Nous vous proposons ici le texte intégral au format html de la CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public) signée le 29 janvier 2020 entre le Procureur de la République Financier et le groupe européen Airbus SE pour clore plusieurs affaires de corruption intervenues entre 2004 et 2016. C’est un document particulièrement intéressant car il met en exergue la problématique d’arbitrage entre le respect de la politique de conformité de l’entreprise et la forte pression qui s’exerce pour gagner des appels d’offres dans le secteur extrêmement concurrentiel de l’aéronautique. Il souligne également la difficulté de recruter des intermédiaires, a priori indispensables pour faire aboutir ce type de dossier, tout en assumant à chaque fois la nécessité d’une politique d’évaluation des tiers robuste et fiable, sans interférences politiques.
CONVENTION JUDICIAIRE D’INTERET PUBLIC
entre
le PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE FINANCIER
près le Tribunal de grande instance de Paris
et
AIRBUS SE
Représentée par M. John Harrison, Group General Counsel
Vu l’enquête préliminaire 16 159 000 839 ouverte le 20 juillet 2016 des chefs de corruption d’agent public étranger, abus de biens sociaux, abus de confiance, escroqueries en bande organisée, blanchiment de ces délits, faux et usage de faux,
Vu l’article 41-1-2 du code de procédure pénale,
Vu le décret n°2017-660 du 27 avril 2017 relatif à la convention judiciaire d’intérêt public et au cautionnement judiciaire,
1. Le groupe Airbus a été progressivement formé à partir de la fusion, en 2000, des trois entités européennes Aérospatiale-Matra, DASA et CASA. Airbus SE (anciennement EADS NV) en est aujourd’hui la société-mère. Il s’agit d’une société européenne dont le siège social est situé à Leyde, aux Pays-Bas, le siège opérationnel du groupe étant quant à lui fixé à Blagnac.
2. Airbus SE détient et contrôle, directement ou indirectement, l’ensemble des activités et entités du groupe Airbus. Depuis 2013, la participation dans le capital d’Airbus des Etats actionnaires (France, Allemagne et Espagne) est désormais limitée à 28% (l’Etat français, via SOGEPA, est actuellement actionnaire à hauteur de 11.1%) et le groupe s’est doté d’une nouvelle gouvernance avec un conseil d’administration et un Président du conseil d’administration indépendants. Le groupe Airbus comptait 135 978 employés dans le monde au 30 septembre 2019, dont 48 000 en France.
3. Le groupe Airbus a connu de nombreuses réorganisations entre 2004 et 2016, période sur laquelle ont porté les investigations. Dernièrement, EADS NV a été rebaptisée « Airbus Group NV » en janvier 2014 puis Airbus Group SE en mai 2015. En avril 2017, Airbus Group SE a finalement pris la dénomination d »‘Airbus SE ».
4. Au terme de ces réorganisations, l’activité du groupe Airbus est répartie autour des trois divisions suivantes : « Commercial Aircraft» (ci-après « Airbus commercial »), « Defence and Space » (ci-après « Airbus Defence and Space ») et « Helicopters » (ci-après « Airbus Helicopters »).
5. Airbus commercial regroupe les activités de fabrication et de vente d’avions commerciaux. Elle est exploitée par Airbus SAS, dont le siège est situé à Blagnac. Airbus SAS est l’un des deux plus importants constructeurs d’avions commerciaux du monde. En 2016, son activité générait à elle seule 73% du chiffre d’affaires du groupe Airbus. Compte tenu de cette part prépondérante, les investigations ont principalement porté sur l’activité de cette division.
6. En juillet 2017, Airbus SAS a absorbé Airbus Group SAS, l’ancienne entité opérationnelle du groupe en France (auparavant EADS France SAS), pour former une entité juridique unique regroupant les activités « siège » et « aviation commerciale ».
7. Les avions commercialisés par Airbus SAS sont divisés en plusieurs catégories et sous-catégories incluant des variantes : famille des A220 (depuis 2018), famille des A320, famille des A330, famille des A350 et enfin l’A380, dont la production cessera en 2021.
8. Airbus Defence and Space résulte des rapprochements successifs qui ont été opérés entre EADS CASA, EADS Defence and Security et EADS Astrium entre 2000 et 2014. Airbus Defence and Space construit et commercialise, au travers de filiales et de co-entreprises, des avions militaires, des satellites, des systèmes de communication, de renseignement et de sécurité, ainsi que des composants pour l’industrie aérospatiale. Son siège est situé à Ottobrunn en Allemagne. En 2016, les activités d’Airbus Defence and Space représentaient 18% du chiffre d’affaires du groupe.
9. Airbus Helicopters fabrique et commercialise des hélicoptères civils et militaires. Airbus Helicopters Holding et Airbus Helicopters sont situés à Marignane et contrôlent l’ensemble des filiales de la division Helicopters dans le monde. En 2016, l’activité de cette division représentait 9% du chiffre d’affaires du groupe.
10. Entre 2011 et 2018, les résultats du groupe Airbus, consolidés au niveau de la société-mère, se répartissent comme suit :
(Milliards EUR) | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 |
Entité | EADS N.V | EADS N.V | EADS N.V | Airbus Group SE | Airbus Group SE | Airbus Group SE | Airbus SE | Airbus SE |
Chiffre d’affaires | 49,128 | 56,480 | 57,567 | 60,713 | 64,450 | 66,581 | 59,022 | 63,707 |
Marge brute | 6,777 | 7,898 | 7,954 | 8,937 | 8,851 | 5,264 | 6,873 | 8,787 |
Résultat avant impôts et frais financiers | 1,541 | 2,089 | 2,570 | 3,991 | 4,062 | 2,258 | 2,665 | 5,048 |
1 – Le SMO (Strategy and Marketing Organization)
11. Airbus a engagé et rémunéré jusqu’au début de l’année 2015 de nombreux intermédiaires commerciaux (dénommés « business partners » en interne) afin de l’assister dans ses négociations commerciales avec ses clients étatiques et privés.
12. Jusqu’en 2008, chaque division du groupe Airbus assurait directement la gestion du recrutement et de la rémunération de ses intermédiaires, sous la supervision du service EADS international, rattaché à la société EADS France SAS, au niveau groupe.
13. A compter de 2008, une nouvelle organisation a été créée sous le nom de SMO. Celle-ci a cessé ses activités en avril 2015 et a été formellement dissoute en mars 2016. Le SMO était rattaché à EADS France SAS (devenue ensuite Airbus Group SAS, puis absorbée par Airbus SAS) et comprenait environ 150 salariés.
14. Au sein de SMO, qui regroupait plusieurs fonctions, le service SMO International supervisait les activités de développement commercial du groupe. Le SMO International comprenait notamment deux sous-départements opérationnels, l’un dédié aux opérations internationales (ci-après « SMO/IO ») et l’autre au développement international (ci-après « SMO/ID »).
15. La mission du SMO International était de soutenir les ventes réalisées par l’ensemble des divisions du groupe Airbus, et en particulier de gérer les activités de développement international d’Airbus à l’extérieur de ses marchés d’origine et des Etats-Unis, notamment l’identification, l’engagement et l’ encadrement des intermédiaires commerciaux.
16. A partir de 2008, le SMO international gérait également les projets de développement sur les marchés internationaux (dits « International Market Development projects » ou « projets IMD ») qui étaient bâtis pour développer l’empreinte marketing d’Airbus, et ont également parfois été utilisés pour offrir des rémunérations complémentaires à certains intermédiaires commerciaux avec lesquels ils pouvaient être conçus.
17. Le SMO était dirigé par un « Chief Strateo and Marketing Officer – CSMO » qui a occupé ces fonctions de 2008 à avril 2015 et qui disposait d’une délégation de pouvoirs du directeur général exécutif (CEO) d’Airbus Group. Chaque sous-département du SMO était dirigé par un directeur, qui disposait lui-même d’une délégation de pouvoirs du CSMO.
18. A partir du I er juillet 2014, le directeur du SMO/IO était soumis hiérarchiquement au directeur du SMO/ID. Le SMO International disposait de sa propre direction juridique et de son propre service de contrôle de gestion. Le SMO/IO avait également son propre service de la conformité.
