Anticorruption

La justice US sanctionne la compagnie aérienne brésilienne GOL pour corruption… Au Brésil

GOL a été sanctionnée pour avoir « acheté » la baisse des taxes sur les carburants aériens

C’est la première grosse sanction américaine depuis la rentrée : le 15 septembre dernier, la compagnie aérienne brésilienne GOL Linhas Aéreas Inteligentes a accepté de payer $41,5 millions aux autorités américaines pour résoudre les accusations selon lesquelles elle aurait versé des pots-de-vin à des fonctionnaires brésiliens pour faire adopter une législation favorable à l’entreprise – violant ainsi le FCPA (Foreign Corrupt Practices Act), la loi extraterritoriale qui sanctionne la corruption à l’étranger.

Selon le DoJ, GOL aurait versé au moins $3,8 millions de pots-de-vin à divers fonctionnaires brésiliens entre 2010 et 2013, afin de faire adopter deux textes de lois comprenant des réductions de charges sociales et de taxes sur le carburant d’aviation. Rien qu’en 2013, ces législations auraient permis à GOL d’économiser environ $39,7 millions. Au cœur de l’affaire : un membre du conseil d’administration de GOL qui a orchestré un stratagème pour faire transiter les pots-de-vin via diverses entités liées aux fonctionnaires brésiliens concernés.

Un haut dirigeant, deux fonctionnaires et une multitude d’intermédiaires

L’affaire a commencé en 2010, lorsque cet administrateur de GOL a tenté d’obtenir des financements auprès d’une institution financière publique brésilienne, pour acquérir une concession autoroutière qui présentait un intérêt financier pour des membres de sa famille. C’est dans ce contexte que l’administrateur a été présenté à un intermédiaire qui lui a promis de l’aider, pour la modique somme de $2,2 millions.

Le caractère suspect de cette demande s’est confirmé lorsque l’intermédiaire lui a expliqué qu’il « recherchait des financements » à hauteur de $5,4 millions pour un candidat à l’élection municipale de São Paulo. Comprenant que ce montant était destiné à soudoyer des responsables publics, l’administrateur s’est engagé à payer les $5,4 millions, en exigeant une contrepartie : le soutien à des textes de lois bénéficiant à l’entreprise. L’intermédiaire s’est exécuté, s’octroyant au passage un tiers des $2,2 millions. Les deux tiers restants ont été versés à un fonctionnaire brésilien en liquide, par l’intermédiaire d’un « doleiro », un individu spécialisé dans le blanchiment et l’échange d’argent sur le marché noir. À son tour, le fonctionnaire a distribué une partie du montant en pots-de-vin à d’autres membres de son parti politique.

Bis Repetita

En 2012, l’administrateur GOL a contacté directement ce fonctionnaire brésilien pour lui rappeler son engagement de payer le reste des $5,4 millions à condition que la nouvelle loi incorpore des clauses favorables à l’industrie du transport aérien et routier. Une démarche payante : le texte a été adopté en juin 2012.

Mais il semblerait que seule une partie du montant total ait alors été versée. En 2013 en effet, l’intermédiaire a recontacté l’administrateur de GOL pour qu’il s’acquitte du reliquat, lui promettant en prime une réduction de la taxe sur le carburant d’aviation dans l’État de Brasilia, où GOL effectuait de nombreux vols. En échange de son accord, l’intermédiaire a arrangé une rencontre chez un autre fonctionnaire brésilien, auquel l’administrateur GOL a accepté de verser environ $540 000 en plus du montant déjà promis. Cette somme serait payée via un faux contrat avec un cabinet de conseil fiscal détenu par un proche du fonctionnaire. Résultat : en avril 2013, le gouvernement de Brasilia a fait passer la taxe sur le carburant d’aviation de 25% à 12% – ce qui, au total, aurait valu à GOL une réduction d’impôt de $12,24 millions.

En interne, l’administrateur de GOL a encouragé divers employés à accepter les devis proposés par les intermédiaires fictifs – balayant au passage certaines réticences, comme celles du département Marketing qui estimait certains devis trop coûteux compte-tenu du retour sur investissement attendu.

Le DoJ fait baisser l’amende

Au total, l’enquête du DoJ a permis de retracer $3,8 millions versés en pots-de-vin. GOL a conclu un accord de poursuite différé ou DPA, pour une durée de trois ans, et s’est engagé à payer $17 millions au Département de Justice (DoJ), et $24,5 millions à la Securities and Exchange Commission (SEC).

Initialement, la sanction totale aurait pu s’élever à environ $157 millions. Cependant, en raison de « la situation financière de  GOL et de son incapacité à payer l’intégralité des amendes », ce montant a été amoindri.

Par ailleurs, le DoJ a crédité GOL pour sa coopération, mentionnant « l’examen de documents volumineux, l’interrogation de témoins, la vérification des antécédents et le test de plus de deux mille transactions ». La société a aussi rapidement pris des mesures correctives, dont l’amélioration de « l’ensemble de son programme anti-corruption ». Le DPA n’exige pas que GOL nomme un contrôleur de conformité indépendant. En outre, l’administrateur à l’origine du stratagème a démissionné, et n’exerce plus aucune fonction dans l’entreprise.

FCPA : le « lien américain » remis en question ?

Mais quid alors ici de la « composante américaine » nécessaire pour que des faits de corruption puissent être poursuivis par les autorités américaines ? L’administrateur GOL aurait discuté du stratagème avec un proche associé d’un responsable brésilien, qui a ensuite transmis les informations en personne, mais aussi par téléphone et via des applications de messageries éphémères dont les serveurs sont exclusivement situés aux États-Unis. Un lien étroit, certes, mais typique des critères habituellement invoqués par le régulateur américain pour justifier son intervention dans des affaires de corruption à l’étranger.

Notons néanmoins que ce critère a récemment été remis en question par la décision d’une cour d’appel américaine d’annuler la condamnation FCPA d’un ancien dirigeant d’Alstom, pour son rôle présumé dans un stratagème de corruption en Indonésie. L’enjeu était de déterminer si M. Hoskins, un citoyen britannique employé par Alstom à Paris, pouvait être considéré comme un « agent » d’une filiale d’Alstom basée aux États-Unis, lorsqu’il a fait verser des pots-de-vin pour obtenir un contrat d’électricité en Indonésie. C’est ce lien présumé avec les États-Unis qui a été contesté en appel, renversant la condamnation FCPA prononcée en 2019.

Mais même si cette décision pourrait contribuer à redéfinir le type de personnes – en particulier les ressortissants étrangers – que le gouvernement américain peut accuser d’avoir enfreint le FCPA, la palette des possibles « liens américains » justifiant des poursuites reste extrêmement large, comme des transactions en dollars ou un simple email transitant par les États-Unis.

Sources

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Published by
Brune Lange

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