Cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2, une mission d’évaluation a été confiée aux députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix afin d’évaluer l’efficacité des mesures mises en place pour lutter contre la corruption et le trafic d’intérêt en France.
Dispositifs obligatoires de prévention en entreprise, statut des lanceurs d’alertes, création de l’Agence Française Anticorruption (AFA), introduction de la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) … La loi Sapin 2 a permis de compenser le retard accumulé par la France en matière de lutte anticorruption, un retard qui rendait notamment les entreprises françaises vulnérables face aux stratégies extraterritoriales d’autres nations, et qui pouvait aussi peser sur l’attractivité économique du pays. Dans son ensemble, le bilan est donc positif. Mais dans leur rapport, les députés évoquent aussi un certain nombre d’évolutions envisageables pour les années à venir.
Pour rappel, seules les entreprises de plus de 500 salariés avec un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’€ sont aujourd’hui assujetties à la loi Sapin 2 – et donc susceptibles d’être contrôlées par l’AFA. Mais en pratique, quasiment toutes les entreprises sont a minima indirectement concernées, puisqu’il est devenu monnaie courante pour les grands groupes de demander à leurs fournisseurs et intermédiaires de se conformer aux mêmes exigences, afin de limiter leur propre responsabilité en cas d’inconduite de leurs partenaires.
Nous revenons ci-dessous sur les recommandations qui, si elles étaient adoptées, auraient un impact fort sur la vie des entreprises en France.
À l’heure actuelle, seules les entreprises dont le siège est en France peuvent être assujetties à l’article 17 de la loi Sapin 2. Cela crée une inégalité de fait entre les entreprises franco-françaises, et les filiales françaises de groupes étrangers.
Le rapport préconise de revenir sur cette limite controversée, en supprimant la restriction territoriale afin que ces filiales françaises puissent être assujetties « dès lors que la société mère dépasse les seuils prévus par la loi ».
Au-delà des frontières françaises, les rapporteurs soulignent que pour être à la hauteur de ses ambitions, la France doit renforcer l’application extraterritoriale de son dispositif. Par exemple, les faits de corruption d’agents publics étrangers, lorsqu’ils sont commis par des entreprises étrangères exerçant une partie de leur activité en France, ne sont jamais poursuivis par l’État français – à l’heure où d’autres pays continuent la course à l’extraterritorialité du droit anticorruption.
En cas d’inconduite avérée, il existe actuellement un décalage entre le traitement judiciaire des entreprises, qui ont la possibilité d’avoir recours à une CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public), et celui de leurs dirigeants. Dans la plupart des cas, ces derniers signent une CRPC (Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité) en marge de la CJIP de leur entreprise. Mais au travers de ces deux procédures parallèles, des décalages forts peuvent apparaitre. Ce fut le cas pour l’affaire togolaise de Vincent Bolloré, dont la CRPC a été refusée « face à la gravité des faits reprochés », au même moment où sa société Bolloré SE voyait sa CJIP homologuée pour les mêmes faits.
Cependant, le rapport n’est pas favorable à une extension des CJIP aux personnes physiques. Les députés soutiennent notamment que cela ouvrirait le champ à une dispense de condamnation des auteurs de faits criminels. En revanche, ils proposent de créer une « procédure de CRPC spécifique aux faits de corruption ». Celle-ci ne pourrait être proposée qu’en cas de révélation spontanée des inconduites, et à condition que la personne en cause coopère pleinement à l’enquête.
L’enquête interne fait partie des piliers du dispositif anticorruption en entreprise, tel qu’il a été pensé par la loi Sapin 2. Mais actuellement, cette procédure n’est encadrée par aucun texte de loi. Le rapport soutient qu’inscrire les modalités de l’enquête interne dans un cadre légal permettrait « d’offrir plus de garanties aux personnes physiques, et ainsi d’en favoriser l’usage ».
Cette directive du 23 octobre 2019 devrait, selon les députés, être adoptée avant la fin de l’année 2021 afin de renforcer la protection des personnes qui signalent des violations du droit européen. Les rapporteurs proposent d’en préciser certains éléments qu’ils jugent trop vagues, comme le critère du désintéressement, ou celui de la bonne foi.