19. D’après les règles fixées au sein du groupe Airbus, les équipes commerciales devaient être impliquées dans la sélection et le suivi de l’activité des intermédiaires commerciaux, et le SMO/IO devait s’assurer que ces derniers étaient indépendants des clients d’Airbus. Lors de la création du SMO en 2008, Airbus commercial lui a transféré l’ensemble de ses activités de développement, c’està-dire la gestion des intermédiaires commerciaux et la mise en œuvre des projets IMD. Pour ces activités, le budget du SMO International était fixé à 300 millions de dollars la première année, et à des sommes moindres les années suivantes. En pratique, Airbus Commercial remboursait au SMO International les sommes effectivement payées aux intermédiaires commerciaux ou investies dans le cadre de projets IMD, dans la limite de ce budget.
20. Les deux autres divisions, Airbus Helicopters et Airbus Defence and Space, ont plus rarement fait appel au SMO pour la gestion de leurs intermédiaires commerciaux. Elles ont généralement continué de gérer elles-mêmes les relations et les paiements avec ces derniers, même si leur engagement devait être approuvé par SMO/IO.
21. Si le SMO/IO était responsable de l’identification, de l’engagement juridique et de la gestion des relations contractuelles avec les intermédiaires commerciaux, la décision d’engagement des « business partners », ainsi que celle d’investir dans un projet de développement international, faisaient l’objet d’une procédure interne d’approbation. Celle-ci était conduite au sein du comité de développement et de sélection, le « Company Development and Selection Committee, » (« CDSC »). Ce dernier était coprésidé par le chef du SMO et par le directeur financier d’Airbus group, tous deux membres du comité exécutif et référant par ailleurs directement au directeur général exécutif d’Airbus Group. Il comprenait notamment le directeur de la conformité du groupe, le directeur de la conformité du SMO International, le directeur juridique du SMO/IO, un représentant d’Airbus commercial et le directeur du SMO/IO.
22. En raison de la difficulté de ses membres à se réunir régulièrement, et afin de préparer les décisions du CDSC, ce dernier avait lui-même établi deux sous-comités : (i) le sous-CDSC (qui proposait à la validation du CDSC l’engagement des intermédiaires commerciaux); et (ii) le pré-CDSC (qui proposait à la validation du CDSC les projets de développement international).
23. Le directeur du SMO/IO présidait le sous-CDSC, auquel il présentait les projets d’engagement d’intermédiaires commerciaux. Il était également en charge de structurer l’engagement financier d’Airbus envers ces intermédiaires.
24. D’après les règles internes d’Airbus, tout recrutement d’un intermédiaire commercial comme toute décision d’investir dans un projet IMD devait être précédé d’un audit réalisé par le SMO/IO, dont les résultats devaient être présentés respectivement au sous-CDSC et au pré-CDSC.
25. Toutefois, les investigations ont démontré que dans un certain nombre de cas, les informations qui ont été communiquées à ces comités ont été incomplètes, trompeuses ou inexactes, s’agissant notamment du processus ayant permis d’identifier l’intermédiaire commercial, du montant de la rémunération secrètement promise à ce dernier (notamment par le biais de lettres de confort), de l’identité du bénéficiaire effectif de la rémunération prévue par le contrat d’engagement ou encore de la justification économique sous-jacente d’un projet IMD. Dans certains cas, l’audit préalable a été réalisé trop rapidement, et parfois même a posteriori par le SMO/IO alors que le sous-CDSC ou le pré-CDSC avait déjà donné son approbation.
26. Il est également apparu que le CDSC approuvait généralement les propositions qui lui avaient été transmises par les sous-comités sans procéder lui-même à un examen approfondi du projet d’investissement ou des conditions d’engagement de l’intermédiaire. Or le directeur du SMO/IO, lui-même chargé de gérer l’engagement des intermédiaires commerciaux et de structurer leur rémunération, jouait un rôle au sein de ces deux sous-comités.
27. Une fois l’engagement de l’intermédiaire commercial approuvé par le CDSC, le SMO/IO contrôlait et gérait l’exécution du contrat, en particulier le paiement des commissions, sur délégation d’Airbus commercial. En 2008, une ligne directrice interne d’Airbus prévoyait qu’aucune rémunération supérieure à 15 millions de dollars ne pouvait être versée aux intermédiaires. Toutefois, les investigations ont montré que dans plusieurs cas, des rémunérations bien plus importantes ont été promises à des intermédiaires et versées par plusieurs moyens détournés, dont des prêts fictifs, sans qu’il soit possible de connaître avec exactitude la nature et le contenu des services que ces intermédiaires avaient réellement rendus à Airbus (soit qu’ils n’établissaient pas de rapport détaillé de leurs activités, soit qu’ils fournissaient de faux rapports en réalité rédigés par d’anciens salariés d’Airbus, engagés à cette fin par le SMO/IO).
28. Dans le cadre de l’enquête, Airbus a mis à disposition du PNF des tableaux réalisés par le SMO/IO afin d’assurer le suivi des engagements financiers contractés en rapport avec chaque campagne de vente ou intermédiaire commercial. A partir de ces documents, il a été constaté que ces engagements, pris sur plusieurs années, dépassaient le budget annuel alloué au SMO International, même si les paiements restaient conformes à ces limites. De plus, il est apparu que certains intermédiaires commerciaux avaient été engagés fictivement dans le cadre de campagnes de vente auxquelles ils n’avaient pas participé, ou par le biais de sociétés sans activité réelle, soit pour dissimuler leur intervention sur d’autres campagnes, soit pour contourner les plafonds de rémunération susmentionnés ou parce que cet engagement était uniquement motivé par leur capacité à transmettre des fonds en toute discrétion à des tiers.
2 – Les procédures internes d’Airbus
29. Au cours de la période sur laquelle a porté l’enquête, plusieurs procédures internes écrites concernant spécifiquement les paiements et la gestion des relations contractuelles avec les tiers ont été diffusées au sein d’Airbus. Il s’agit :
30. Le « Business Ethics Policy and Rules » contenait les principes fondamentaux applicables à l’ensemble des employés. L’introduction de ce document, rédigée par le directeur général exécutif (CEO) d’Airbus, évoquait des « principes d’avant-garde » dans la conduite des affaires. Ce document décrivait les procédures d’audit à mener concernant l’engagement des intermédiaires commerciaux. Il relevait qu’il était très important d’être attentif aux « redflags » (signaux d’alerte) dont il donnait une liste d’exemples.
31. Le « SMO Process for Business Development » était un document interne au SMO International qui détaillait la procédure à suivre pour l’engagement des intermédiaires commerciaux et la mise en œuvre des projets IMD. Il rappelait la nécessité de suivre la procédure d’approbation par le CDSC, et la conduite d’un audit avant la conclusion du contrat d’engagement.
32. Le « CDSC Terms of Reference » décrivait quant à lui le processus à suivre concernant les projets IMD et attribuait au SMO International la mission de réduire les risques liés à leur mise en œuvre, Il rappelait que le processus de décision devait assurer que les risques financiers et légaux liés aux contrats conclus avec des tiers soient identifiés et minimisés. Il s’agissait également de s’assurer que la gestion de ces contrats ne générait aucun risque réputationnel.
33. L’enquête a démontré que dans un certain nombre de cas, ces processus et les principes dont ils étaient censés garantir l’application n’ont pas été respectés ou ont été sciemment contournés.
1- La coopération entre autorités de poursuite
34. L’activité d’Airbus commercial est soutenue par trois agences de crédit-export : COFACE (aujourd’hui BPI France) pour la France, UK Export Finance (UKEF) pour le Royaume-Uni et Euler-Hermès pour l’Allemagne. Ces agences se répartissent, par pays et par client, le rôle d’assureur principal, de co-assureur principal et de réassureur. Afin d’obtenir le soutien de ces agences, Airbus doit leur fournir un certain nombre d’informations sur les contrats à garantir.
35. A la fin de l’année 2015, une revue de conformité a établi que certaines déclarations faites à UKEF concernant l’utilisation des intermédiaires commerciaux au sein d’Airbus étaient incomplètes. Airbus ayant une obligation contractuelle de corriger les informations inexactes communiquées aux agences de crédit-export, elle a signalé ces irrégularités à UKEF pour la première fois en janvier 2016, puis lui a présenté un rapport plus détaillé en mars 2016. Dans le prolongement de cette information donnée à UKEF, COFACE et Euler-Hermes ont également été informées par leur homologue des irrégularités révélées à UKEF. Les premières conclusions remises par Airbus à UKEF ont mis en évidence que dans certains cas, Airbus avait communiqué à UKEF des informations erronées ou inexactes concernant l’identité des intermédiaires commerciaux auxquels elle avait eu recours ou le montant de leur rémunération.
