Ces dernières années, dans le sillon de scandales comme les Pandora Papers ou les FinCen Files, plusieurs pays ont légiféré afin de mieux combattre le blanchiment d’argent. Les États-Unis et le Royaume-Uni, notamment, ont adopté un virage vers la transparence forçant les entreprises à révéler l’identité de leurs propriétaires et bénéficiaires effectifs, respectivement au travers du Corporate Transparency Act et de la réforme du registre des entreprises britannique.
En parallèle, les actions répressives AML (Anti-Money Laundering) n’ont cessé d’augmenter. Selon un rapport du cabinet Kroll, 2021 a marqué le record du nombre de sanctions AML imposées à des institutions financières. Un record représentatif d’une certaine volonté politique, mais aussi d’un paysage international à haut risque : l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime estime qu’entre 2% et 5% du PIB mondial serait blanchi chaque année, soit une fourchette de 715 à 1 870 milliards d’euros.
Dans ce cadre réglementaire toujours plus complexe, les sanctions contre la Russie viennent s’ajouter à la liste des défis de compliance en 2022. Il est primordial que les entreprises restent informées des restrictions en vigueur, qui peuvent varier en fonction des pays.
Conjuguées à l’exclusion des banques russes du système Swift, ces restrictions augmentent la probabilité du recours au blanchiment pour permettre à des personnes et entreprises russes d’accéder à leurs actifs dans le système financier mondial. Les entreprises directement ou indirectement liées à la Russie doivent être sur leur gardes, afin de ne pas se rendre complices du recel d’argent blanchi.
Plus généralement, la crise du Covid-19 a rendu les entreprises plus vulnérables au risque de blanchiment. La fragilité économique, les changements brutaux de fournisseurs, et la dépendance à des technologies peu sécurisées ont créé des brèches dont les criminels ont su tirer parti. La crise a également donné lieu à une explosion des « rançongiciels », ces demandes de rançons suite au piratage des données des entreprises. Au cours de l’année 2020, les sommes extorquées via rançongiciel ont ainsi doublé, soit un paiement moyen de $200 000. Afin de blanchir cet argent, les criminels exigent souvent des paiements en crypto-monnaies, car ces dernières restent encore difficiles à tracer.
Difficile à tracer, mais faciles à utiliser : évoluant en parallèle des systèmes bancaires « classiques », les crypto-monnaies sont devenues une arme privilégiée des criminels pour anonymiser le blanchiment de l’argent issu de la corruption ou d’autres crimes.
Le risque de receler de l’argent blanchi est donc important pour les entreprises impliquées dans les Fintech et la Blockchain. Notons que le risque ne se limite pas aux monnaies virtuelles : il concerne la technologie blockchain en elle-même, car sa nature décentralisée la rend difficile à surveiller avec des instruments juridiques classiques. Par exemple, le marché des NFT (non fongible tokens), où des œuvres d’art numériques sont achetées avec de la monnaie numérique, a été identifié comme une cible à surveiller par les autorités américaines.
On a vu éclore un nombre croissant d’affaires incriminant des services d’échange de crypto-monnaies, comme Bitmex, plateforme condamnée à payer $100 millions à la justice américaine, et dont chacun des trois fondateurs a été sanctionné à hauteur de $10 millions. Il a notamment été reproché à Bitmex de ne pas appliquer le Bank Secrecy Act (BSA), la loi qui exige que les institutions financières luttent activement contre l’utilisation de leurs services à des fins criminelles. Fin 2021, le BSA a justement été révisé, et son champ d’application élargi pour inclure les actifs numériques.
La justice américaine entend donc bien contraindre ces plateformes aux mêmes standards de vigilance que les institutions financières classiques. Mais cela s’inscrit dans une stratégie plus large de responsabilisation de tous les acteurs liés (volontairement ou non) au blanchiment d’argent.
Le gouvernement Biden a annoncé de futures réglementations afin de renforcer la surveillance des clients du secteur financier. Les fonds spéculatifs et conseillers en investissement pourraient bientôt être obligés de déclarer toute activité suspecte, ce qui conférerait aux autorités une visibilité accrue sur ceux qui échangent l’argent issu de pratiques criminelles.
Au-delà des secteurs financiers, l’objectif est de mieux responsabiliser tous les facilitateurs de transactions : avocats, comptables, prestataires de services…. La stratégie Biden passe par la création de nouvelles normes pour que les professionnels comprennent mieux la nature des revenus de leurs clients, mais aussi par des sanctions pour punir « ceux qui auraient dû savoir ».
Notons que la stratégie américaine prévoit une attention accrue au commerce de certains produits appréciés par les criminels, comme l’art, les minéraux, les ressources naturelles, la faune… Ultimement, il s’agit de mieux détecter ceux qui acheminent les marchandises ayant servi à blanchir des capitaux, comme les prestataires de services de transport et de logistique.
Pour les entreprises, la meilleure stratégie pour se prémunir de toute complicité involontaire consiste peut-être à suivre l’exemple américain. D’abord, en menant des examens approfondis sur les potentiels auteurs et « facilitateurs » du blanchiment d’argent – ce qui signifie obtenir les informations les plus complètes possibles sur leurs clients et tierces parties. Ensuite, en augmentant leur vigilance lorsqu’elles sont impliquées dans le commerce d’un produit à haut risque. Enfin, dans le contexte actuel, elles doivent plus que jamais surveiller les transactions avec l’étranger et s’assurer qu’elles ne contreviennent pas aux sanctions économiques d’un monde en évolution réglementaire permanente.
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