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La BID : un acteur de plus en plus influent du développement et de la lutte anticorruption en Amérique Latine
Sur la zone Amérique Latine et Caraïbes, des affaires de corruption ont connu dans un passé récent une forte médiatisation comme celles concernant la société de construction Brésilienne Odebrecht ou encore Alcatel-Lucent au Costa Rica. Cela nous a conduits à nous intéresser au fonctionnement de la Banque Interaméricaine de Développement (BID ou IDB en anglais) en matière de compliance. Sa politique anticorruption volontariste a été récompensée par la Global Investigations Review (GIR) qui lui a décerné le prix 2020 de l’institution émergente de l’année (Emerging Enforcer of the year) pour ses activités de lutte anticorruption.
Une institution volontariste et des moyens
Créée en 1959, la Banque Interaméricaine de Développement est une institution bancaire internationale financée par une cinquantaine de pays dont la France. Entre autres fonctions principales, elle accorde des prêts au secteur privé, pour favoriser le développement de petites et moyennes entreprises, voire des micro-entreprises. Sur ce volet de son activité, elle agit à peu de choses près comme une banque classique. Mais sa mission ne s’arrête pas là. L’institution octroie en effet chaque année un volume de prêts dépassant les 10 milliards $ afin d’améliorer l’intégration économique au niveau régional, augmenter la productivité et l’innovation ou bien encore faire progresser l’inclusion sociale et l’égalité. Ces investissements nécessitent une passation de marché avec appel d’offres sous l’égide de l’institution. Parmi les projets sélectionnés, on retrouve inévitablement de grands secteurs traditionnellement sensibles au risque de corruption comme la construction ou les industries manufacturières.
Au travers des programmes qu’elle finance et soutient, la BID a donc fait de la lutte anticorruption une ses priorités. L’organisme dispose de mécanismes de contrôle particulièrement rigoureux. Cette mission est assurée par différents organes comme le bureau d’intégrité institutionnelle (OII) ou bien le comité des sanctions qui ont contractuellement le pouvoir de diligenter des enquêtes en cas de doute. Ceci implique qu’elle ne finance les projets et accorde les prêts qu’à condition qu’il y ait un suivi rigoureux de la conformité de l’opération.
Lorsqu’une preuve de corruption, de fraude ou toute autre infraction est découverte, en découle donc une sanction appropriée qui peut aller du simple blâme à l’exclusion dans les cas très graves, en passant par la non-exclusion conditionnelle ou bien des restrictions relatives aux futurs contrats dans des cas moins graves. En cas d’exclusion, l’entité visée ne pourra plus participer à un projet de la BID durant le temps imparti. Ces sanctions peuvent concerner des entreprises (67% des peines) comme des individus (33%). Elles peuvent aussi s’étendre à toute entreprise ou tout individu qui contrôle directement ou indirectement l’entreprise radiée, ou à toute entreprise que l’entreprise radiée contrôle directement ou indirectement.
Il nous a donc semblé intéressant d’étudier les profils des entreprises et individus sanctionnés par la BID entre 2015 et 2020 et l’arsenal déployé dans ces circonstances. Cette période fournit en effet un nombre suffisamment important de données pour une analyse significative et instructive.
Des BMD à la BID : réactions en chaîne
Avant d’aller plus loin, rappelons que la BID fait partie d’un groupe appelé Banques Multilatérales de Développement (BMD). On y retrouve entre autres le Groupe de la Banque Africaine de Développement, la Banque Asiatique de Développement, la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement et le Groupe de la Banque Mondiale.
Chaque entreprise travaillant dans le cadre d’un projet financé par un des membres de ce réseau doit se soumettre contractuellement au pouvoir d’enquête de l’organisme ayant octroyé l’aide en question. En effet, ces institutions ont leur propre service interne, à l’instar de l’OII pour la BID, afin de diligenter des investigations sur les entreprises soupçonnées de fraude et/ou de corruption, et prendre des mesures adéquates pour prévenir ou sanctionner ces pratiques interdites.
En 2010, les BMD ont franchi une étape importante dans leur lutte internationale contre la fraude et la corruption en signant un accord mutuel sur l’exclusion des entreprises et individus convaincus d’actes répréhensibles dans le cadre des projets financés. Ce qui concrètement permet à toute BMD ayant signé cet accord d’incorporer dans sa liste de bannissement, les candidats réprimés par ses homologues. Depuis la signature de cet accord, le nombre des entités sanctionnées directement par la BID ne représente plus que 20 et 30% de sa liste des entités exclues. En effet, la plus grande partie des sanctions provient désormais de la Banque Mondiale. Notons également le rôle grandissant joué par la Banque Africaine de Développement au niveau des sanctions infligées entre 2018 et 2020. En effet, en 2020, 20% des exclusions affichées dans la liste des sanctions de la BID ont été prononcées par la BAD contre seulement 1.4% en 2018.
