Après une chute de régime en 2021, l’activité FCPA a repris doucement en 2022, avec notamment la sanction de KT Corporation ($6,3 millions) en février. Ce début d’année aura été aussi été scandé par des déclarations des autorités américaines, réaffirmant la lutte anticorruption comme une priorité absolue du gouvernement. Panorama des nouveaux développements ces derniers mois, marqués par quelques affaires très médiatisées.
L’entreprise américaine de gestion de déchets médicaux Stericycle Inc., a conclu un règlement à hauteur de $80,7 millions avec la justice américaine – dont $52,5 millions dus au DoJ, et $28,2 millions à la SEC.
Stericycle a admis avoir versé $10,5 millions à des fonctionnaires brésiliens, mexicains et argentins pour obtenir et conserver des affaires entre 2011 et 2016. Le stratagème aurait rapporté au moins $21,5 millions à l’entreprise.
Selon le DoJ, les pots-de-vin étaient payés en espèces et calculés en pourcentage (en général, 15%) des contrats gouvernementaux obtenus. Ces pots-de-vin ont notamment pu être retracés grâce à des feuilles de calcul échangées via email par des employés. Les paiements y figuraient sous différents noms de code, comme « paiement de commission », « paiement incitatif » ou encore « alfajores », un biscuit sucré populaire en Argentine.
Dans un communiqué, l’entreprise a déclaré qu’elle avait vendu ses opérations en Argentine et au Mexique.
Le DoJ a annoncé qu’il ne maintiendrait pas les poursuites pénales à l’encontre du courtier en assurance britannique Jardine Lloyd Thompson (JLT), détenu par Marsh & McLennan Companies. En 2018, JLT avait signalé aux autorités $3 millions de pots-de-vin versés entre 2014 et 2016 à des fonctionnaires en Equateur, et blanchis via des comptes américains.
La décision d’annuler les poursuites a été motivée par plusieurs facteurs : le signalement volontaire des faits par JLT, la coopération avec le DoJ, les mesures correctives prises par JLT (licenciement d’un dirigeant et rupture commerciale avec une société intermédiaire impliquée dans l’inconduite), et l’acceptation de restituer les gains mal acquis (« disgorgement »), évalués à $29 millions.
C’est en 2016 que le DoJ a créé le « declination with disgorgement », une action FCPA permettant d’annuler des poursuites avec l’obligation de restituer les bénéfices obtenus illégalement. Ce programme visait à inciter les entreprises à divulguer volontairement les inconduites. Pour autant, peu d’entreprises en ont bénéficié – le dernier cas remonte à août 2020.
Le 3 mars, le procureur général des États-Unis M.B. Garland a annoncé que « la première priorité du Département dans les affaires pénales d’entreprise est de poursuivre les individus qui commettent et profitent de malversations d’entreprise », mentionnant 5 521 personnes accusées d’inconduites en 2021 (soit 10% de plus qu’en 2020). Depuis l’arrivée de Joe Biden au pouvoir, un accent tout particulier a en effet été mis sur la punition des auteurs des crimes.
Parmi les condamnations récentes, l’ancien vice-président de l’entreprise minière de charbon Corsa Coal, Charles Hunter, a été inculpé pour son rôle dans la corruption de fonctionnaires égyptiens. Le stratagème impliquait Al Nasr, une entreprise détenue par l’État égyptien à laquelle Hunter aurait versé des pots-de-vin pour obtenir des contrats d’une valeur d’environ $143 millions. Environ $4,8 millions auraient été versés à un intermédiaire égyptien, dont une partie utilisée pour soudoyer des fonctionnaires. Les paiements auraient été arrangés via des emails et messages Whatsapp, et camouflés via des fausses factures de conseil.
En 2021, un autre ex-dirigeant de Corsa Coal avait été inculpé dans la même affaire.
L’ancien directeur général de Goldman Sachs en Asie du Sud-Est, Roger Ng, a été reconnu coupable de trois chefs d’accusation FCPA par un jury new-yorkais : complot en vue de violer les dispositions anti-corruption du FCPA, de violer les contrôles comptables internes du FCPA, et de commettre du blanchiment d’argent.
Dans le contexte de l’affaire 1MDB, Roger Ng aurait aidé à détourner plus de $1,6 milliards pour soudoyer des fonctionnaires malaisiens et émiratis afin d’emporter des affaires. Ng aurait reçu $35 millions pour son rôle dans le stratagème.