36. Le avril 2016, Airbus a signalé au Serious Fraud Office britannique (le « SFO ») qu’elle avait identifié des problèmes dans ses déclarations à UKEF. UKEF a également transmis au SFO les informations communiquées par Airbus après en avoir avisé la société.
37. Le 6 juin 2016, le procureur de la République financier a quant à lui été destinataire d’un signalement du Directeur général du Trésor, effectué sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, relayant les éléments portés par UKEF à la connaissance de COFACE.
38. Ces éléments ont conduit le Parquet national financier (PNF) à ouvrir, le 20 juillet 2016, une enquête préliminaire des chefs de corruption d’agent public étranger, de faux et usage de faux, d’escroquerie en bande organisée, d’abus de confiance et blanchiment de ce délit et d’abus de biens sociaux, faits commis entre 2004 et 2016. Cette enquête a été confiée à l’Office Central de Lutte contre les Infractions Financières et Fiscales (OCLCIFF).
39. Un accord d’équipe commune d’enquête ( « ECE ») a été signé le 30 janvier 2017 entre le PNF et le SFO, afin de mettre en place une stratégie d’enquête coordonnée, faciliter le recueil des preuves et l’analyse technique des données, assurer le partage des informations pertinentes entre les autorités de poursuites dans le respect des dispositions de la loi no 68-678 du 26 juillet 1968 dite « loi de blocage », ainsi que d’utiliser ces preuves en vue de poursuites pénales ou de la conclusion d’accords transactionnels.
40. Le nombre considérable de documents collectés par Airbus (plus de 30,5 millions auprès de plus de 200 détenteurs) dans le cadre de son enquête interne a conduit à développer de nouvelles procédures pour filtrer les informations relevant de la défense nationale et de la confidentialité des échanges avocat-client, et pour identifier et analyser les documents susceptibles d’être pertinents pour l’enquête judiciaire. Durant toute la durée de cette dernière, Airbus a tenu l’ECE informée des résultats de ses investigations internes au travers de nombreuses présentations et de la production des pièces (contrats, documents bancaires, échanges de courriels, compte rendus d’entretiens avec des salariés, etc…). Ces présentations se sont concentrées sur les campagnes de vente identifiées comme prioritaires par l’ECE compte tenu des indices de commission d’infractions qu’elles présentaient à la lumière des premières informations recueillies.
41. Parallèlement, dès fin juillet 2016, le PNF et I’OCLCIFF ont mené leurs propres investigations, indépendamment de l’enquête interne conduite par Airbus, en procédant à une revue des documents pertinents remis par Airbus, en réalisant un grand nombre d’auditions de salariés et anciens salariés d’Airbus, ainsi que de consultants et d’intermédiaires commerciaux, en conduisant des perquisitions qui ont permis de recueillir des éléments de preuve complémentaires et en émettant plusieurs demandes d’entraide pénale internationales.
42. L’enquête de IECE a visé l’ensemble des intermédiaires commerciaux auxquels l’une quelconque des divisions ou filiales d’Airbus a eu recours jusqu’en 2016, soit plus de 1.750 entités dans le monde entier. L’ECE a concentré ses vérifications sur les relations d’Airbus avec 110 de ces intermédiaires commerciaux pour lesquels des points de vigilance ou d’alerte avaient été relevés, parmi lesquels l’ECE a sélectionné plusieurs priorités d’enquête.
43. L’accord d’ECE a permis d’aboutir à une répartition de ces priorités d’enquêtes entre le PNF et le SFO. Le PNF a plus particulièrement concentré ses investigations sur la conduite d’Airbus et/ou de ses divisions ou filiales dans les pays suivants: Emirats Arabes Unis, Chine, Corée du Sud, Népal, Inde, Taïwan, Russie, Arabie Saoudite, Vietnam, Japon, Turquie, Mexique, Thaïlande, Brésil, Koweït, Colombie. Le SFO a concentré ses investigations sur la conduite d’Airbus et/ou de ses divisions ou filiales dans les pays suivants: Corée du Sud, Indonésie, Sri Lanka, Malaisie, Taïwan, Ghana et Mexique.
44. A partir de ce périmètre, le PNF et le SFO ont retenu un échantillon représentatif des marchés concernés et des préoccupations relevées.
45. Conformément à l’accord d’ECE, les éléments recueillis par le PNF dans le cadre de son enquête ont été partagés avec le SFO. Afin d’assurer l’application de la loi n°68-678 du 26 juillet 1968, les documents issus de l’enquête interne d’Airbus ont été transmis par la société seulement au PNF, qui en a assuré la transmission au SFO dans le respect des dispositions de l’article 694-4 du code de procédure pénale. De son côté, le SFO a également partagé avec le PNF les éléments issus de sa propre enquête.
46. Le Département de la justice des Etats-Unis (DOJ) a ouvert une enquête parallèle ayant porté sur les violations de la législation FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) et de la règlementation ITAR (International Trafic in Arms Regulations). (1) Le Département d’Etat américain (« DoS ») a également conduit ses investigations sur les violations de la règlementation ITAR. Le PNF a également partagé certains éléments de son enquête avec le DOJ, dans le respect des dispositions de la loi du 26 juillet 1968 et de l’article 694-4 du code de procédure pénale
2 – La coopération d’Airbus aux enquêtes des autorités de poursuite
47. A compter d’octobre 2014, Airbus a gelé le paiement de toutes les sommes restant dues aux intermédiaires utilisés par Airbus Commercial. En mai 2015, cette mesure a été étendue aux intermédiaires engagés par les deux autres divisions du groupe.
48. A compter du printemps 2015, Airbus a diligenté ses premières vérifications sur les faits en lien avec les irrégularités dont elle a ensuite informé les autorités britanniques.
49. En avril 2016, une enquête interne a été confiée par Airbus à plusieurs cabinets d’avocats, par l’intermédiaire desquels Airbus a contacté le SFO.
50. Le 15 mars 2017, le PNF a informé Airbus de l’enquête préliminaire ouverte en France et a sollicité de la société qu’elle désigne un conseil inscrit à un barreau français.
51. A compter de début 2017 les investigations internes ont été coordonnées avec celles de l’ECE. Plus particulièrement, Airbus a:
52. Ainsi, même si Airbus n’a pas révélé spontanément au PNF les faits qui ont motivé l’ouverture de son enquête interne, la société a apporté, à compter de mars 2017, une coopération exemplaire aux investigations de l’ECE.
53. Airbus s’engage à maintenir cette coopération envers le PNF après la validation de la CJIP. Airbus transmettra au PNF toute nouvelle information concernant les faits visés par la présente convention, ou concernant des faits dont elle pourrait avoir connaissance à compter de la validation de la présente convention, et susceptibles de se rattacher à la commission d’une infraction visée à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale commise dans le cadre de ses activités.
1- CAMPAGNES DE VENTE AVEC AIR ARABIA
54. Le 12 novembre 2007, Airbus et Air Arabia ont conclu un contrat portant sur la vente de 34 avions A320, outre 15 avions A320 supplémentaires en option. Le 24 juin 2008, Air Arabia a exercé son option sur 10 avions A320 restant à commander. C’était la première fois qu’Airbus parvenait à vendre des avions à cette compagnie aérienne.
55. Au cours d’un entretien réalisé durant la revue de conformité des intermédiaires conduite par Airbus, un cadre dirigeant du SMO International a affirmé qu’un dirigeant d’Airbus Middle East avait pris « l’engagement » de verser une rémunération occulte à un dirigeant d’Air Arabia en contrepartie des contrats rappelés ci-dessus.
56. Plusieurs éléments recueillis au cours de l’enquête corroborent sérieusement ces allégations.
57. Ainsi, de juillet à novembre 2007, Airbus Middle East, assisté d’une équipe de négociateurs de contrats d’Airbus Commercial, a échangé avec plusieurs cadres et dirigeants d’Air Arabia afin de finaliser les termes de la commande. Puis, les 12 octobre et 20 décembre 2007, une proposition de « projet » a été présentée au Business Development Committee, qui était, avant la création du SMO et du CDSC en 2008, le comité chargé au sein d’Airbus Commercial de valider les projets d’investissements impliquant des intermédiaires commerciaux.