Amérique Latine, Asie et Afrique
La répartition des sanctions au niveau des zones géographiques laisse paraître, comme le montre le graphe, de fortes inégalités. Nous distinguons une prédominance de l’Asie, de l’Amérique du Sud et de l’Afrique. Cette dernière voit d’ailleurs le taux de sanction appliqué augmenter sensiblement, passant de 5.7% en 2018 à 31.3% en 2020. Ce point fait écho au fait que la Banque Africaine de Développement est en train de muscler sa politique de compliance.
En parallèle, les entreprises et les individus incriminés ne sont donc pas nécessairement issus de la juridiction où a été commis le délit. Jusqu’en 2018, c’était pourtant encore majoritairement la règle : entre 70 et 80% des entités sanctionnées l’étaient pour des malversations liées à des opérations dans leur propre pays. Mais les années suivantes ont vu le nombre de sociétés sanctionnées issues de pays tiers devenir progressivement plus important, voire atteindre puis dépasser la majorité avec 55% des cas en 2020. Au-delà de l’accord mutuel d’exclusion de 2010, ceci s’explique par le fait que de plus en plus d’entreprises multinationales, participent aux projets financés par les différentes BMD dans leur région respective.
Le BTP cœur de cible
Les secteurs où les entreprises sont les plus sanctionnées sont la construction qui représente 40% des cas identifiés en moyenne par an, et l’industrie manufacturière avec en moyenne 16% des cas. Outre le fait qu’ils soient historiquement exposés à la corruption comme on peut le voir dans une étude récente du cabinet Grant Thornton, ce score s’explique aussi par soutien traditionnellement apporté par la BID à ces 2 secteurs. En 2019, 39% des projets dans lesquels la BID a investi étaient liés aux secteurs de l’infrastructure et de l’environnement, le reste étant partagé entre l’assistance institutionnelle au développement pour 39%, les secteurs sociaux pour 17 %, l’intégration et le commerce pour 5 %.
Notons également la corrélation entre le secteur d’activité et la sévérité de la peine. Les entreprises de la construction ont par exemple reçu des bannissements d’une durée plus courte que celles liées aux activités manufacturières. En moyenne 40.8 % des peines « BTP » durent entre 1 et 5 ans contre 32.8% seulement pour le second. Par opposition les peines entre 5 et 10 ans pèsent un peu plus lourd dans l’industrie manufacturière (19% des cas) que dans celui de la construction (16.2% des cas).
Renforcement de la politique des sanctions
La tendance observée est une augmentation nette des sanctions comprises entre un et cinq ans depuis 2016, et le recours à des peines de moins d’un an depuis 2019. En revanche, les exclusions permanentes ou ayant des dates de fin non précisées (« ongoing »), ont tendance à décroitre voire disparaitre de l’arsenal des sanctions appliquées par la BID.
Il serait cependant faux de croire que le système devient plus laxiste. Au contraire, le nombre de sanctions appliquées est en forte hausse. Sur la seule année 2020, 214 entreprises ou individus figurent sur la liste des exclus, à comparer avec les 62 entités sanctionnées en 2015. Si cette hausse est en partie due à l’accord d’exécution mutuelle des décisions d’exclusion de 2010, elle témoigne aussi d’une volonté forte et d’une nette évolution de la politique de la BID qui sanctionnait auparavant un petit nombre de profils pour des durées longues, voire permanentes. Désormais, cette politique consiste à viser large et à ne plus fermer les yeux. Elle condamne davantage d’entreprises mais pour des peines plus courtes. Il est enfin intéressant de remarquer que la BID a sanctionné pour la première fois en 2020 un employé du secteur public.
Au sujet de la typologie des délits, nous dénombrons une majorité de fraudes (50% des délits commis) et de combinaisons de fautes multiples comme la connivence associée à des faits de corruption, de fraude ou encore d’extorsion (33.5% des délits commis). Plus en détails, les fautes multiples connaissent un volume de lourdes peines plus élevé que les autres délits. A l’opposé, les fraudes subissent une durée de bannissement moins longue avec des peines de seulement quelques mois.
