La Chine est connue pour sa corruption endémique : selon l’ONG Transparency International, c’est le 78ème pays le plus corrompu en 2020 sur 176, derrière l’Afrique du Sud par exemple, un pays dont la réputation n’est déjà plus à faire de ce point de vue. Sur le plan commercial, cela en fait un terrain dangereux et propice aux poursuites judiciaires.
Par la taille de son marché, le pays reste en revanche incontournable pour les entreprises opérant à l’international. Si celles-ci ambitionnent de nouer des relations commerciales localement avec des tierces parties chinoises, elles doivent donc adopter toute une série de précautions, comme le préconise d’ailleurs le Département du Commerce US. Il conseille ainsi aux entreprises américaines de redoubler leurs efforts de due diligence vis-à-vis de leurs partenaires chinois avant de signer un contrat ou de nouer un partenariat, et ce quelle qu’en soit la nature.
Sur le plan légal, les dirigeants étrangers opérant en Chine doivent composer avec trois cadres réglementaires : les normes de bonne gouvernance imposées par leur pays d’origine, le droit extraterritorial anticorruption, et le droit pénal chinois. Mais en parallèle de ces cadres légaux, s’impose un autre cadre informel : la culture des affaires chinoise.
Depuis la libéralisation du marché chinois, l’Etat et ses fonctionnaires ont continué de jouer un rôle majeur dans le monde des affaires. Et si l’omniprésence des institutions gouvernementales augmente particulièrement le risque de corruption, c’est parce qu’elle s’allie à la tradition du « guanxi », qui consiste à établir son réseau d’affaires par le biais de cadeaux, d’invitations ou de services rendus. Cette approche des affaires augmente le risque de corruption à tous les niveaux : le guanxi étant incontournable, il devient difficile pour une entreprise de déployer son activité sans jouer le jeu de ces échanges de faveurs.
Or parmi les faveurs commandées par le guanxi, nombreuses sont celles qui peuvent être considérés comme des pots-de-vin par les législations nationales ou extraterritoriales (et en premier lieu le droit extraterritorial américain). Les entreprises se retrouvent donc en permanence face à la nécessité d’arbitrer entre ces législations internationales, et la réalité de la pratique des affaires locales.
Lorsque des entreprises font affaire en Chine, elles doivent donc impérativement s’intéresser au guanxi de leurs tiers : qui fait partie de leur réseau ? Quels types de biens sont offerts pour développer ce guanxi ?
Il est donc crucial de connaître l’identité et les pratiques des tiers chinois. Cependant, cela peut s’avérer particulièrement complexe, car l’identité des propriétaires d’entreprises en Chine est rarement transparente.
Cette difficulté a été bien comprise par les autorités américaines, qui condamnent activement la corruption de fonctionnaires étrangers par le biais du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Lorsqu’il est impossible de déterminer précisément les propriétaires d’une entreprise chinoise, la justice américaine la considère automatiquement comme un agent de l’État. Pour les entreprises internationales, cela signifie que toute relation d’affaire avec une entité chinoise est potentiellement soumise au FCPA, même lorsque le tiers n’est pas officiellement contrôlé par le gouvernement chinois.
La première menace en termes de poursuites n’émane donc pas du gouvernement chinois, mais des États-Unis. Sur les cinq dernières années, la Chine est le pays le plus concerné par des sanctions FCPA : pas moins de 25 règlements ont concerné des affaires de corruption en Chine, comme celle d’Herbalife, contraint de payer près de $120 millions suite aux pratiques corruptives de deux collaborateurs chinois.
Parmi les entreprises sanctionnées pour corruption en Chine, on trouve de nombreuses entreprises américaines, mais aussi européennes. En 2021, la Deutsche Bank a écopé d’une amende de $122,9 millions pour des offenses dans plusieurs pays, dont la Chine. La banque avait embauché des consultants en développement commercial, mais face au manque de contrôles comptables de ces intermédiaires, la justice américaine a engagé des poursuites. Elle en a conclu que les consultants n’étaient qu’une façade pour verser l’argent à des fonctionnaires étrangers.
Un autre schéma récurrent peut être illustré par le règlement AstraZeneca : de 2007 à 2010, la filiale chinoise de la société pharmaceutique britannique a effectué de nombreux paiements (sous forme d’espèces, mais aussi de cadeaux) à des médecins chinois et des responsables d’hôpitaux publics. Sans faire de différence entre les paiements en espèce et les « cadeaux » qui pourraient entrer dans le cadre du guanxi, la justice américaine a infligé une amende de $5,5 millions à l’entreprise.
