Le 25 novembre 2020, la Cour de Cassation a rendu un arrêt qui va constituer une véritable révolution concernant les futures fusions-absorptions (arrêt n°18-86.955) conclues à compter de cette date. Désormais, une entreprise pourra en effet être tenue pénalement responsable d’actes commis par une société qu’elle vient d’absorber – et ce, même si les faits datent d’avant l’absorption.
Pour les entreprises, les opérations de fusion-absorption présentent donc de nouveaux risques. Pour les aider à en prendre toute la mesure, l’AFA (Agence Française Anticorruption) a publié en mars une version actualisée de son guide sur les vérifications anticorruption dans le cadre plus vaste des fusions-acquisitions. SKAN1 Outlook vous en propose ici les principaux éléments à retenir.
Auparavant, le transfert de responsabilité (de la société absorbée à la société-mère) se limitait à la responsabilité civile : l’entreprise absorbée disparaissant juridiquement, elle transmettait son patrimoine à la nouvelle entité. Toute dette, y compris issue d’une condamnation, était donc transmise à l’absorbant. Sur ce plan on observe un statu-quo.
En revanche, sur plan pénal, cette transmission était en principe impossible en vertu de l’article 121 du Code pénal (« nul n’est responsable pénalement que de son propre fait »). L’entité absorbée étant considérée comme « défunte », elle ne pouvait plus être poursuivie pour des faits de corruption ou de fraude. C’est ce principe que la Cour a récusé, estimant que puisque l’activité économique de l’entreprise continue après son absorption, elle ne peut être assimilée à une « personne physique décédée ». On assiste donc ici à un changement radical.
Cet arrêt du 25 novembre relatif aux fusions-absorptions s’applique aux sociétés anonymes et aux sociétés par actions simplifiées. Si les faits commis avant l’opération de fusion-absorption sont avérés, la société absorbante peut donc désormais être condamnée à une peine d’amende ou de confiscation. Cette nouvelle règle s’applique à toutes les fusions-absorptions à compter du 25 novembre 2020.
Mais la Cour va plus loin : s’il s’avère que la fusion absorption a eu lieu pour « faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale », alors la peine n’est plus limitée aux amendes et confiscations. La fusion sera alors considérée comme frauduleuse, et la responsabilité pénale intégrale de l’absorbant peut être engagée, selon des critères qui restent à préciser.
Comme dans son précédent guide, l’AFA rappelle les avantages qu’il y a à procéder à des vérifications anticorruption au sujet des tiers dont l’absorption est envisagée. D’un point de vue financier, par exemple, les vérifications peuvent révéler des sources potentielles de coûts supplémentaires à venir : si la cible fait l’objet d’une enquête pour corruption, l’absorbant risque de devoir supporter le montant d’une amende potentiellement élevée, ou bien encore les frais inhérents à l’amélioration du dispositif anticorruption de la cible.
Plus indirectement, la mauvaise presse associée à un scandale de corruption risque également d’affecter la réputation et par conséquent le résultat économique de l’entreprise.
Si l’AFA insiste autant sur cet enjeu, c’est justement parce que, légalement, ces vérifications sont facultatives. Selon l’article 17 de la loi Sapin 2, qui impose à certaines entreprises (plus de 100 M€ de CA et 500 salariés) d’évaluer certains de leurs tiers, il n’est en effet pas obligatoire d’évaluer une société dont l’acquisition ou l’absorption est envisagée. Pourtant, dans son précédent guide de bonnes pratiques publié en 2020, l’AFA encourageait néanmoins déjà les entreprises à mener des vérifications anticorruption avant toute opération M&A.
L’AFA profite également de ce revirement de jurisprudence pour rappeler que, si l’absorption d’une entité est envisagée, un certain nombre de vérifications sont indispensables afin d‘obtenir notamment les informations ci-dessous :
Au-delà de la cible elle-même, il est également capital de connaître l’ensemble des cadres juridiques applicables. Dans la mesure où les législations peuvent se cumuler, et dans un contexte où le droit extraterritorial progresse à l’international, il faut impérativement apprécier et prendre en compte l’étendue des lois anticorruption s’appliquant à l’entité cible et à l’entité absorbante.
Enfin, l’AFA incite à ne pas négliger les moyens humains et financiers nécessaires pour effectuer les vérifications.
Parmi les éléments mis à jour dans ce guide dédié au M&A, l’AFA revient avec insistance sur le rôle de l’instance dirigeante. Ce parti pris est conforme aux recommandations 2021 de l’AFA qui désignent, dans un document générique, l’engagement exemplaire et total de l’instance dirigeante comme une condition indispensable à l’émergence d’une véritable culture de lutte anticorruption dans une entreprise.
Le rôle du responsable de la fonction conformité lors d’une fusion-absorption est également précisé. Ce dernier doit être associé à la « mise en œuvre des projets stratégiques et aux prises de décisions structurantes de l’entreprise ». L’entreprise est libre d’éventuellement confier les contrôles M&A à un autre responsable, voire à un prestataire externe, mais même dans ce cas, le responsable de la conformité devrait être associé au processus de vérification et aux prises de décisions relatives à ce sujet. Selon l’AFA, cette coordination est indispensable pour développer une vision globale des risques liés à la cible.
Enfin, des scénarios de risque ont également été ajoutés au guide, afin d’illustrer les vérifications prioritaires à chaque stade : lors des négociations préalables, entre le signing et le closing, et après le closing. Par exemple, si l’audit a révélé des défaillances dans le dispositif anticorruption de la cible, l’acquéreur doit se préparer à mettre à jour ce dispositif. Plus encore, si les vérifications éveillent des soupçons de corruption, alors des mesures doivent être prises immédiatement : faire cesser les agissements délictueux, engager des procédures disciplinaires contre les coupables présumés, le cas échéant dénoncer les faits et apurer la situation pénale de la société grâce à une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP).
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