Politiques de conformité : robustes sinon rien
Enfin, rappelons que toutes ces condamnations peuvent être suspendues, à condition qu’un programme de conformité soit mis en place au sein de l’entité sanctionnée. Cette action permet à la BID, ou tout autre membre du réseau BMD, un suivi complet des entités visées et de préserver ainsi la réputation des institutions. Cela impose également aux entreprises ciblées d’améliorer leur process de compliance, notamment pour celles qui évoluent ans les secteurs sensibles. Les BMD ne se limitent donc pas à enquêter sur les actes frauduleux, elles évaluent aussi les dispositifs de compliance des entreprises. Les sociétés qui postulent pour un projet doivent donc impérativement traiter le point de leur conformité en amont de la candidature.
Pour faire face à la crise sanitaire impactant sérieusement l’Amérique Latine, les investissements de la BID se sont ainsi accrus de manière significative en 2020 : +37% par rapport à 2019 et +50% depuis 2018, le tout avec des procédures de validation plus courtes. Cela a représenté un montant d’approbations avec garantie souveraine de 12,64 milliards de dollars. Dans ce contexte, la BID a dû porter une attention toute particulière à ce que les ressources planifiées pour chaque projet, qu’il soit financé intégralement ou co-financé, soient bien utilisées aux fins prévues. Elle a pris pour cela toutes les précautions nécessaires avec des vérifications et contrôles renforcés au fil des projets, d’où une recrudescence sensible des sanctions prononcées.
Il est donc plus que jamais utile de rappeler ici que pour toute entreprise voulant participer à un appel d’offres faisant intervenir la BID, ou l’une de ses homologues, il est absolument nécessaire d’afficher une politique de compliance robuste pour se donner toutes les chances de remporter le marché ciblé… Et aussi d’éviter, en cas de succès, de se faire exclure pour faute grave une fois le programme en cours.
ANNEXE : les infractions selon la BID
Une « pratique corrompue » est le fait d’offrir, de donner, de recevoir ou de solliciter, directement ou indirectement, quelque chose de valeur pour influencer indûment les actions d’une autre partie ;
Une « pratique frauduleuse » est tout acte ou omission, y compris une fausse déclaration, qui induit ou tente d’induire en erreur, sciemment ou par négligence, une partie pour obtenir un avantage financier ou autre ou pour éviter une obligation ;
Une « pratique coercitive » est le fait de porter atteinte ou de nuire, ou de menacer de porter atteinte ou de nuire, directement ou indirectement, à une partie ou à la propriété d’une partie afin d’influencer de manière inappropriée les actions d’une partie ;
Une « pratique collusoire » est un arrangement entre deux ou plusieurs parties conçues pour atteindre un objectif inapproprié, y compris influencer de manière inappropriée les actions d’une partie ;
Une « pratique obstructive » est (i) la destruction, la falsification, l’altération ou la dissimulation de preuves importantes pour une enquête du Groupe BID, ou le fait de faire de fausses déclarations aux enquêteurs dans l’intention d’entraver une enquête du Groupe BID ; (ii) la menace, le harcèlement ou l’intimidation d’une partie pour l’empêcher de divulguer sa connaissance de questions pertinentes pour une enquête du Groupe BID ou de poursuivre l’enquête ; ou (iii) les actes visant à entraver l’exercice des droits contractuels du Groupe de la BID en matière d’audit, d’inspection ou d’accès à l’information ; Une « pratique de détournement » est l’utilisation du financement ou des ressources du Groupe de la BID à des fins inappropriées ou non autorisées, commise intentionnellement ou par négligence.
Sources
Institution :
- BID : Rapport annuel 2019
- BID : Rapport annuel 2019
- BID : Aperçu de l’efficacité du développement
- BID : Rapport annuel 2020
- BID : Emerging Enforcer of the Year Award
- EBRD : Les BMD se dotent d’un nouvel outil de lutte contre la corruption en signant un accord d’exclusion mutuel
- EBRD : Banques multilatérales de développement
- La banque Africaine de développement : Rapport annuel 2018-2019
Média :
- Capital : Alcatel-Lucent (Nokia) écope d’une amende pour corruption au Costa Rica
- Le Figaro : Corruption : Odebrecht condamné à 50 millions de dollars d’amende en Colombie
- Devex : La BID va adopter un nouveau processus d’enquête et de sanction en matière de lutte contre la corruption
- Skan1 Outlook : Risque de corruption par secteur d’activité : niveau perçu, niveau réel et approche régionale
- GIR : La SEC constate une baisse des nouvelles affaires de FCPA pendant la période du covid
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