« Pendant plus d’une décennie, une poignée d’individus a exercé une mainmise sur les exportations de litchi malgache, sans transparence ni redevabilité, alors que de potentielles violations sont passées inaperçues ». Le 10 novembre 2022, l’ONG anticorruption Transparency International (TI) a saisi la justice malgache et le Parquet National Financier (PNF) français, après avoir élaboré un rapport sur des soupçons de corruption et blanchiment dans l’exportation de litchis malgaches vers l’Europe.
Le rapport décrit un marché cadenassé par une entente entre des exportateurs malgaches et deux sociétés importatrices françaises, par l’intermédiaire d’une société offshore mauricienne. Dans son communiqué, l’ONG relate les résultats de son enquête et dit avoir trouvé des preuves de « corruption transnationale, d’accords illicites, de fraude fiscale, de blanchiment et de dissimulation de ces infractions ».
Tout commence en 2010, suite à l’effondrement des prix du litchis dans un marché saturé par la concurrence. Face aux plaintes des producteurs, un arrêté interministériel charge le Groupement des Exportateurs de Litchi (GEL), une association privée rassemblant les principaux exportateurs de la filière, de répartir un quota de 17 000 tonnes entre ses membres. À partir de cette date, plus aucune exportation de litchi vers l’Europe ne peut avoir lieu sans l’aval du GEL.
Avant que cette mission ne soit confiée au GEL, les exportations étaient réparties entre une dizaine d’acteurs. Mais depuis, ce quota aurait été divisé entre deux entreprises françaises seulement : Compagnie fruitière et Univeg-Katopé (depuis racheté par le groupe Greenyard). Plusieurs membres du GEL ont alors relayé leur mécontentement de « ne pas avoir été consultés pour ce choix dont ils critiquent l’opacité de la procédure d’appel d’offres ». Pourtant, cette configuration s’est maintenue les années suivantes ; selon TI, certains producteurs auraient trouvé leur compte dans ce système bénéficiant aux dirigeants du GEL, à leurs entreprises et à celles de leurs proches.
Mais dix ans plus tard, ce système fait de nouveau grincer les dents des producteurs marginalisés au sein de ce marché. Certains membres du conseil d’administration du GEL, notamment son président Thierry Samtio, et le président du groupe Sodiat Andry Rajoelina, pointés du doigt pour le contrôle qu’ils exercent sur la filière.
Ces arrangements opaques ont d’abord été dénoncés par Jean-Louis Bérard, un producteur de litchis installé à Madagascar. En octobre 2020, Bérard avait saisi le Conseil de la concurrence à l’encontre du GEL pour constitution de monopole. Le GEL a alors contre-attaqué en poursuivant Bérard pour dénonciation calomnieuse et abusive, dénigrement, désorganisation et banqueroute frauduleuse. Depuis, le producteur a été placé sous contrôle judiciaire par les autorités malgaches.
Par son profil atypique sur le marché du litchi malgache, Bérard semble incarner la difficulté de s’implanter dans un secteur touché par la corruption. L’ancien architecte de Montpellier ne nie pas défendre ses propres intérêts face à un système qui ne laisse pas de place aux nouveaux entrants. « Je ne suis pas revenu à Madagascar pour racler quelques sous sur le dos de pauvres paysans, mais pour apporter ma contribution au développement de ce pays où je suis né. Ce monopole m’empêche de travailler » a-t-il déclaré.
Mais il n’est pas le seul à dénoncer des pressions exercées par le GEL. Mercredi dernier, deux leaders de TI Madagascar ont été interrogés par la police économique malgache, dans le cadre d’une procédure judiciaire engagée à leur encontre par le GEL. Ces procédures ont provoqué un tollé diplomatique, avec une forte mobilisation des ambassades occidentales pour soutenir les leaders de TI face à ces pressions.
De son côté, le président du GEL, Thierry Samtio, accuse TI de chercher à nuire à la filière, défendant un système qui « fonctionne de manière équilibrée et apporte satisfaction aux adhérents du groupement » et qui aurait « permis de sortir d’un pillage économique uniquement profitable aux importateurs européens ».
Comment ces deux entreprises françaises ont-elle obtenu les droits exclusifs d’exportation vers l’UE pendant 10 ans ? Selon l’enquête de TI, ces dernières auraient versé des « cotisations » au GEL, chose théoriquement interdite puisque le groupement est uniquement composé d’entreprises malgaches. Tout en maintenant l’usage du conditionnel, l’ONG suggère que « ceci pourrait constituer un acte de corruption ».
TI pointe aussi du doigt un système de plus en plus opaque, notamment depuis la création par le GEL, en 2017, d’un nouvel intermédiaire entre le groupement et les entreprises françaises : la Litchi Trading Company (LTC), une structure commerciale créée à l’Île Maurice – un pays qui, jusqu’en 2021, figurait sur la liste des paradis fiscaux de l’UE.
Selon un membre du GEL, l’introduction de cet intermédiaire a été approuvée par un vote à main levée, sans qu’aucune information sur la société ne soit fournie aux membres. Depuis, l’intégralité des quotas d’exportations sont vendus par le GEL à cette structure, qui revend ensuite à Compagnie fruitière et Greenyard. En 2019, les exportations malgaches vers l’UE représentaient environ 25 000 tonnes de litchis, principalement à destination de la France.
Si Compagnie fruitière garde le silence face aux accusations, les représentants de Greenyard, eux, nient toute responsabilité dans la mise en place de ce système opaque. Pour Guy Azoulay, ancien directeur d’Univeg/Katope, « c’est une affaire malgacho-malgache ». Viviane Bauters, actuelle DG de Greenyard France, ajoute : « la façon dont le GEL s’organise localement nous est inconnue ».
La responsabilité de Compagnie Fruitière et de Greenyard France reste à déterminer par la justice. Mais plaider l’ignorance ne suffira probablement pas à les exempter de toute responsabilité. Les deux entreprises étant soumises aux obligations de conformité Sapin 2, il est de leur devoir de mener des contrôles d’intégrité sur leurs tiers. Dans ce contexte, la Litchi Trading Company apparaît comme un tiers particulièrement risqué. Si ces deux entreprises ne peuvent prouver qu’elles ont cherché à obtenir des garanties suffisantes d’intégrité, leur responsabilité juridique est engagée.
Plus généralement, cette affaire doit inviter à faire preuve de prudence lorsqu’une entreprise française opère dans un pays touché par une pauvreté endémique. 78% de sa population malgache vit sous le seuil de pauvreté, et, comme souvent, pauvreté et corruption vont main dans la main… comme en atteste la position de Madagascar au 147ème rang (sur 180 pays) de l’indice TI de perception de la corruption 2021.
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