Petrofac et WPP sanctionnées : quand les dirigeants aident la corruption à se propager

les affaires Petrofac et WPP mettent en évidence l'impact de l'extraterritorialité des lois anticorruption américaine et britannique
UKBA et FCPA : Les sanctions soulignent l’extraterritorialité des lois américaine et britannique

Après plusieurs mois de calme plat au niveau des sanctions anticorruption infligées à des entreprises à l’international, les deux dernières semaines ont donné lieu à deux règlements significatifs.

Fin septembre, le groupe d’infrastructures pétrolières britannique Petrofac Ltd a écopé d’un règlement de £77 millions ($104,6 millions) pour des infractions commises au Moyen-Orient, en vertu de l’UK Bribery Act (UKBA), la loi britannique visant à sanctionner la corruption.

En parallèle, début octobre, le groupe publicitaire WPP a conclu un règlement de $19,2 millions pour résoudre des infractions au Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) en Inde, en Chine, au Brésil et au Pérou.

Contrats lucratifs, filiales étrangères, paiements déguisés via des sous-traitants, faux contrats pour services fictifs… Malgré leurs différences, les deux affaires réunissent certains des ingrédients traditionnels d’une affaire de corruption internationale. Deux cas de figure intéressants à étudier, car représentatifs des différentes manières dont la corruption peut se propager au sein d’un grand groupe.

Petrofac : quand les ordres viennent d’en haut

Selon le Serious Fraud Office (SFO), Petrofac suivait un mode opératoire systématique : verser des pots-de-vin à des fonctionnaires locaux afin d’obtenir des contrats pétroliers, par le biais d’agents tiers.

Dans le cadre du règlement avec les autorités britanniques, l’entreprise a reconnu qu’au moins $44 millions auraient été versés pour sécuriser de tels contrats. Une somme importante, mais presque dérisoire comparée à la valeur totale des contrats remportés par Petrofac, qui avoisinerait les $3,7 milliards.

L’un des exemples cités concerne l’Irak, où $2,2 millions auraient été versés par le biais de deux intermédiaires. C’est à la suite de ces versements que Petrofac aurait obtenu un contrat d’une valeur de $329,7 millions en 2012.

Or en Irak, comme aux Emirats Arabes Unis ou en Arabie Saoudite, l’enquête a montré que ces faits remontaient au-delà des filiales locales. En 2019, l’ancien directeur mondiale des ventes de Petrofac, David Lufkin, a plaidé coupable de 11 chefs d’accusation différents, liés à des contrats de plus de $730 millions en Irak, $3,5 milliards en Arabie Saoudite, et $3,3 milliards aux Emirats arabes unis. Selon le SFO, Lufkin était au cœur d’un « processus complexe pour garantir que les bons paiements ont été effectués aux bonnes personnes au bon moment ».

Lufkin a écopé de deux ans de prison, dont 18 mois avec sursis.

Le cas Petrofac illustre ainsi une pratique suffisamment enracinée pour être devenue systématique dès que l’entreprise ciblait un contrat dans la région. Et la reconnaissance de culpabilité de l’ancien directeur mondial des ventes confirme que la conformité était loin d’être une exigence prioritaire des instances dirigeantes. Le responsable du contrôle qualité du SFO, John Kinnear, a par ailleurs déclaré au tribunal que dans certains cas, Lufkin avait agi sur les instructions de deux des plus hauts dirigeants de Petrofac.

WPP : une culture du laisser-faire

Avec $15 milliards de chiffre d’affaires annuel, le britannique WPP est le premier groupe publicitaire mondial. Ceci est le fruit d’une stratégie conquérante à l’international : le groupe a établi un réseau dans plus de 100 pays en rachetant des agences locales à la chaîne, notamment dans des pays émergents.

Mais cette stratégie de croissance s’est déployée au mépris des contrôles de conformité pourtant cruciaux dans ces marchés à risque. En effet, WPP laissait une autonomie quasi-totale aux dirigeants des filiales locales, en instaurant parfois des incitations pécuniaires pour que les dirigeants locaux atteignent des objectifs financiers prédéfinis.

En Inde, la filiale de WPP a par exemple versé des millions de dollars en pots-de-vin à des fonctionnaires pour obtenir des contrats gouvernementaux, par le biais d’intermédiaires locaux. Un scénario similaire s’est produit au Brésil. En Chine, des pots-de-vin ont permis à la filiale locale d’échapper à une grande partie de ses impôts. Au Pérou, une filiale de WPP a accepté de servir d’intermédiaire pour des pots-de-vin versés au maire de Lima par une entreprise locale. En contrepartie, la filiale aurait reçu près de $292 000.