Lorsqu’elles s’implantent en Chine, les sociétés ont donc tout intérêt à adopter le point de vue américain, et partir du principe que n’importe quel tiers peut avoir des liens avec le gouvernement chinois. Mais au-delà du FCPA, les entreprises étrangères doivent aussi rester vigilantes à l’évolution du cadre réglementaire chinois.
Depuis l’élection de Xi Jinping en 2013, le gouvernement chinois affiche une politique de tolérance zéro contre la corruption. De grandes campagnes anticorruption ont été menées, comme les opérations « Foxhunt » et « Skynet » qui auraient permis de recouvrer plus d’1,4 milliard de fonds détournés par des fonctionnaires corrompus. Ces campagnes, ainsi que l’utilisation de nouveaux moyens de détection comme l’intelligence artificielle « Zero Trust », sont devenues un élément central de la communication gouvernementale – le PCC allant même jusqu’à commander une série télévisée sur la lutte anticorruption menée par Xi Jinping.
De nombreuses critiques ont associé ces campagnes à un prétexte pour écarter les opposants du président. C’est par exemple ce qui a été affirmé lors de la condamnation de Zhang Zhixiong, président d’une grande société productrice d’aluminium, à 25 ans de prison en 2018 ; ou encore pour la condamnation à mort en 2021 de Lai Xiaomin, l’ancien président d’une grande société publique de gestion d’actifs de Chine.
Reste que sur le plan législatif, le pays a de facto considérablement renforcé ses lois anticorruption. Les entreprises opérant en Chine doivent prendre la mesure de ces changements, puisque la responsabilité pénale des dirigeants étrangers peut être engagée : les lois chinoises s’appliquent aux crimes commis sur le territoire national, qu’ils soient le fait de citoyens chinois ou de ressortissants étrangers.
En 2015, le neuvième amendement à la loi pénale chinoise a été promulgué afin de lutter plus efficacement contre la corruption. Parmi les mesures, on compte l’introduction d’une nouvelle infraction (« offrir un pot de vin à un parent proche ou à toute personne proche d’un fonctionnaire actuel ou ancien de l’Etat »), et l’élargissement de la portée des sanctions pécuniaires pour corruption. Une interprétation judiciaire de 2016 précise la notion de « pot-de-vin », en déterminant qu’un cadeau peut être considéré comme un pot-de-vin lorsqu’il implique des « avantages indus » en contrepartie.
En décembre 2020, ces efforts se sont élargis au secteur privé, avec l’augmentation des peines contre les employé du secteur privé reconnus coupables de corruption. Pour les crimes les plus graves, la sentence peut aller jusqu’à la prison à perpétuité. Ce changement inclut également les fonctionnaires de niveau inférieur, pour lesquels les sanctions étaient auparavant plus légères que celles visant les fonctionnaires de grade élevé. Qu’il s’agisse de corruption active (offrir un pot-de-vin en échange d’avantages commerciaux) ou passive (recevoir un pot-de-vin), les sentences sont échelonnées en fonction du montant échangé. La loi distingue quatre niveaux de gravité correspondant à des montants « relativement élevé », « élevé », « particulièrement élevé » et « particulièrement élevé et nuisible à l’intérêt public ». Le seuil monétaire de ces niveaux n’est pas encore précisé, mais il est indiqué que pour les crimes « particulièrement élevés », la sentence peut aller jusqu’à la prison à perpétuité.
À ces mesures nationales, s’ajoutent des engagements pris par le gouvernement chinois en matière de lutte internationale contre la corruption. Une des conditions de l’accord de principe conclu fin 2020 entre UE-Chine sur les investissements (non encore ratifié cependant par le Conseil de l’UE et le Parlement européen), était l’engagement chinois à respecter les conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), y compris sur le travail forcé, et à promouvoir une conduite commerciale responsable auprès de ses entreprises. Même si cet engagement a été critiqué comme un simple accord de façade, il est néanmoins représentatif d’une nouvelle posture de la Chine vis-à-vis des bonnes pratiques et d’une éthique digne de ce nom à adopter dans le monde des affaires.
Pour les entreprises, la difficulté consiste donc à trouver un équilibre entre conformité avec le FCPA, vigilance vis-à-vis de la législation chinoise, et respect de la culture du guanxi. Pour cela, elles ont tout intérêt à maîtriser deux leviers de contrôle : une politique très stricte en matière de cadeaux et invitations, et la systématisation des due diligence à l’égard de leurs tiers chinois.
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