L’année 2020 restera dans les annales concernant l’application du Foreign Corrupt Practices Act américain, avec une somme record de $6,4 milliards en sanctions infligées à des entreprises pour des faits de corruption, en particulier Goldman Sachs ($3,3 milliards) et Airbus ($2 milliards).
Face à ce record, le 1er semestre 2021 a eu parfois des faux airs de calme plat. En six mois, le DoJ n’a entrepris de poursuites qu’à l’encontre de deux entreprises, et 13 individus. Depuis 2015, jamais un semestre n’avait vu aussi peu de règlements FCPA.
Cet écart avec la tendance amorcée ces dernières années peut être lié à plusieurs facteurs. D’abord, l’épidémie Covid-19, qui a porté d’autres impératifs au premier plan ; mais aussi et surtout l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis. Et au regard des priorités mises à l’ordre du jour, mieux vaut considérer ce ralentissement comme le symptôme d’une période transitoire, plutôt qu’un signe de relâchement de la lutte anticorruption américaine…
Jusqu’ici, seulement deux entreprises ont fait l’objet de sanctions FCPA, au travers de règlements conclus à l’aide d’une DPA (Deferred Prosecution Agreement).
D’une part, un accord de $130 millions a été conclu avec la Deutsche Bank. Les faits remontaient à la période 2009-2016 : des « consultants en business development » ont versé des sommes illicites à des responsables gouvernementaux étrangers pour le compte de la Deutsche Bank. Ces paiements, exécutés sans due diligence et sans laisser de trace sur le plan comptable, auraient été versés dans le but d’obtenir des marchés lucratifs à Abu Dhabi, en Arabie Saoudite et en Italie.
D’autre part, la société britannique d’ingénierie Amec Foster Wheeler a accepté de payer $41 millions en règlement de pots-de-vin versés à des fonctionnaires brésiliens dans le contexte de l’affaire Pétrobras.
Cet accord, conclu le 25 juin, est le dernier règlement FCPA en date.
13 individus poursuivis
Du côté des personnes physiques, le nombre d’individus poursuivis accuse une légère baisse : 13 personnes, contre 20 pour le second semestre 2020.
Parmi ces 13 personnes, on compte une majorité d’individus impliqués dans des affaires FCPA récentes. Par exemple, en septembre 2020, le fournisseur d’asphalte Sargeant Marine a été condamné à payer $16,6 millions pour résoudre des poursuites FCPA liées à des pots-de-vin versés au Brésil, au Venezuela et en Equateur. Suite à ce règlement, dans lequel l’entreprise reconnaît les faits, le DoJ a annoncé des poursuites à l’encontre de plusieurs dirigeants et intermédiaires de Sargeant Marine.
Mais le DoJ est allé plus loin en annonçant des poursuites à l’encontre d’un fonctionnaire public étranger : Daniel Comoretto, un responsable au sein de l’entreprise gouvernementale Petroleos de Venezuela, est accusé d’avoir reçu $229 000 en pots-de-vin, blanchis sous la forme de commissions pour chaque baril d’asphalte acheté à Sargeant Marine.
En théorie, le FCPA n’a pas vocation à sanctionner ceux qui reçoivent les pots-de-vin, mais ceux qui les distribuent. Pourtant, près de la moitié des individus poursuivis début 2021 par le DoJ sont des responsables gouvernementaux étrangers qui ont accepté des pots-de-vin. Parmi les poursuites du même acabit, on peut citer celles de Mahamoud Bechir, ancien ambassadeur du Tchad, et de son chef de mission, Youssouf Takane, accusés d’avoir influencé l’attribution des droits d’exploitation pétrolière au Tchad à la société canadienne Griffiths Energy, en échange de $2 millions.
Ces trois exemples illustrent bien la tendance actuelle du FCPA : poursuivre les instigateurs des actes de corruption, mais également ceux qui en récoltent les bénéfices, en utilisant un autre chef d’accusation : le « complot en vue de blanchir de d’argent ».
De nouvelles enquêtes ouvertes
Ce début 2021 fait donc bien figure de période transitoire : les derniers règlements liés aux affaires en cours se concluent, et font place à d’autres investigations.
Parmi les informations disponibles au public, dix entreprises ont annoncé l’ouverture d’une enquête américaine pour violation potentielle du FCPA :
Succès des programmes de récompense des lanceurs d’alertes
Enfin, parmi les actualités de la lutte anticorruption américaine, il faut mentionner la collaboration croissante entre les autorités et les lanceurs d’alerte. En mai 2021, la SEC a annoncé qu’une récompense de $28 millions serait versée à un lanceur d’alerte dans le cadre de poursuites américaines pour violation du FCPA.
C’est l’un des records du SEC Whistleblower Program, qui a mis en place un système de rétribution des dénonciations d’inconduites : lorsque les poursuites mènent à un règlement pécuniaire, le lanceur d’alerte a droit à une indemnité de 10 à 30% des fonds versés au gouvernement.
La SEC conserve l’anonymat sur le contexte de cette récompense ; selon le Wall Street Journal, elle est liée à des révélations concernant des pots-de-vin versés par des consultants fictifs pour le compte de la société japonaise Panasonic en Asie et en Europe. Ce seraient donc ces révélations qui auraient mené au règlement Panasonic Avionics Corp. avec la SEC et le DoJ en 2018, à hauteur de $137 millions.
Depuis octobre 2020, la SEC a accordé environ $339 millions à 53 lanceurs d’alerte.
Autre signe que ce ralentissement n’est qu’éphémère : depuis son élection, Joe Biden a réaffirmé haut et fort les ambitions américaines dans la lutte contre la corruption mondiale. En la déclarant « un intérêt fondamental de la sécurité nationale des États-Unis », le nouveau président américain l’a identifiée comme un enjeu prioritaire de sécurité intérieure, afin de se prémunir de l’influence d’acteurs étrangers sur la politique nationale.
Parmi les priorités citées, l’accent est mis sur la transparence des systèmes financiers et des structures de propriété effectives. Rappelons qu’en janvier 2021, une étape importante a été franchie avec le Corporate Transparency Act afin de lutter contre les sociétés-écrans, dont l’anonymat facilite les transactions financières douteuses. Enfin, le gouvernement Biden entend renforcer les financements de la lutte contre la corruption, ainsi que la coordination avec la société civile et les partenaires internationaux pour mieux la détecter. D’ici la fin de l’année, le département du Trésor américain devrait donc émettre de nouvelles régulations relatives à ces sujets.
En attendant, ces nouveautés se traduisent par des changements en profondeur qui peuvent expliquer la lente reprise des poursuites FCPA. Par exemple, l’élection de Biden a donné lieu à des transformations importantes au sein de l’administration aux commandes. La stratégie affichée par le DoJ était de réunir une unité FCPA dotée de procureurs expérimentés. C’est désormais chose faite : en moins de six mois, six nouveaux postes de chef adjoint ont été créés au sein de l’unité FCPA.
Parmi ces changements, on remarque la nomination de David Last pour diriger l’unité FCPA. Ancien chef par intérim de l’unité FCPA depuis avril 2020, Last a notamment été membre de l’équipe ayant enquêté sur l’affaire Braskem/Odebrecht. Lors du Forum mondial 2021 de l’OCDE sur la lutte contre la corruption, Last a réaffirmé les engagements pris par Joe Biden, en précisant que enquêtes du DoJ prêteront une attention accrue à la qualité du dispositif anticorruption des entreprises.
Règlement FCPA
Stratégie américaine anticorruption
Programme de récompense des lanceurs d’alerte
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