58. Les tableaux de suivi du SMO/IO, qui avait repris cet engagement à son compte en 2008, indiquaient un engagement « Air Arabia » initialement fixé à 1 % du montant du contrat de vente avec la compagnie aérienne et qui a ensuite été ramené à 10 millions de dollars. Quelques années plus tard, en février 2014, un autre document établi par le SMO International et récapitulant les engagements financiers les plus significatifs d’Airbus à l’égard de ses intermédiaires commerciaux indiquait à propos d’Air Arabia : « 10 millions USD toujours impayés, soumis à mise en œuvre adéquate d’un projet ».
59. Il résulte également de l’enquête que plusieurs mécanismes ont été successivement envisagés par le SMO International afin de réaliser cet engagement. En 2012, un premier projet consistait en l’acquisition par Airbus d’une société appartenant à ce dirigeant d’Air Arabia. Ce projet a néanmoins été refusé par le pré-CDSC, au motif que l’actionnaire de la société-cible était un dirigeant d’une compagnie aérienne cliente, et qu’il en résultait un « risque de conflit d’intérêts ». Le pré-CDSC a considéré qu’il convenait plutôt d’utiliser une structure financière, telle qu’une banque ou un véhicule financier sans lien capitalistique avec EADS et/ou Airbus. Le PNF considère qu’il s’agissait donc pour le pré-CDSC non pas de remettre en cause le principe du paiement à ce dirigeant de la compagnie aérienne, mais de trouver un moyen plus discret d’y procéder.
60. Un deuxième projet, proposé en 2013, consistait pour Airbus à acquérir des biens immobiliers de luxe afin de les mettre à disposition de ce même dirigeant. Ce projet n’a pas davantage été retenu en raison de son caractère trop complexe et non transparent. Dans un échange de courriels internes au SMO International, cette opération était ainsi décrite : « je veux des structures plus directs (sic) du genre : (X) nous a aidés et nous mettons à sa disposition un appart, deux appart, trois appart tt [sic] cela apparaissant comme mkting [sic] expenses ».
61. Enfin, il ressort des investigations qu’il a également été envisagé de septembre 2014 à mai 2015 de transmettre la rémunération promise à ce dirigeant de la compagnie aérienne grâce à un faux « business partner » dont la mission réelle était ainsi de « porter » les fonds tout en assurant le caractère occulte de l’opération. Il était ainsi prévu de verser à ce faux intermédiaire la somme de 14 millions de dollars au titre d’une prétendue mission de « business partner » en lien avec une autre campagne de vente et sous couvert d’une société-écran acquise spécialement pour les besoins de la cause. Cette solution n’a finalement pas non plus été retenue en raison des doutes exprimés par le service conformité d’Airbus (qui n’était pas impliqué dans la manœuvre) quant aux capacités de ce faux intermédiaire à réaliser une mission de « business partner ».
62. En définitive, il ressort des investigations qu’Airbus a tenté par différents moyens, par l’intermédiaire du SMO International et y compris dans les mois qui ont suivi le gel des paiements instauré en octobre 2014, d’offrir les avantages évoqués ci-dessus à un dirigeant de la compagnie aérienne cliente, en contrepartie de la signature du contrat de vente du 12 novembre 2007. Il faut toutefois noter que la vigilance d’autres services internes d’Airbus a contribué à ce que ces tentatives ne se concrétisent pas.
63. Le procureur de la République financier considère que ces faits sont susceptibles de recevoir la qualification de corruption prévue à l’article 445-1 du code pénal.
2 – CAMPAGNES DE VENTE AVEC DES COMPAGNIES AERIENNES CHINOISES
64. En 2014, 2 GTA (« General Terms Agreements ») ont été conclus entre Airbus et l’autorité centrale chinoise :
65. Les GTA sont des accords conclus entre les constructeurs aéronautiques et l’administration chinoise, qui encadrent le nombre d’avions que les compagnies aériennes chinoises sont autorisées à acheter. Ces accords ne comportent pas l’indication des éléments essentiels des contrats de vente finaux, tels que le prix de vente ou la date de livraison des avions.
66. Les GTA signés en 2014 ont eu pour objet d’apporter la « validation » par le gouvernement chinois de tout ou partie des contrats de ventes conclus par Airbus avec ces compagnies. Or, si la signature du contrat de vente (« purchase agreement ») entre Airbus et une compagnie aérienne cliente permet au constructeur de percevoir le paiement pré-livraison (« Pre-delivery payment ») et de lancer le processus de production des avions commandés, seule la signature du GTA permet d’autoriser l’importation des avions en Chine. Afin de fluidifier le processus de production des avions, Airbus avait donc un intérêt à ce que la signature du GTA intervienne le plus rapidement possible après celle des contrats de vente.
67. La signature du GTA était donc une étape essentielle sans la réalisation de laquelle les contrats de vente conclus avec les compagnies aériennes ne pouvaient être exécutés.
2.1 Le China Aviation Cooperation Fund (CACF)
68. A partir de 2011, Airbus a accepté de contribuer financièrement au CACF. Lors de chaque livraison d’avions, Airbus émettait une note de crédit dédiée au CACF.
69. L’objet du CACF était officiellement de financer des projets de coopération avec l’industrie aéronautique chinoise, tels que des formations à destination des pilotes.
70. Il ressort des éléments communiqués par Airbus que le montant total des fonds cumulés affectés au CACF s’est élevé à 24,2 millions de dollars entre 2012 et 2017. Sur la même période, 13 projets et manifestations ont été financés par Airbus en puisant dans le CACF, représentant un peu plus de 2 millions de dollars. Ces fonds ont été utilisés principalement au bénéfice d’agents de l’administration et de dirigeants de compagnies aériennes ou d’entités publiques chinoises qui jouaient un rôle dans le processus d’achat.
71. Une partie des fonds a été utilisée en dehors de l’objet initial du CACF pour financer des séminaires, qui comportaient principalement des activités de loisirs. Ces séminaires ont notamment été organisés alors qu’Airbus était parallèlement en négociation en vue d’obtenir la vente d’avions.
72. Au-delà du CACF, certains éléments de l’enquête ont également fait apparaître qu’Airbus avait organisé, au bénéfice d’agents publics chinois, plusieurs voyages en Chine et hors de Chine, composés principalement voire exclusivement d’activités de loisirs. Airbus couvrait généralement les frais des participants à ces voyages, y compris parfois ceux de leur entourage.
73. Enfin, l’enquête a permis d’identifier de nombreux cadeaux et invitations offerts à des agents publics chinois et à des dirigeants de compagnies aériennes, notamment des cadeaux luxueux et des billets pour assister à des événements.
2.2 La négociation des GTA de 2014
74. Entre 2013 et 2014, Airbus a eu recours aux services d’un intermédiaire commercial pour l’assister dans la négociation de ces GTA.
75. Il ressort des investigations qu’en dépit du fait que cet intermédiaire agissait visiblement pour le compte d’Airbus auprès d’officiels chinois, aucun contrat d’engagement ni aucun rapport détaillant ses activités n’a été établi.
76. En revanche, le SMO International a rédigé un projet de lettre détaillant la rémunération qui aurait été promise à cet intermédiaire au titre des services qu’il a rendus à Airbus. Ce document précise que 30 millions de dollars devaient lui être payés via des « contrats de consultant » et que le solde lui serait payé par la mise en œuvre de projets industriels ou commerciaux dans lesquels Airbus devait investir à ses côtés.
77. Cette lettre d’engagement a été le sujet de nombreux échanges de courriels entre des responsables d’Airbus et un consultant d’Airbus en Asie impliqués dans les négociations des GTA avec des officiels chinois.
78. De ces échanges, il ressort qu’il était attendu du SMO International qu’il fournisse à l’ intermédiaire chinois un « papier de confort » destiné à garantir le montant de sa rémunération.
79. D’après l’enquête, plusieurs cadres d’Airbus pensaient que cet intermédiaire commercial avait pris certains engagements envers des officiels chinois dans le prolongement de la promesse faite par Airbus qu’il recevrait ce « papier de confort ».
80. En 2013, lors d’un échange de courriels, l’intermédiaire a ainsi indiqué à un cadre dirigeant du SMO International : « Je me suis engagé : tous les paiements seront faits selon un moyen acceptable pour les deux parties. Notre intention est également la même que la vôtre : « ne pas créer de gêne ».
