Anticorruption

La CJIP Systra pour des faits de corruption en Asie Centrale en texte intégral

Siège de Systra, Paris 15. La CJIP porte sur des faits de corruption intervenus en Asie Centrale.

Nous vous proposons d’accéder dans ces pages au texte complet de la CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public) signée le 12 juillet 2021 entre le Procureur de la République Financier et la société SYSTRA SA suite à des faits de corruption intervenus en Asie centrale entre entre 2007 et 2019. C’est un document digne d’attention et instructif car il met à jour les mécanismes de corruption auprès d’agents publics locaux ayant permis au groupe SYSTRA, filiale commune à la SNCF et à la RATP, de gagner des marchés d’ingénierie ferroviaire relatifs à l’électrification d’une ligne en Ouzbékistan et à la construction du métro de Bakou en Azerbaïdjan.

Convention judiciaire d’intérêt public

entre

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE FINANCIER

près le tribunal judiciaire de Paris

et

LA SOCIETE SYSTRA SA

représentée par Céline Trotobas, directrice juridique groupe

72-76 rue Henry Farman 75015 Paris

assistée de Maître Loraine Donnedieu de Vabres-Tranié,

Maître Gabriel de Bousquet, Maître Florent Vever (Jeantet)

Vu l’article 41-1-2 du code de procédure pénale ;

Vu le décret no 2017-660 du 27 avril 2017 relatif à la convention judiciaire d’intérêt public et au cautionnement judiciaire ;

l. CONCERNANT SYSTRA SA

1. SYSTRA SA est une société anonyme au capital de 33 302 018 € dont le siège social est situé au 72-76 rue Henry Farman Paris 15 qui appartient au groupe SYSTRA. Elle est depuis le 26 juillet 2011 organisée en directoire et conseil de surveillance.

2. Elle réalise des prestations d’ingénierie et de conseil dans le secteur du transport et de la mobilité en France et à l’international au travers de branches ou de filiales.

3. La société SYSTRA SA emploie environ 2800 collaborateurs et réalise un chiffre d’affaires de 371 316 749 € en 2018, de 379 261 233 € en 2019 et de 391 963 932 € en 2020.

ll. EXPOSE DES FAITS

ll.1. Faits visant l’Ouzbékistan

4. Le 1 er juin 2017, une enquête préliminaire était ouverte par le parquet national financier (PNF) du chef de corruption d’agent public étranger suite à une dénonciation des autorités judiciaires japonaises en date du 11 août 2015 portant sur de possibles faits de corruption visant la société d’ingénierie française SYSTRA SA. Les faits dénoncés concernaient un marché d’ingénierie relatif à la modernisation et l’électrification d’une ligne de voie ferrée en Ouzbékistan.

5. Un employé de la société JAPAN TRANSPORTATION CONSULTANTS, INC (JTC) expatrié en Ouzbékistan expliquait qu’un fonctionnaire de la société nationale ferroviaire ouzbèke UTY, Monsieur D. S., chef de la section en charge de l’attribution des marchés publics, lui avait demandé de soumettre une proposition inadaptée afin de favoriser SYSTRA dans le traitement de l’appel d’offres relatif au marché public d’électrification de la ligne ferroviaire entre les villes de Marakand et Karshi. Monsieur D. S. garantissait en retour à JTC que SYSTRA soumettrait, elle aussi, une telle offre pour que le marché public d’électrification de la ligne ferroviaire Karshi-Termez lui soit attribuée.

6. En contrepartie de cette entente pour la répartition des chantiers, Monsieur D. S. imposait à SYSTRA et JTC de choisir comme entreprise sous-traitante, au prétexte de services logistiques pour les ouvriers des chantiers et les expatriés, la société KIRKLISTON DEVELOPEMENT LP ayant son siège au Royaume-Uni.

7. L’enquête démontrait qu’entre janvier et décembre 2013, la société SYSTRA SA avait versé 575 954,97 $ sur un compte en Lettonie appartenant à la société KIRKLISTON DEVELOPEMENT. Le bénéficiaire économique de cette société était Monsieur D.S.

8. Enfin, il était constaté que KIRKLISTON DEVELOPEMENT LP louait des appartements pour les ouvriers des chantiers et les expatriés de SYSTRA et JTC à des prix bien supérieurs à ceux du marché. Les témoignages recueillis révélaient que les propriétaires des appartements étaient en fait les membres du comité de sélection en charge de l’attribution des marchés publics.

9. SYSTRA et JTC avaient embauché un ancien employé de l’UTY qui avait permis la mise en relation entre les entreprises et les membres du même comité de sélection.

10. Lorsque le directoire a eu connaissance par le nouveau directeur régional en 2015 des faits suspectés en Ouzbékistan, dissimulés par l’équipe dirigeante locale titulaire d’une délégation de pouvoirs, il demandait de résilier immédiatement les contrats douteux et de faire un audit complet des paiements dans cette région pour vérifier l’absence d’autres transactions suspectes.

11. Entre 2013 et 2019, SYSTRA SA avait réalisé un chiffre d’affaires de 3 515 480 € grâce au contrat conclu en Ouzbékistan. Ce chiffre d’affaires lui avait permis de dégager une marge d’exploitation (marge nette après prise en compte des coûts directs et indirects liés au contrat) de 339 428 €.

ll.2. Faits visant l’Azerbaïdjan

12. A l’occasion des perquisitions et des auditions, les enquêteurs constataient que la société SYSTRA SA semblait avoir eu recours à de la corruption d’agent public étranger pour l’obtention du marché d’ingénierie du métro de Bakou en Azerbaïdjan. Ce marché avait été obtenu par la société SYSTRA le 5 mai 2009.

