Anticorruption

Europe, Amérique du Sud, Asie… Derrière les USA, la lutte anticorruption s’amplifie

Exemple de campagne d’affichage anti-corruption à Nouakchott (Mauritanie)

Chaque année, l’ONG Transparency International (TI) publie son classement annuel de la perception de la corruption dans le monde. L’indice de perception de la corruption 2020 révèle plusieurs tendances, en apparence contradictoires, qu’il est intéressant de mettre en perspective avec le rapport « Exporting Corruption » paru en 2020.

D’un côté, ces rapports font état d’une stagnation : le classement des pays reste relativement stable, aussi bien pour les pays à faible perception de la corruption (Danemark, Nouvelle Zélande, Finlande, Singapour…) que pour les pays aux scores les plus médiocres (Syrie, Somalie, Soudan du Sud). Mais en parallèle, de réels progrès sont globalement constatés en matière de lutte contre la corruption, « Exporting Corruption » montrant qu’à l’échelle mondiale, un nombre croissant de pays commence ou continue à renforcer les leviers disponibles pour faire opposition à la corruption et la réprimer strictement avec une plus grande sévérité.

Significativement, ce n’est ni parmi les « têtes de classe », ni parmi les plus mauvais élèves qu’on trouve le plus d’avancées, mais plutôt parmi les États pour lesquels la corruption représente toujours un enjeu clé. Le cas des États-Unis est emblématique : seulement 25ème sur 180 au classement, le pays n’en est pas moins le chef de file mondial de la lutte contre la corruption. En atteste le nouveau record de sanctions infligées à des entreprises en 2020, dans le cadre de la loi FCPA contre la corruption d’agents publics à l’étranger. Et ces efforts se poursuivent avec le vote de nouvelles réglementations destinées à mieux enrayer le phénomène, aux États-Unis et dans de nombreux autres pays.

Un nombre croissant de pays applique des sanctions

Depuis 2018, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suisse et Israël se maintiennent aux premiers rangs parmi les pays qui combattent les pratiques frauduleuses avec la plus forte intensité. Mais durant cette période, d’autres états ont décuplé leurs efforts. Selon « Exporting Corruption », les pays qui ont le plus activement développé leur politique de lutte contre la corruption sont la France, l’Espagne, le Danemark, la Colombie, la Slovénie et l’Estonie. 

Ces progrès sont notamment liés à une augmentation du nombre de poursuites à l’encontre des pratiques illégales. Certains pays, dont la politique anticorruption demeurait largement en retrait, ont manifesté une volonté naissante de s’attaquer sérieusement au délit de corruption. C’est le cas par exemple de la Colombie (92ème du classement), qui a infligé en 2018 une amende de $1,8 millions au conglomérat de l’eau Inassa pour la corruption d’agents publics équatoriens, et a obligé l’entreprise à annoncer publiquement cette sanction. C’est la première fois que la Colombie émet une sanction contre la corruption transnationale.

Plus généralement en Amérique latine, les progrès sont bien réels quoique limités : parmi les affaires les plus marquantes, on peut citer l’opération Lava Jato, suite à une affaire impliquant des politiciens et hommes d’affaires dans plus d’une douzaine de pays. Initiées au Brésil, les enquêtes ont mis en lumière des réseaux de corruption puissants. Cette dynamique n’est qu’embryonnaire, comme en attestent le récent recul du Brésil, 94ème au classement TI. Mais comme le souligne l’ONG, cette opération a été cruciale pour renforcer une dynamique anti-corruption positive en Amérique latine, grâce à la coopération entre les autorités judiciaires brésiliennes et leurs homologues dans les pays voisins.

En parallèle, les progrès découlent également souvent du renforcement de l’attirail juridique : dans le cas de la France (23ème au classement), il s’agit de la loi Sapin 2. Dans le cas de l’Espagne (32ème), TI souligne des avancées importantes, dues à une série de mesures de transparence alliée à une poursuite plus efficace des affaires de corruption transnationale.