81. Des mêmes échanges de courriels, il ressort que le fait que le SMO International ait tardé à fournir le document attendu, puis à exécuter l’engagement de verser les fonds à l’intermédiaire, avait pu affecter négativement le déroulement des négociations des GTA 2014 avec les autorités chinoises.
82. A cet égard, le consultant d’Airbus pour l’Asie a évoqué à plusieurs reprises la difficulté de parvenir « à aligner les planètes » tant que le « confort » ne serait pas suffisant.
83. Lors d’un autre échange de courriels entre ce même consultant et un responsable d’Airbus Commercial, il était indiqué :
84. Le SMO International a envisagé dans un premier temps de rémunérer cet intermédiaire par le biais d’une société à laquelle il était directement lié, en engageant officiellement cette dernière en qualité de consultant.
85. Finalement, en juin 2014, une autre solution a été privilégiée : une société tierce a été engagée par Airbus afin de l’assister dans une campagne de vente avec une compagnie de leasing. En réalité, cette campagne de vente avait déjà abouti depuis mars 2014 à la vente de 70 avions A320, sans qu’aucun intermédiaire commercial n’assiste Airbus. Toutefois, pour permettre de justifier le versement de fonds, un contrat fictif a été signé rétroactivement entre Airbus et cette société tierce, dont l’engagement a été motivé par le fait qu’elle avait prétendument assisté Airbus dans l’obtention de ce contrat.
86. En exécution de cet engagement fictif, Airbus a versé environ 10.3 millions d’euros à ladite société. Cette dernière était gérée par un individu dont les investigations ont montré qu’il avait, à plusieurs autres reprises, été utilisé par le SMO International pour faire transiter discrètement des fonds sans qu’Airbus n’apparaisse directement.
87. Selon certains éléments de l’enquête, ce montage a permis de faire transiter ces 10.3 millions deuros jusqu’à une deuxième société, détenue par le même individu et basée au Liban. C’est cette société libanaise qui aurait finalement transmis des fonds à l’intermédiaire commercial chinois, sous couvert d’un contrat de prêt lui aussi fictif conclu avec la société de cet intermédiaire. Compte tenu des éléments réunis au cours de l’enquête, il apparaît qu’une partie de ces fonds était destinée à être remise à des agents publics chinois.
88. Les tableaux de suivi du SMO/IO confirment que les fonds versés en 2014 par Airbus par le biais de ce contrat d’engagement fictif étaient destinés à l’intermédiaire commercial chinois et étaient liés à la conclusion des GTA.
89. D’autres annotations suggèrent qu’il était prévu de verser à cet intermédiaire 13 millions de dollars supplémentaires en 2015, toujours au titre des GTA, en ayant recours à un mécanisme de « portage » similaire. Toutefois, le gel des paiements intervenu en octobre 2014 a interrompu ce processus.
90. Le procureur de la République financier considère que l’ensemble de ces faits sont susceptibles de recevoir la qualification de corruption d’agent public étranger prévue à l’article 435-3 du code pénal.
3- CAMPAGNES DE VENTE AVEC KOREAN AIR
91. Entre 1996 et 2000, Airbus a conclu trois contrats de vente avec Korean Air, une compagnie aérienne privée de Corée du Sud :
92. Les éléments de l’enquête conduisent le procureur de la République financier à considérer qu’en contrepartie de la signature de ces contrats, Airbus s’est engagée à verser la somme de 15 millions de dollars à un ancien haut dirigeant de cette compagnie aérienne. Le consultant d’Airbus pour l’Asie semble avoir joué un rôle très actif dans la réalisation de cet engagement.
93. De nombreux courriels échangés entre ce consultant et des cadres dirigeants d’Airbus suggèrent que le SMO International a été chargé, à compter de 2008, de mettre en œuvre cet engagement.
94. Un premier versement est intervenu en 2010, par le biais de structures liées à un intermédiaire commercial qui a ensuite été poursuivi et incarcéré dans le cadre d’une enquête ouverte sur des faits de corruption par une autorité étrangère.
95. En septembre 2010, Airbus a réalisé un investissement de 10 millions de dollars en rachetant les parts sociales d’une structure détenue par une société appartenant au fils de cet intermédiaire. Les fonds ont été virés à partir de comptes bancaires ouverts au Liban par une filiale d’Airbus ayant son siège aux Emirats Arabes Unis. L’objectif de cette opération était de permettre l’acheminement d’une partie des 10 millions de dollars, soit au moins 2 millions de dollars d’après les tableaux tenus par le SMO International, vers cet ancien dirigeant de Korean Air. A la suite de cette opération, le consultant d’Airbus pour l’Asie indiquait « je me suis senti assez confiant pour discuter à nouveau avec [X]/ et lui apporter quelques (petites) bonnes nouvelles, ce que j ‘ai fait hier. Il a compris. Je crois que c ‘est mieux que rien mais ça ne sera bientôt pas suffisant ».
96. Deux semaines plus tard, le même consultant indiquait dans un courriel adressé à un cadre d’Airbus Commercial : « de mon côté je mets actuellement en œuvre ce qui a été obtenu du SMO… Mais ce n’est qu’une première phase très limitée… mieux que rien… ».
97. Un deuxième paiement de 6,5 millions de dollars est intervenu en 2011 par l’entremise d’un autre intermédiaire commercial. Ce dernier a été officiellement engagé par Airbus pour une campagne de vente d’avions A320 qui n’avait aucun lien avec Korean Air et alors qu’il n’avait en réalité joué aucun rôle dans cette campagne. Airbus et la société par laquelle opérait cet intermédiaire ont conclu un contrat de conseil fictif le 3 mai 2011, en vertu duquel Airbus lui a versé 6,5 millions de dollars le 20 septembre 2011. Il ressort des investigations que l’essentiel de ces fonds était destiné à être transmis au même ancien dirigeant de Korean Air.
98. Plus tard, en 2012, un cadre dirigeant du SMO International a évoqué, dans un courriel adressé au consultant pour l’Asie, un déjeuner à venir avec ce dirigeant. Il a décrit de la manière suivante les objectifs de ce déjeuner : « figer le passé et engager une discussion travaux pratiques ».
99. Un troisième paiement de 6 millions de dollars a eu lieu en 2013, via un versement effectué par Airbus à des établissements universitaires en Corée du sud et aux Etats-Unis en lien avec des projets de recherche impliquant ces établissements, dans lesquels cet ancien dirigeant de Korean Air avait des intérêts moraux (5) . Les tableaux de suivi du SMO/IO établissent un lien entre ce paiement et les campagnes de vente avec Korean Air.
100. Le procureur de la République financier considère que ces faits sont susceptibles de recevoir la qualification de corruption prévue à l’article 445-1 du code pénal.
4- CAMPAGNE DE VENTE AVEC NEPAL AIRLINES
101. Nepal Airlines (Nepal Airlines Corporation – NAC) est la compagnie aérienne nationale du Népal. Elle est détenue et contrôlée par l’Etat népalais. Le 5 novembre 2009, Airbus a signé deux protocoles d’accord (« Memorandum of Understanding – MoU’) avec Nepal Airlines en vue de la vente d’un avion A330 et d’un avion A320. Il s’agissait de la première vente réalisée par Airbus avec cette compagnie.
102. Il résulte des investigations que des cadres d’Airbus ont échangé avec deux hommes d’affaires népalais qui leur disaient être en contact avec des agents publics népalais et des cadres dirigeants de Nepal Airlines.
103. Les échanges avec le premier intermédiaire ont eu lieu à partir de 2007. Airbus avait alors envisagé de l’engager officiellement comme agent. Toutefois, courant 2009, alors que ce processus était remis en cause suite à des vérifications effectuées par le service de conformité d’Airbus, l’agent indiquait dans un courriel adressé à un responsable d’Airbus : « Malheureusement, à ce jour, nous n’avons aucun engagement de la part d’EADS à notre égard, et nous n’avons donc pas été en mesure de prendre d’engagements fermes envers nos contacts chez NAC. A un stade décisif, je suis d’avis que ce sera très préjudiciable au Projet ».
104. Après la signature des MoU, l’administration népalaise a ouvert une enquête au sujet du processus d’achat des avions. L’enquête s’est concentrée sur la question de savoir si le paiement d’un acompte de 750.000 dollars à Airbus, effectué en application des « MoU » et avant que les modalités de financement ne soient finalisées, constituait un abus d’autorité de la part des dirigeants de Nepal Airlines.