En ce qui concerne l’AFA, le rapport salue le travail effectué par l’agence depuis sa création, mais alerte sur certaines faiblesses liées à son fonctionnement. Il critique notamment le statut hybride de l’AFA, sous la double tutelle de l’Etat et d’un magistrat judiciaire, ce qui fait parfois obstacle à son efficacité sur le terrain.
Selon les rapporteurs, cela « l’a conduite à surinvestir sa mission de contrôle, au détriment de la programmation stratégique ». Pour y remédier, ils proposent de « recentrer l’AFA sur son rôle de coordination administrative et d’appui à la programmation stratégique, et de transférer à la HATVP (Haute Agence pour la Transparence de la Vie Économique) les fonctions de conseil et de contrôle actuellement remplies par l’agence, afin de créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière de probité. »
Cette réattribution des rôles entre AFA et HATVP pourrait se faire sous une seule et même bannière : cela fait écho à la possibilité d’une fusion entre l’AFA et l’HATVP, évoquée par Bernard Cazeneuve comme un moyen « d’unifier la lutte contre la corruption ». En effet, fusionner les deux entités présenterait l’avantage de renforcer les moyens de l’AFA, mais aussi sa capacité à développer une vision d’ensemble suffisamment large pour élaborer une stratégie à l’échelle nationale. Autre avantage : dans le contexte de la création du Parquet européen, la perspective d’une instance unique dédiée à la lutte anticorruption permettrait de faciliter la coopération avec les institutions européennes, qui traiteraient donc avec une autorité aux pouvoirs étendus sur le terrain.
La fusion aurait des conséquences très concrètes pour les entreprises, puisqu’elle renforcerait le pouvoir d’enquête de la nouvelle entité anticorruption en lui conférant plus de moyens financiers ainsi qu’ un pouvoir de sanction inédit (à l’heure actuelle, l’AFA n’en a pas).
Cependant, l’opération est loin d’être acquise. Le directeur de l’Agence, le magistrat Charles Duchaine, s’oppose fermement à ce que certains commentateurs qualifient de « tentative d’OPA ». Dans les faits, si la proposition des députés était acceptée, la branche « AFA » de cette nouvelle autorité anticorruption se verrait privée de tout pouvoir d’enquête ; cette compétence serait transférée à l’HATVP. Alors que selon Charles Duchaine , « il n’existe strictement aucun conflit de compétences, ni aucun angle mort ».
Les opposants à cette fusion avancent aussi d’autres arguments, comme Michel Sapin, qui considère que la fusion déstabiliserait l’AFA, alors même qu’elle a réussi à acquérir une reconnaissance internationale en quelques années.
Pour l’instant, l’AFA continue donc à exercer sa mission telle que définie initialement, et continue à affiner ses méthodes et ses conseils aux entreprises.
En atteste la récente actualisation du questionnaire de contrôle. Depuis juillet, c’est à ce questionnaire que les entreprises doivent se préparer à répondre en cas de contrôle. Cette modification du questionnaire s’inscrit dans la continuité des nouvelles recommandations de l’AFA applicables aux situations de fusion-absorption, publiées en mars.
Si le plan général du questionnaire n’a pas changé, les renseignements demandés aux entreprises sont désormais bien plus précis. Par exemple, l’entreprise contrôlée doit dorénavant communiquer des informations détaillées sur ses tiers (clients, fournisseurs, intermédiaires) : nationalité, adresse, mais aussi le détail des opérations menées et des montants versés. L’AFA vérifie également la manière dont l’entreprise évalue l’intégrité de ses tiers : existence d’une base de données pour les classifier, d’une typologie de risques associés aux tiers…
D’autres précisions concernent le dispositif anticorruption déployé au sein l’entreprise : le questionnaire demande par exemple s’il existe une procédure d’enquête interne et un comité de traitement des alertes, s’il est possible d’alerter de manière anonyme, si les collaborateurs ont bien été associés à la cartographie des risques…
Conformément à la refonte des recommandations qui insistent particulièrement sur l’engagement de l’instance dirigeante, le questionnaire demande aussi de détailler l’engagement personnel des dirigeants dans la propagation d’une culture anticorruption au sein de l’entreprise.
Les entreprises ont donc tout intérêt à en prendre connaissance sans attendre, et à se préparer à communiquer dans le détail sur leur dispositif anticorruption.
Bilan de la loi Sapin 2
Actualité anticorruption en France et à l’international
Documentation AFA
Vers une fusion AFA / HATVP ?
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