cette politique a vu le jour fin mai, avec l’annulation des poursuites à l’encontre de la société de biochimie américaine MilliporeSigma. Cette décision est due à la divulgation volontaire de l’entreprise et à sa « coopération extraordinaire » dans la découverte d’un stratagème frauduleux impliquant la vente de produits biochimiques vers la Chine par un de ses employés et un client.

Ce client a bénéficié de plus de $4,9 millions en remises et autres avantages, en se prétendant affilié à un laboratoire de recherche en Floride, sur des produits qu’il expédiait vers la Chine à l’aide de documents d’exportation falsifiés. Son complice, un commercial de MilliporeSigma, a reçu plusieurs milliers de dollars en cartes-cadeaux en échange de la facilitation de ces commandes frauduleuses. Le stratagème a été découvert par l’équipe de conformité de MilliporeSigma, qui avait remarqué certaines commandes suspectes en vertu de la politique de vigilance de l’entreprise. MilliporeSigma a alors fait appel à un avocat externe, qui a confirmé l’inconduite et procédé à sa divulgation volontairement auprès du DoJ.

Grâce à cette auto-divulgation, mais aussi à l’efficacité de son dispositif de détection et aux mesures correctives immédiates prises par MilliporeSigma (notamment le licenciement du vendeur impliqué), le DoJ a renoncé à poursuivre l’entreprise.

Bien que cette affaire ne constitue pas à proprement parler un cas de corruption de fonctionnaire étranger – la condition fondamentale de l’extraterritorialité qui permet à la justice américaine d’engager des poursuites FCPA à l’encontre de sociétés non-américaines –, cette résolution marque un précédent important. L’auto-divulgation et la coopération, ces deux critères qui ont déterminé l’annulation des poursuites à l’encontre de MilliporeSigma, sont désormais décisifs dans les sanctions appliquées aux entreprises et individus impliqués dans des affaires de corruption internationale « classiques » relevant des poursuites exterritoriales FCPA.

Le prix de la non-divulgation : $661 millions d’amende pour Gunvor

En matière de corruption internationale, un exemple récent a illustré que le FCPA conserve toute sa force de frappe extraterritoriale lorsqu’il s’agit de sanctionner des sociétés étrangères. En mars, le géant suisse des matières premières Gunvor a été sanctionné à hauteur de $661 millions pour un stratagème consistant à soudoyer des responsables équatoriens pour des accords pétroliers et gaziers. Plusieurs employés et consultants de Gunvor avaient été précédemment condamnés, entre 2020 et 2021, dans le cadre de cette affaire.

Entre 2011 et 2020, Gunvor a versé plus de $97 millions à des intermédiaires, en sachant qu’une partie de cet argent servirait à corrompre des fonctionnaires équatoriens. Plusieurs dirigeants et agents de l’entreprise ont facilité ces pots-de-vin, acheminés par l’intermédiaire de banques américaines utilisant des sociétés-écrans au Panama et dans les îles Vierges britanniques. Le stratagème impliquait également des cadeaux luxueux, comme une montre en or 18 carats offerte à un haut fonctionnaire de Petroecuador, la compagnie pétrolière nationale. En échange, Gunvor a obtenu une série de contrats importants, évitant les processus d’appel d’offres et obtenant des conditions contractuelles très avantageuses.

Le calcul de cette sanction illustre le caractère déterminant de la bonne coopération avec le DoJ. Sur ces $661 millions, l’amende pénale (près de $375 millions) est bien plus élevée que la confiscation des gains mal acquis (près de $287 millions). Or cette amende pénale aurait dû être encore plus élevée, notamment en raison de la longévité du stratagème, de la participation de dirigeants et de l’absence d’auto-divulgation. Gunvor a bénéficié d’une réduction (25% du 30ème percentile de la fourchette d’amendes applicable) grâce à sa coopération à l’enquête, notamment via l’envoi rapide de documents détaillant l’inconduite, la traduction en anglais de documents provenant des filiales étrangères ou encore la commande d’une analyse de son activité commerciale menée par plusieurs cabinets d’expertise comptable externes. Les mesures correctives prises par Gunvor ont également participé à cette réduction, notamment l’amélioration de ses due diligence sur les tiers, la cessation du recours à des agents commerciaux tiers, l’embauche de personnel de conformité supplémentaire et la création de nouveaux contrôles sur l’approbation des paiements à risque.

Cependant, conformément à la politique d’application des peines, qui prévoit une réduction de 50% à 75% de la fourchette basse des amendes en cas d’auto-divulgation, Gunvor aurait pu obtenir une réduction supplémentaire d’environ $50 millions… Si elle avait divulgué volontairement les faits au DoJ. Son statut de récidiviste, suite à une précédente résolution en 2019 pour une affaire de corruption au Congo et en Côte d’Ivoire, lui a également coûté d’autres potentielles réductions de l’amende. L’exemple de Gunvor illustre donc bien l’intérêt des entreprises, lorsqu’une inconduite est identifiée, à coopérer volontairement avec le DoJ – et à agir le plus rapidement possible, puisque l’auto-divulgation n’est plus possible dès lors qu’une enquête a été ouverte par la justice américaine.

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