105. Dans ce contexte, Airbus a été en lien, à partir de 2010, avec un second intermédiaire. Dans un courriel adressé à un responsable du SMO International, celui-ci indiquait qu’il fallait remédier à l’absence de « conviction réelle de haut en bas et de gauche à droite » au sein des autorités népalaises. Dans d’autres courriels, un dirigeant de Nepal Airlines indiquait que d’après lui, cet intermédiaire devait « présenter de nouvelles propositions avec des chiffres concrets » afin de convaincre l’administration népalaise de ne pas annuler le protocole. Il sollicitait qu’Airbus « soutienne le projet » et « prenne d’urgence les mesures nécessaires pour faire réussir ce petit projet ».
106. En définitive, les MoU n’ont pas été annulés et les négociations se sont poursuivies jusqu’à la signature du contrat du 27 juin 2013 portant sur la vente de deux avions A 320, tous deux livrés respectivement en février 2015 et avril 2015.
107. Or, dès 2009, les tableaux de suivi du SMO/IO mentionnaient un engagement financier lié à la campagne Nepal Airlines, ce qui suggérait qu’un paiement avait été promis aux intermédiaires ou à l’un d’entre eux en lien avec les contrats de vente finalement obtenus en 2013. De fait, des échanges de courriels entre des cadres dirigeants du SMO International et le second intermédiaire népalais faisaient suite à la conclusion du contrat de vente de 2013. Au travers de ces échanges, plusieurs modalités étaient envisagées pour transférer des fonds. Sous couvert d’un langage codé, il s’agissait de transférer au second intermédiaire des fonds qui apparaissaient destinés infine à des tiers avec lesquels il était en contact. Dans ces communications, l’intermédiaire népalais faisait régulièrement référence à la pression qu’il subissait ou au caractère embarrassant de la situation suite aux retards dans le versement des fonds promis.
108. Dans le même temps, un contrat était signé entre Airbus et une société tierce qui était ainsi chargée d’une mission de « conseil sur le sous-continent indien ». Les éléments recueillis permettent de déterminer que cette mission a en réalité très vraisemblablement été utilisée pour faciliter la transmission de fonds au second intermédiaire. Les comptes d’Airbus font apparaître qu’entre février 2014 et avril 2015, 340.000 euros ont ainsi été versés à ladite société tierce à cette fin. Les tableaux de suivi du SMO/IO mentionnent quant à eux un engagement de paiement total de I .8 millions de dollars en lien avec la campagne avec Nepal Airlines.
109. Le procureur de la République financier considère que ces faits sont susceptibles de recevoir la qualification de corruption d’agent public étranger prévue à l’article 435-3 du code pénal.
5 – CAMPAGNE DE VENTE AVEC CHINA AIRLINES (TAIWAN)
110. Le 22 janvier 2008, Airbus a signé un contrat avec la compagnie aérienne publique taiwanaise China Airlines, portant sur la vente de 14 avions A350 et six supplémentaires en option.
111. Il ressort de l’enquête qu’Airbus a engagé deux intermédiaires commerciaux dans le cadre de cette campagne. Toutefois, la matérialité des prestations de conseil qui auraient été fournies par ces intermédiaires n’a pu être prouvée. De plus, les contrats d’engagement de ces deux consultants, qui ont été signés postérieurement à la conclusion de la campagne de vente, mentionnent des rémunérations qui sont substantiellement inférieures à celles réellement promises.
112. L’intermédiaire A, qui était en relation étroite avec un cadre dirigeant du SMO International, a été engagé rétroactivement par contrat du 18 décembre 2008 conclu avec une société de droit hongkongais lui appartenant, créée quelques mois auparavant seulement.
113. Les éléments recueillis au cours de l’enquête établissent que cet intermédiaire A disposait de contacts au sein de China Airlines par lesquels il a obtenu des renseignements confidentiels sur les négociations en cours.
114. Les tableaux de suivi du SMO/IO, mentionnent, en faveur de cet intermédiaire, un engagement financier initial de pratiquement 60 millions de dollars, qui a ensuite été ramené à 45 millions de dollars, alors que la rémunération officielle mentionnée dans le contrat signé le 18 décembre 2008 était de 8 millions de dollars.
115. Plusieurs montages juridiques et financiers – dont la complexité et l’opacité avaient manifestement pour objet de permettre la transmission de fonds en toute discrétion ont été envisagés par Airbus.
116. Les fonds ont transité par des Etats à fort secret bancaire ne présentant aucun lien objectif avec Taïwan. Ainsi, une partie de ces fonds semble avoir été employée dans le cadre d’un investissement minier en Afrique en 2012, dans lequel l’intermédiaire concerné apparaît avoir été financièrement intéressé. Malgré les alertes internes à l’entreprise, la participation d’Airbus pour un montant de 15 millions d’euros dans la structure en cascade détenant une partie de cette mine a entrainé une perte quasi intégrale, après une dépréciation rapide et considérable des actifs sous-jacents. Un tableau de suivi du SMO/IO suggère que cet investissement était lié à la volonté de faire passer discrètement des fonds à l’intermédiaire A.
117. L’enquête a montré que le SMO/IO a également eu recours aux facilités procurées par une filiale du groupe Airbus établie aux Emirats Arabes Unis et disposant de comptes bancaires au Liban, dont un cadre dirigeant du SMO International avait la libre disposition.
118. Ce dernier a organisé le versement, depuis ces comptes, de 5.75 millions d’euros en faveur de l’intermédiaire A, qui en a accusé réception le 25 juillet 2011, en adressant le courriel suivant au SMO International : « Pluie HK [Hong-Kong] : « heureux de rendre compte de pluie a HK de 5,075 mm = à 7,308 contre les 8,000 requis. Comment et quand les 0,692 seront-ils résolus ?»
119. Il ressort du tableau de suivi du SMO/IO qu’ultérieurement, l’intermédiaire A a reçu 1.765 millions d’euros supplémentaires. Le mécanisme utilisé a été celui d’un engagement fictif sur une autre campagne de vente à Taïwan, qui a permis de justifier le paiement correspondant.
120. Enfin, le tableau de suivi du SMO/IO mentionne un dernier paiement par l’entremise d’un autre intermédiaire commercial. Airbus a officiellement engagé et rémunéré ce dernier dans le cadre d’une campagne de vente distincte, alors qu’aucun élément n’a permis d’identifier son rôle dans cette campagne. Ce mécanisme a pu permettre la transmission de 5 millions de dollars supplémentaires à l’intermédiaire A.
121. L’intermédiaire B, quant à lui a reconnu, au cours d’un entretien réalisé dans le cadre de la revue de conformité des intermédiaires d’Airbus, être proche d’un membre du conseil d’administration de China Airlines qui lui a fourni des informations sur la campagne en cours. Même s’il a prétendu que ces informations lui avaient été fournies gratuitement, ce second intermédiaire a évoqué — dans de nombreux courriels particulièrement pressants voire menaçants adressés à des salariés du SMO International le fait que ses « amis » ou « contreparties » attendaient le déblocage des fonds et le respect des promesses faites, précisant que sans leur concours la relation commerciale avec China Airlines serait compromise.
122. Afin de satisfaire cette demande, le SMO International a mis en place le 20 juillet 2012 un contrat de consultant en faveur de cet intermédiaire B en rémunération duquel 500 000 dollars lui ont été versés.
123. La lenteur du processus de paiement organisé par le SMO International a généré de nombreuses tensions avec l’intermédiaire B, qui indiquait ainsi dans un courriel daté du 27 mars 2013 : « veuillez m’informer de la situation car je dois expliquer à mes contreparties pourquoi elle a été retardée et quand elle arrivera. Le calendrier a été discuté et convenu avec vous. Sur la base de mon accord avec les gens concernés il est important de maintenir intact le calendrier et de ne pas les inquiéter ». Dans un message ultérieur, il indiquait : « nos contreparties perdent patience » (…) « tout nouveau retard causera non seulement du tort à notre réputation mais également à l’opportunité actuelle pour votre société ».
124. En définitive, le SMO International est parvenu à mettre en place le versement des sommes restant dues à l’intermédiaire B en plusieurs échéances, entre autres en ayant une nouvelle fois recours à un mécanisme de « portage » des fonds via un tiers et l’intervention d’une structure offshore, qui ont permis de transmettre plus de 2 millions de dollars supplémentaires en 2013.
125. 5,5 millions de dollars devaient encore être payés à l’intermédiaire B en 2015, mais ce paiement n’a finalement pas pu intervenir du fait du gel des paiements aux intermédiaires intervenu à compter d’octobre 2014.