13. Après sa désignation au terme d’une procédure de consultation publiée le 14 novembre 2008, la société SYSTRA SA avait créé, à la demande de la société publique du métro de Bakou, un consortium avec deux partenaires étrangers tchèque et coréen pour moderniser et étendre le réseau du métro de Bakou. Une succursale locale nommée SYSTRA AZ était créée en 2010 pour les besoins de l’exécution des prestations qui lui avaient été confiées.

14. L’enquête mettait à jour un système de versements de « commissions » par l’intermédiaire de deux sous-traitants, les sociétés FORAL et A+A. SYSTRA SA rémunérait par ailleurs un agent commercial Monsieur B.G., ressortissant israélien d’origine russe. Cet agent, par ailleurs assistant maître d’ouvrage pour la société publique du métro de Bakou, disposait d’un accès au ministre de l’économie azéri qui exerçait la tutelle sur la société du métro.

15. Les sociétés FORAL et A+A étaient dirigées par la même personne. Le contrat était signé avec FORAL LLP immatriculée au Delaware (Etats-Unis). En 2014, le paiement du contrat était effectué sur les comptes de la maison-mère FORAL LP immatriculée en Ecosse et détenue par deux actionnaires situés au Belize.

16. Le principal salarié de SYSTRA SA en charge du projet indiquait que les « commissions » versées aux sous-traitants pouvaient représenter 30% des sommes facturées par le consortium. Des témoins locaux indiquaient que la société FORAL n’avait jamais été présente aux réunions techniques et qu’elle sous-traitait les prestations.

17. Suite à un changement de direction au sein de la société du métro de Bakou, le consortium avait rompu les contrats avec les sous-traitants FORAI et A+A.

18. Le contrat conclu par SYSTRA SA avait été exécuté entre 2009 et 2017. Il avait représenté 44 434 501 € de chiffre d’affaires pour la société qui avait dégagé une marge d’exploitation de 4 658 000 €.

19. Le représentant légal actuel de la société SYSTRA SA n’était pas en responsabilité à l’époque de la conclusion des contrats incriminés. Les changements dans la gouvernance de la société du métro de Bakou et la rupture des contrats avec les sous-traitants FORAL et A+A conduisaient celui-ci à effectuer des investigations. Il était constaté que des faits commis au sein de la société en violation du dispositif de conformité mis en place dès 2011 avaient été dissimulés au nouveau directoire par l’équipe dirigeante locale. Lorsqu’ils étaient portés à sa connaissance en 2014, le directoire prenait très rapidement des mesures correctrices, dont le changement de l’équipe dirigeante locale, et renforçait ses procédures de contrôle comptable et de conformité de manière à prévenir le renouvellement de tels faits.

20. Le procureur de la République financier considère que l’ensemble de ces faits est susceptible de recevoir la qualification de corruption d’agent public étranger prévue à l’article 435-3 du code pénal.

lll. AMENDE D’INTERET PUBLIC

21. Aux termes de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, le montant de l’amende d’intérêt public est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 3()% du chiffre d’affaires moyen annuel de la société, calculé à partir des trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat des manquements.

22. Le chiffre d’affaires consolidé de SYSTRA s’est élevé à 586 200 000 € en 2018, 631 173 000 € en 2019, 654 798 000 € en 2020. Le montant maximal théorique de l’amende d’intérêt public encourue est donc de 187 217 100 €.

23. Les investigations ont permis d’évaluer les avantages retirés des manquements à la somme de 4 997 428 €, calculée à partir de la marge nette, après prise en compte des coûts directs et indirects liés aux contrats litigieux obtenus.

24. Le caractère ancien des faits, la mise oeuvre dès 2011 d’un dispositif de conformité, d’éthique et contrôle comptable, son renforcement continu depuis la découverte des faits, ainsi que la coopération active de la nouvelle direction de la personne morale dès la phase d’enquête puis lors de la phase de négociation de la présente convention doivent être pris en compte au titre des facteurs minorants.

25. Cependant, la gravité des faits, d’une part, s’agissant de corruption en direction d’agents publics étrangers et, d’autre part, l’emploi par l’équipe dirigeante locale d’outils sophistiqués de dissimulation de versements indus, justifient l’application d’une pénalité complémentaire de 2 498 572 €.

26. Par conséquent, le montant total de l’amende d’intérêt public est fixé à la somme de 7 496 000 €.

IV. MODALITES D’EXECUTION DE LA PRESENTE CONVENTION

27. Aux termes de la présente convention, SYSTRA SA accepte de procéder au paiement de l’amende d’intérêt public fixée ci-dessus, soit la somme de 7 496 000 €, dans les conditions prévues par l’article R.15-33-60-6 du code de procédure pénale.

28. Ce paiement aura lieu en dix versements dans un délai de 12 mois à compter du premier versement devant intervenir, le 31 juillet 2021.

29. Il est rappelé que, conformément aux dispositions de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, l’ordonnance de validation de la présente convention judiciaire d’intérêt public n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation.

A Paris le 12 juillet 2021

Jean-Luc Blachon procureur de la République financier adjoint Céline Trotobas directrice juridique du groupe SYSTRA représentante dûment mandatée de la société SYSTRA SA

Sources

A lire aussi

Lectures complémentaires

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Franck Métay

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