Fishrot : l’Islande et la Namibie face au scandale de corruption « Poisson Pourri »

l'Islande et la Namibie face au scandale du « poisson pourri »
Fishrot : entre Islande et Namibie, plongée au coeur du scandale dans le secteur de la pêche

En anglais, le mot « rot » évoque l’odeur de la pourriture et, en islandais, il signifie « secret ». Le scandale « Fishrot », qui a mis au jour une corruption généralisée dans le secteur de la pêche namibienne et islandaise en 2019, porte donc bien son nom. À l’approche du grand procès anticorruption qui doit avoir lieu cette année en Namibie, nous revenons sur les éléments nécessaires pour comprendre l’affaire, et ce qui est en jeu dans le procès à venir.

Pots-de-vin contre quotas de pêche

En novembre 2019, WikiLeaks publie une série de plus de 30 000 documents, désormais connus sous le nom de « Fishrot Files », qui créent le scandale dans deux pays qu’on a peu l’habitude de voir associés : l’Islande et la Namibie.

Les Fishrot Files révèlent l’existence d’un vaste stratagème de corruption dans l’industrie de la pêche en Namibie, un secteur qui représente à lui seul 20% des exportations du pays. Pour réglementer ce secteur-clé, la Namibie a mis en place des quotas de pêche censés profiter majoritairement aux entreprises locales. Mais de 2012 à 2018, ces quotas ont été détournés par des hauts responsables politiques namibiens au profit de sociétés étrangères. À grands coups de pots-de-vin, ces entreprises ont ainsi récupéré les quotas censés être attribués à des sociétés namibiennes, à des prix inférieurs à ceux du marché.

Suite à ces révélations, plusieurs hauts responsables gouvernementaux namibiens ont été forcés à démissionner, dont Bernhard Esau, l’ancien ministre namibien de la Pêche et des Ressources Marines, et Sakeus Shanghala, l’ancien ministre de la justice. Plusieurs responsables attendent désormais leur procès, et le gouvernement namibien a annoncé des mesures pour renforcer la réglementation et la transparence dans l’attribution des licences et des quotas de pêche. Mais le scandale a affecté les relations commerciales de la Namibie avec l’Islande, qui a annulé un accord de coopération en matière de pêche avec la Namibie en raison des préoccupations concernant la corruption dans l’industrie de la pêche namibienne.

Si l’Islande est au premier plan de ce scandale, c’est parce que l’affaire a été révélée par un ancien cadre supérieur de la société islandaise Samherji, l’une des plus grosses entreprises de pêche au monde. Accusant l’entreprise d’avoir versé des millions de dollars de pots-de-vin à des responsables namibiens, c’est lui qui a fourni les documents à WikiLeaks, après avoir exposé les faits à plusieurs médias islandais et namibiens. Et, chose plus surprenante : le lanceur d’alerte a lui-même participé aux faits dénoncés.

La pièce maîtresse du stratagème devient lanceur d’alerte

Au moment des faits, Jóhannes Stefánsson est la pièce maîtresse des opérations de Samherji en Namibie. L’entreprise cherche à acheter des quotas de pêche pour ses grands chalutiers, et Stefánsson est missionné pour investir le marché namibien, prometteur mais aussi très réglementé.

Pour bénéficier des quotas de pêche, il doit d’abord faire passer la filiale locale, Katla, sous pavillon namibien. Tamson Hatuikulipi, le gendre du ministre de la Pêche Bernhard Esau, devient le nouvel actionnaire majoritaire de la filiale. Selon Stefánsson, Katuikulipi accepte alors d’aider Samherji à obtenir des quotas de pêche en échange de « frais de quotas » à destination du parti présidentiel et de divers hauts responsables namibiens.

Pendant quatre ans, Stefánsson est chargé de distribuer des pots-de-vin à en échange de licences et quotas de pêche. De son propre aveu, il sait pertinemment que ces sommes sont destinées à corrompre des responsables politiques. Il effectue des paiements en liquide ou sur des comptes bancaires offshore, par le biais d’intermédiaires multiples. Ces derniers sont en général des hommes d’affaires sans aucun lien avec le secteur de la pêche, mais bien connectés politiquement.

Mais en 2016, Stefánsson décide de mettre un terme à ces malversations. Il dénonce d’abord ces pratiques à la direction de la maison-mère, mais personne ne prend son témoignage au sérieux. Il annonce alors son intention de quitter Samherji, négocie un accord de licenciement, et quitte l’entreprise avec pas moins de 5 disques durs contenant emails, mémos et documents divers.

Toujours selon son témoignage, pendant deux ans, Stefánsson subit de multiples tentatives d’enlèvement, menaces et une tentative d’empoisonnement. Il décide alors de raconter son histoire à plusieurs médias islandais et internationaux, et il divulgue les documents dont il dispose à WikiLeaks. Sans nier qu’il cherche à se protéger, y compris des accusations qui pèsent sur lui, il dit aussi vouloir faire la lumière sur la manière dont Samherji, et plus généralement les entreprises étrangères, perpétuent la corruption dans l’industrie de la pêche.

Ces révélations ont alors été largement diffusées dans les médias islandais et namibiens, avant que WikiLeaks ne porte le coup de grâce médiatique en publiant les « Fishrot files » en novembre 2019. 

La Namibie plus réactive que l’Islande

Suite à ces révélations, la Namibie a réagi rapidement. Les deux anciens ministres ont été arrêtés et inculpés de corruption, de fraude et de blanchiment d’argent par les autorités namibiennes, aux côtés d’autres responsables et hommes d’affaires. Parmi eux, on retrouve Tamson Hatuikulipi (le gendre du ministre Esau devenu l’actionnaire majoritaire de la filiale namibienne). D’anciens dirigeants de l’entreprise nationale Fishcor, lésée dans les attributions de quota, sont également incriminés.

En février 2021, la Namibie lance ainsi son premier grand procès pour corruption. Certains co-accusés reçoivent de lourdes peines, dont Hatuikulipi, condamné à 52 ans de prison. Celui-ci a néanmoins fait appel et attend un nouveau jugement. D’autres, comme Esau, attendent toujours la date de leur audience, à fixér dans le courant de 2023, depuis leur cellule en prison.

Pour les responsables namibiens, c’est donc cette année que tout va se jouer. En revanche, ni Samherji, ni ses dirigeants n’ont été traduits en justice. Les autorités namibiennes ont porté plainte contre trois cadres islandais de Samherji, mais l’Islande n’a pas manifesté d’intention d’extrader les accusés. Cette absence de réaction a suscité de vives critiques de la part d’ONG comme Transparency International (TI), qui a accusé les autorités islandaises de poursuivre des journalistes enquêtant sur l’affaire plutôt que les auteurs de corruption.

Du côté de Samherji, l’entreprise continue de nier toute malversation, rejette la culpabilité sur Stefánsson et reconnaît seulement un manque de vigilance dans ses procédures. Elle a déclaré qu’elle coopérait avec les enquêteurs en Namibie pour faire la lumière sur les allégations de corruption. En novembre 2019, la direction de Samherji avait annoncé la démission de trois hauts responsables de l’entreprise, y compris le PDG Thorsteinn Már Baldvinsson, mais ce dernier a depuis été réintégré. En revanche, l’entreprise a cessé toute activité en Namibie.

Sources

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