126. Le procureur de la République financier considère que ces faits sont susceptibles de recevoir la qualification de corruption d’agent public étranger prévue à l’article 435-3 du code pénal.
6 – CAMPAGNE DE VENTE AVEC RSCC
127. Russian Satellites Communications Company (RSCC) est l’opérateur national russe des communications par satellites, créé en 1967. RSCC est une entreprise publique détenue par I’Etat fédéral de Russie. Son siège est à Moscou.
128. En décembre 2011, RSCC a conclu deux contrats pour l’achat d’un satellite Astrium AM7 et d’un satellite AM4R (pour le remplacement d’un autre satellite). Dans le cadre de cette campagne, Astrium (aujourd’hui Airbus Defence and Space), avec le concours du SMO/IO, a engagé fictivement un intermédiaire commercial au moyen d’un contrat de consultant signé rétroactivement le 6 juin 2012. Trois paiements ont été identifiés au bénéfice de ce dernier, pour un total de 8,674 millions d’euros.
129. Bien qu’il se soit rétracté ultérieurement, un cadre dirigeant du SMO International a reconnu au cours d’un entretien mené dans le cadre de la revue de conformité des intermédiaires que l’engagement de cet intermédiaire commercial était fictif et avait constitué un moyen de faire transiter des fonds. Il a déclaré que des cadres d’Astrium l’auraient contacté en 2012 en lui indiquant « qu’ils avaient besoin de transmettre des paiements à certains collaborateurs de RSCC ». Ce dirigeant du SMO International a expliqué le mécanisme envisagé à l’intermédiaire commercial fictif et lui a demandé de l’aider « afin d’acheminer des fonds vers les bénéficiaires finaux prévus« .
130. Le même cadre dirigeant du SMO International a expliqué que le but était « de réduire le risque encouru par la société en rémunérant des collaborateurs RSCC au titre de la vente de satellites puisque (…) est en mesure de transmettre des fonds aux bénéficiaires finaux en faisant disparaître toute trace d’Airbus comme étant à I’origine des paiements…».
131. Pendant la première moitié de l’année 2012, le dirigeant du SMO International et l’intermédiaire commercial fictif ont régulièrement discuté des demandes formulées par le service conformité d’Airbus dans le cadre du processus d’engagement du « business partner ». Par exemple, le 11 avril 2012, le cadre dirigeant du SMO International a écrit à l’intermédiaire commercial : « la compliance achète l’histoire. Reste à « justifier » l’expérience passée« , ce à quoi il lui a été répondu par son interlocuteur : « Sir. Yes Sir ! [.,.l Je vais essayer de trouver qq chose à vous écrire ;-). »
132. Le SMO/IO a mandaté une entreprise extérieure pour réaliser un diagnostic sur la société derrière laquelle se dissimulait l’intermédiaire commercial fictif. Il en est ressorti que le siège de cette société ne pouvait être identifié, qu’aucun compte financier n’était disponible et que sa capacité à fournir les prestations proposées était discutable. Malgré ces signaux d’alerte, le contrat d’engagement a été conclu et Astrium a transmis les fonds au bénéfice de cet intermédiaire.
133. Le procureur de la République financier considère que ces faits sont susceptibles de recevoir la qualification de corruption d’agent public étranger prévue à l’article 435-3 du code pénal.
7 – CAMPAGNE DE VENTE AVEC ARABSAT
134. Arabsat est une organisation intergouvernementale créée par les Etats membres de la Ligue Arabe en 1976. Arabsat fournit des services de télécommunications civiles internationales. Ses actionnaires sont les 21 Etats membres de la Ligue Arabe. Son siège est situé à Riyad, en Arabie Saoudite.
135. En février 2009, Arabsat et Astrium ont conclu un contrat pour l’achat du satellite Arabsat-5C.
136. Bien qu’il se soit retracté ultérieurement, lors d’un entretien réalisé au cours de la revue de conformité des intermédiaires conduite par Airbus, un cadre dirigeant du SMO International a affirmé qu’Astrium avait engagé le même intermédiaire commercial que celui utilisé pour la campagne avec RSCC afin de transmettre, cette fois, des fonds à un responsable d’Arabsat. Le cadre dirigeant du SMO International a évoqué une rémunération versée au bénéficiaire de ces fonds ayant pu s’élever à I million de dollars.
137. Or, il ressort des éléments de l’enquête qu’Astrium a conclu un contrat de consultant portant sur la campagne Arabsat avec l’intermédiaire susmentionné le 2 mars 2009. Huit paiements ont été identifiés au bénéfice de cet intermédiaire pour un total d’1 million d’euros.
138. Le procureur de la République financier considère que ces faits sont susceptibles de recevoir la qualification de corruption d’agent public étranger prévue à l’article 435-3 du code pénal.
8 – CAMPAGNE DE VENTE AVEC AVIANCA
139. Aerovias del Continente Americano S.A. Avianca (« Avianca ») est la compagnie aérienne nationale de Colombie. Elle faisait partie de Synergy Group, conglomérat sud-américain, qui détient plusieurs autres compagnies aériennes opérant principalement en Amérique du sud. Avianca Holding SA (« Avianca Holdings ») est la société-mère d’Avianca.
140. Entre 2006 et 2014, Airbus a conclu plusieurs contrats de consultant avec un intermédiaire commercial exerçant par le biais d’une société ayant son siège en Colombie pour qu’il l’assiste dans le cadre de ses campagnes avec Avianca et les sociétés du groupe Synergy.
141. Certains de ces contrats prévoyaient notamment le versement d’une commission de résultat à l’intermédiaire, représentant soit un montant forfaitaire par avion vendu ou par campagne, soit un pourcentage du prix des avions vendus. Une partie de la rémunération globale due à cet intermédiaire pour les services rendus dans les campagnes avec Avianca et Synergy devait être payée par le biais de ces accords de consultants et une autre partie par le biais de projets d’investissements.
142. L’enquête a révélé qu’à partir de fin 2014, il a été envisagé qu’une partie de la rémunération due à l’intermédiaire commercial, qui faisait alors l’objet d’une renégociation globale, soit transférée de manière occulte à un cadre dirigeant d’Avianca Holdings. Celui-ci était pour Airbus un interlocuteur clé dans le cadre des négociations commerciales en cours entre Avianca et Airbus sur la vente d’avions A320neo. D’après un courriel d’un salarié d’Airbus adressé en novembre 2013, il convenait de lui octroyer un « traitement AAA car nous sommes en campagne avec Avianca/Synergy ».
143. En octobre 2014, un responsable d’Airbus a ainsi adressé un courriel à un salarié de SMO International pour lui demander s’il avait pu parler au cadre dirigeant d’Avianca Holdings. Ce salarié a confirmé, au cours de l’enquête interne conduite par Airbus, que le cadre dirigeant d’Avianca Holdings avait demandé une commission au titre du rôle qu’il avait joué pour soutenir la campagne de vente d’avions A320neo à Avianca, qui était en cours.
144. Le 17 novembre 2014, le salarié du SMO International a adressé un courriel à deux cadres dirigeants de SMO International, les informant que les discussions avec l’intermédiaire commercial s’agissant des honoraires restant dus progressaient et qu’il avait proposé à l’intermédiaire une « négociation globale pour le passé et l’avenir ». Ce courriel mentionnait également que le responsable susmentionné d’Airbus avait donné son accord à cette négociation.
145. Le 25 novembre 2014, ce même responsable d’Airbus a adressé un courriel à deux salariés du SMO International dans lequel il indiquait : « Ce qu’a dit (X), c’est que, pour le passé, au lieu de 20 on fait 15, dont 5 à (Y). Et, pour le nouveau contrat, 4 pour (Y) et 2 pour l’autre »6 .
146. Dans le cadre de l’enquête interne conduite par Airbus, ce responsable d’Airbus a ultérieurement confirmé que les chiffres évoqués dans ce courriel étaient exprimés en « millions » et qu’ils concernaient un paiement en cours de négociation avec l’intermédiaire commercial, dont une partie devait être reversée au cadre d’Avianca Holdings.
147. Ce responsable d’Airbus a par la suite transféré son courriel du 25 novembre 2014 à un salarié chargé de la conformité d’Airbus avec ce commentaire : « Parlons-en. »
148. Le 27 novembre 2014, le cadre dirigeant d’Avianca Holdings a adressé au service commercial d’Airbus un courriel contenant une proposition d’achat ferme de 100 avions, outre d’autres en option.