Contrairement à Petrofac, l’enquête témoigne moins d’une propagation active de la corruption depuis le haut de l’échelle, que d’un laisser-faire quasi-absolu. En témoignent les nombreux avertissements et « red flags » reçus et donc identifiés par la maison-mère… Mais presque systématiquement ignorés.

Le cas le plus alarmant est celui de filiale indienne, car WPP avait déjà reçu sept plaintes anonymes d’employés l’informant des pratiques de corruption. Après réception des plaintes, WPP a demandé au directeur financier local d’enquêter sur les allégations. Ce dernier a alors fait appel à un cabinet comptable qui n’a mené qu’une enquête partielle, limitée aux les informations transmises par la filiale, sans enquêter sur l’allégation principale de corruption ni sur les tiers en cause. Certains « red flags » ont néanmoins été signalés concernant un des tiers locaux, mais la filiale a maintenu sa relation commerciale avec ce dernier pendant plus d’un an.

Autre exemple incriminant : en 2018, la filiale chinoise de WPP a offert des cadeaux aux autorités fiscales et versé $107 000 à un intermédiaire désigné par un fonctionnaire des impôts, afin d’éviter de payer $3,2 millions d’impôts. Pour justifier ces frais et la transaction, les livres comptables de la filiale ont été falsifiés. Là aussi, ces agissements avaient été dénoncés par une plainte anonyme. Mais faute de réaction de la part de WPP, la filiale a pu continuer ses activités, jusqu’à ce qu’une autre malversation n’entraîne la démission du PDG de la filiale chinoise.

La liste des infractions commises par les filiales est longue, et témoigne d’un cruel manque de culture de conformité au sein de WPP. On peut certes imaginer qu’un certain nombre de transgressions aient pu échapper à l’organisation mère ; pourtant, au vu du nombre de plaintes, la plupart n’auraient probablement pas pu passer inaperçues si WPP avait mené des contrôles suffisants. Mais puisqu’aucune due diligence n’était exigée des filiales avant d’impliquer des tiers dans leurs opérations, WPP n’a mis aucune chance de son côté pour éviter de tels agissements.

Les deux entreprises veulent tourner la page

Malgré les différences entre les deux affaires Petrofac et WPP, on retrouve donc un schéma commun : la maison-mère a sous-estimé l’importance de la conformité, et négligé les signaux d’alerte qui lui étaient transmis.

Le bilan de cette négligence aura été coûteux, notamment pour Petrofac : depuis les premières allégations émises en 2016, le cours de l’action Petrofac s’est effondré et ses recettes ont chuté de presque 50%. Cependant, à la suite de l’annonce de la résolution SFO, l’action Petrofac a remonté de 17%. C’est une bonne nouvelle pour le groupe britannique, mais elle survient après quatre ans de déboires financiers considérables qui auraient pu être évités si une véritable culture de conformité y avait été déployée dès les origines.

« Petrofac a vécu dans l’ombre du passé, mais aujourd’hui, c’est une entreprise profondément différente, dans laquelle les parties prenantes peuvent être assurées de notre engagement envers les normes les plus strictes en matière d’éthique des affaires, où que nous opérions », a déclaré dans un communiqué le président de Petrofac, René Médori, ajoutant que le groupe «se conforme ou dépasse aujourd’hui les standards internationaux en matière de bonnes pratiques».

Du côté de WPP, même si l’entreprise a refusé de confirmer ou réfuter les allégations à son encontre, elle s’est néanmoins engagée à prendre des mesures anticorruption consistantes. Ces actions correctives comprennent le licenciement des dirigeants et employés impliqués, le renforcement de son dispositif de conformité (avec la création de 36 postes dédiés), des examens proactifs des filiales locales, et l’amélioration des procédures de recrutement et de contractualisation avec des tiers.

En d’autres termes, il aura fallu de longues années d’enquête et de lourdes sanctions sur les plans financier et réputationnels pour que ces entreprises mettent en place des mesures finalement pas si éloignées de celles rendues obligatoires par loi Sapin 2 en France : mise en place d’un dispositif anticorruption, d’alerte interne, due diligence sur les tiers…  Si elles y avaient été soumises d’emblée, cela aurait peut-être permis de prévenir ces infractions, et les scandales qui en ont découlé. Un signe supplémentaire que les entreprises françaises, assujetties ou non à Sapin 2, ont tout intérêt à se conformer à ces mesures, pour limiter les risques liés à une enquête menée par les autorités américaines ou britanniques en vertu de leurs lois extraterritoriales.

Sources

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