Ce dénouement a un caractère inédit, car les procès devant jury en vertu du FCPA sont rares. Le procès Ng illustre ainsi la nouvelle stratégie d’application du FCPA visant les criminels en col blanc. La médiatisation du procès n’a pas manqué à l’appel. L’accusation a dépeint le tableau d’une culture d’excès et de cupidité, documents à l’appui, brandissant à titre de symbole la participation de Ng au financement du film Le Loup de Wall Street comme l’un des moyens utilisés pour blanchir l’argent.
Du côté de la défense, Ng a été décrit comme un bouc émissaire pour des crimes commis par d’autres responsables de Goldman Sachs, notamment Tim Leissner, le témoin-phare de l’accusation. En 2018, Leissner a plaidé coupable et été condamné à une amende de $43,7 millions. Son témoignage contre Ng était l’une des conditions de son plaidoyer de culpabilité.
Le jury a donc tranché en faveur de l’accusation. Ng encourt jusqu’à 20 ans de prison pour chacun des trois chefs d’accusation – mais conformément au fonctionnement de la justice américaine, le tribunal dispose d’une large marge de manœuvre dans le choix de la peine finale. Le message envoyé par le procureur Breon Peace est clair : « vous serez pris, poursuivi et condamné, comme Ng, et vous risquez une longue peine de prison ».
Le DoJ a annoncé une coopération inédite visant à partager des renseignements pour améliorer la détection de stratagèmes anticoncurrentiels visant à fixer les prix ou les salaires, à truquer les offres ou à répartir les marchés. Cette coopération implique des entités de contrôle australienne, canadienne, néo-zélandaise et britannique. La priorité affichée est de détecter la collusion sur la chaîne d’approvisionnement. Cette annonce fait suite aux poursuites actives de la Procurement Collusion Strike Force en 2020 et 2021, qui ont abouti à 22 millions de dollars d’amendes et à de multiples plaidoyers de culpabilité.
Parmi les annonces de M.B. Garland dans son discours du 3 mars, il faut aussi souligner la promesse d’une focalisation accrue sur les victimes du crime en col blanc. Le DoJ a récemment nommé un coordinateur des victimes. Et désormais, les entreprises ciblées par des enquêtes devront traiter plus en détail le préjudice aux victimes dans le cadre de leur coopération avec le DoJ.
Le sénateur Marco Rubio a présenté un projet de loi intitulé « Countering Corporate Corruption in China ». Il propose de clarifier la définition de « corruption intentionnelle » en y incluant toute action favorisant le génocide au Xinjiang, ou encore la propagande du PCC. Les entreprises suspectes devraient alors démontrer que leurs actions ne relèvent pas d’un accord avec le PCC pour renforcer leur accès au marché chinois.
L’année 2022 poursuit donc sa « relance » d’un FCPA au calme plat l’année précédente. Même si le niveau d’application est encore loin d’atteindre le rythme record de 2020, ces développements illustrent une approche multidimensionnelle de la lutte anticorruption, fondée sur un arsenal plus complet qui multiplie les leviers pour détecter et sanctionner les inconduites.
SOURCES
FCPA Blog > Stericycle pays $80.7 million to resolve ‘sweet cookie’ FCPA offenses
FCPA Blog > DOJ breaks new ground with two ‘declinations with disgorgement’
FCPA Professor > Another Former Corsa Coal Executive Charged In Connection With Egypt Bribery Scheme
Les Echos > Scandale 1MDB : un ancien banquier de Goldman Sachs reconnu coupable de corruption
Skan 1 Outlook > KT Corporation, Ericsson, Glencore… Retour en force du FCPA en 2022 ?
Skan 1 Outlook > FCPA : les États-Unis durcissent le ton, mention spéciale contre les récidivistes
Skan 1 Outlook > FCPA 2021 : bilan et perspectives après 6 mois de présidence Biden
Skan 1 Outlook > Travail forcé : comment les états et les entreprises peuvent lutter contre l’opacité de la supply chain
La CJIP fait suite à un signalement Tracfin pour des faits survenus au Gabon dans…
Prévu en 2025, le procès de Lafarge, désormais filiale d'Holcim, sera sans précédent dans l'histoire.…
Anticor est devenue en 20 ans un acteur incontournable dans la lutte anticorruption en France…
Outre la parution du guide dédié aux fédérations sportives, l'AFA a diligenté un contrôle de…
Les lois anticorruption préventives touchent désormais à la sphère d'influence du Commonwealth Depuis une dizaine…
Ces faits de corruption sont intervenus en Libye (2006-2008) et à FujaÏrah aux E.A.U. (2011-2013)…