149. Au cours de la semaine du 1er décembre 2014, Airbus commercial a reçu à Toulouse des représentants d’Avianca/Synergy, dont le cadre dirigeant d’Avianca Holdings susmentionné, afin de discuter de la proposition d’achat envoyée le 27 novembre 2014. Fin décembre 2014, Airbus et Avianca (et d’autres entités apparentées) ont signé un protocole d’accord portant sur l’achat d’avions de la famille des A320neo. Cette commande a été finalisée par le contrat de vente signé le 30 avril 2015 portant sur 133 avions A320 neo.
150. Le 22 janvier 2016, le responsable d’Airbus susmentionné a adressé le courriel suivant au salarié de SMO International « Étais avec (Y) qui m’a donné ses chiffres. Nous sommes convenus d’une stratégie (initialement suggérée par J, selon laquelle (Z) doit le payer avant de recevoir une rémunération supplémentaire. Appelez-moi quand cela vous conviendra. »7
151. Ce courriel a été envoyé après la mise en place du gel des paiements de 2014 et l’amélioration des mesures de conformité, alors que l’intermédiaire commercial n’avait reçu aucun paiement depuis plus d’un an. En mars 2016, ce même responsable d’Airbus a adressé un autre courriel à deux salariés de SMO International en leur indiquant : « … vous pouvez dire à (XX) que (Z) n’a pas respecté ses engagements à l’égard de (Y) et des autres !!! Ce qui a eu pour conséquence une négociation extrêmement difficile et coûteuse pour notre dernière opération »8.
152. En définitive, le gel des paiements aux intermédiaires commerciaux et l’amélioration des mesures de conformité d’Airbus ont empêché le versement des fonds promis.
153. Le procureur de la République financier considère que ces faits sont susceptibles de recevoir la qualification de corruption prévue à l’article 445-1 du code pénal.
154. Au terme de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, le montant de l’amende d’intérêt public est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel de la société, calculé à partir des trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat des manquements.
155. Les montants des chiffres d’affaires bruts de la société Airbus pour les exercices 2018, 2017 et 2016 s’élèvent à 63.707 milliards d’euros, 59.022 milliards d’euros et 66.581 milliards d’euros, soit un chiffre d’affaires brut moyen de 63.103 milliards d’euros sur la période 2016-2018. Le montant maximal théorique de l’amende d’intérêt public encourue est donc de 18.931 milliards d’euros.
156. Les investigations ont permis d’estimer le profit retiré à partir des contrats obtenus en contrepartie des manquements visés dans la présente convention à la somme de 1 053 377 113 euros. Ce montant correspond à celui qui devra être versé par Airbus SE au titre de la restitution des profits illicites.
157. Par ailleurs, pour la fixation de la pénalité complémentaire, doivent être pris en compte les facteurs majorants suivants :
158. En revanche, il ne sera pas tenu compte du fait qu’Airbus est une société entrant dans le champ d’application des articles 3 (3°) et 17 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, ces dispositions n’étant pas entrées en vigueur à l’époque des faits.
159. En prenant en compte l’ensemble de ces facteurs, le coefficient multiplicateur est fixé à 275 %.
160. Au titre des facteurs minorants, doivent être retenues les circonstances suivantes :
161. Ces facteurs minorants justifient l’application d’un taux de 50% de réduction de la pénalité complémentaire.
162. Doit également être déduite l’amende d’un montant de 265 953 892 euros qu’Airbus SE accepte de verser dans le cadre du Deferred Prosecution Agreement (DPA) conclu avec le DOJ relativement aux faits commis à l’occasion des campagnes de vente en Chine et qui ont enfreint le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA).
163. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, et après retraitement de certaines charges, le montant total de la pénalité complémentaire mise à la charge d’Airbus SE s’élève à 1 029 760 342 euros.
164. Le montant de l’amende d’intérêt public mise à la charge d’Airbus SE dans le cadre de la présente convention est ainsi fixé à 2 083 137 455 euros.
165. La présente convention est conclue en coordination avec deux autres accords de Deferred Prosecution Agreement (DPA) conclus séparément par Airbus SE avec le SFO et le DOJ.
166. Dans le cadre de l’accord conclu avec le SFO, Airbus SE accepte de payer une amende de 983 974 311 euros au titre des violations à la législation Bribery Act 2010.
167. Dans le cadre de l’accord conclu avec le DOJ, Airbus SE accepte de payer une amende totale de 525 655 000 euros au titre des violations à la législation FCPA et à la règlementation ITAR.
168. Parallèlement, Airbus SE a conclu un accord avec le DOS en exécution duquel elle accepte de verser la somme de 5 000 000 USD au titre des violations à la règlementation ITAR.
169. Le montant total des amendes ainsi mises à la charge d’Airbus SE apparaît proportionné aux avantages tirés des manquements constatés.
170. Au terme de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, la convention judiciaire d’intérêt public peut prévoir l’obligation, pour la personne morale mise en cause, de « se soumettre, pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l’Agence Française Anticorruption, a un programme de mise en conformité destiné à s’assurer de l’existence et de la mise en œuvre en son sein des mesures et procédures énumérées au I°) de l’article 131-39-2 du code pénal ».
171. Airbus SE a présenté aux autorités de poursuites les améliorations profondes qui ont été apportées à son programme de conformité anticorruption.
172. Requise à cette fin, l’Agence Française Anticorruption (« AFA ») a transmis le 12 novembre 2019 au procureur de la République financier un rapport d’examen préalable à l’établissement d’une CJIP.
173. Cet examen a été conduit sur la base des informations disponibles à cette date concernant les mesures prises par Airbus SE pour renforcer la politique de conformité anticorruption au sein du groupe.
174. L’AFA indique que la conception du programme de conformité du groupe Airbus est achevée9. Elle recommande toutefois que le déploiement de ce dernier soit contrôlé.
175. L’AFA rappelle qu’Airbus a travaillé de 2015 à 2019 à la conception d’un programme digne des standards les plus élevés en la matière. Son élaboration s’est faite sous l’éclairage de plusieurs audits approfondis, menés tant par le panel d’experts indépendants (« Independent compliance review panel ») que par un cabinet d’audit missionné par les agences de crédit-export ou encore par l’AFA elle-même, dans le cadre d’un contrôle d’initiative clôturé en juillet 2018. La société a tenu compte des préconisations qui en ont résulté pour renforcer son dispositif de conformité, qualifié « d’abouti » par l’AFA.
176. Celui-ci contient, conformément aux dispositions de l’article 131-39-2 II du code pénal :
177. Dans ce contexte, il n’y a pas lieu dans le cadre de la CJIP de prévoir la mise en œuvre de mesures destinées à s’assurer de l’existence d’un programme de conformité au sein du groupe Airbus, dont la preuve a déjà été apportée par les audits et contrôles évoqués ci-dessus.
178. Il demeure toutefois nécessaire de procéder à des audits ciblés afin de s’assurer de l’exhaustivité du déploiement de ce programme de conformité aux entités et filiales du groupe.
179. En conséquence, Airbus SE s’engage, sur une durée de trois ans, à se soumettre aux vérifications qui seront diligentées par l’AFA à cette fin. Les frais occasionnés par le recours, le cas échéant, par l’AFA, à des experts ou autorités qualifiés nécessaires à sa mission de contrôle, seront supportés par AIRBUS SE jusqu’à concurrence de la somme totale de 8 500 000 euros (TTC) que la société s’engage à provisionner et à consigner par virement sur le compte du contrôleur budgétaire et ministériel dans un délai qui sera fixé par l’AFA.
180. L’AFA rendra compte au moins annuellement au PNF de l’exécution de cette obligation. Le PNF informera le SFO et le DOJ du déroulement de cette mesure, dans le respect des dispositions de la loi n°68-678 du 26 juillet 1968.
181. Airbus SE fera part au procureur de la République financier de son acceptation de la présente convention, par lettre recommandée avec accusé de réception ou déclaration expresse au greffe du PNF, dans le délai de 5 jours à compter de la réception de la présente.
182. Airbus SE s’engage à procéder au paiement de la somme de 2 083 137 455 euros dans les conditions prévues par l’article R.15-33-60-6 du code de procédure pénale sous DIX JOURS à compter de la date à laquelle la présente convention sera devenue définitive.
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