Sur le plan légal, TI montre ainsi que certains autres états se sont également dotés, plus récemment, de mesures réglementaires complémentaires en appui à l’existant. On peut citer la nomination d’un procureur anticorruption au Mexique, la création d’une « Multi-Agency Task Team » afin de coordonner les enquêtes de corruption internationale en Afrique du sud, le durcissement des sanctions pour actes de corruption transnationale en Italie, l’extension du champ des pratiques passibles de poursuites au Chili

Plusieurs nouvelles lois d’envergure pourraient aussi faire évoluer de façon tangible le panorama de la lutte mondiale contre la corruption dans les prochaines années.

Il s’agit parfois de renforcer un dispositif légal déjà solide. « À tout seigneur tout honneur », aux États-Unis, une nouvelle loi emblématique contre les sociétés écran anonymes a été qualifiée d’« historique » par TI, et de « l’une des mesures anti-corruption les plus importantes jamais adoptées par le Congrès américain ». Afin d’empêcher les criminels de placer de l’argent dans les banques américaines, les entreprises seront désormais obligées de fournir des informations sur leurs bénéficiaires effectifs. Ces informations peuvent être partagées avec les forces de l’ordre – y compris celles qui agissent pour le compte d’un organisme national étranger – ainsi qu’à des fins de sécurité nationale et de renseignement. Toute fausse déclaration est désormais considérée comme un crime fédéral, passible de trois ans d’emprisonnement. 

En décembre, la Corée du Sud (33ème) a décidé la création du Bureau d’enquête sur la corruption des hauts fonctionnaires (le CIO), un organisme indépendant dédié à enquêter sur les affaires de corruption impliquant des hauts fonctionnaires, et à mettre en œuvre le cas échéant des poursuites en conséquence. Le pouvoir d’enquête de cette agence s’étend aussi aux entreprises et à leurs employés, en cas de soupçons de liens avec des affaires criminelles impliquant des hauts fonctionnaires. Pour éviter une enquête du CIO, les entreprises opérant en Corée auront donc tout intérêt à faire preuve de vigilance dans leurs interactions avec la haute fonction publique. 

Pour d’autres pays, il s’agit plutôt des premiers pas destinés à enrayer une corruption endémique. Des lois en la matière ont récemment été promulguées au Liban ou en Papouasie Nouvelle Guinée (142ème), notamment afin de créer des commissions dotées d’un pouvoir d’enquête sur la corruption.  Enfin, la Chine (78ème) a ratifié la Convention européenne contre la corruption, qui lui impose de condamner la corruption d’agents publics.  Et en décembre 2020, le droit pénal chinois a également été amendé pour augmenter les peines contre les « fonctionnaires non-étatiques » reconnus coupables de corruption. Pourtant, cette catégorie qui, par opposition aux « fonctionnaires d’Etat », regroupe les employés de niveau inférieur ou intermédiaire des agences gouvernementales, des entreprises publiques et du secteur privé bénéficiait jusqu’ici d’un régime de sanction moins sévère. Pour l’instant, il n’existe cependant pas d’exemple connu de condamnation pour des faits de corruption à l’encontre d’entreprises ou de citoyens chinois. Pour la Chine comme pour ces autres pays, reste donc à savoir si ces lois seront accompagnées d’une réelle volonté politique de les faire appliquer.

Vers une extension de la responsabilité des entreprises

Selon TI, lutter véritablement contre la corruption nécessite enfin aussi, au niveau des acteurs privés, de tenir les organisations-mères pour responsables des pratiques de leurs filiales. Et c’est le cas pour un nombre croissant de pays, où la responsabilité pénale en cas de faits illégaux s’étend désormais à la société parente. Le rapport TI cite en exemple les dispositions qui existent à cet effet aux États-Unis, au Brésil, en Italie, en Slovénie, en Norvège ou encore au Royaume-Uni. 

Dans le cas de la France, 2020 a marqué un véritable renversement de jurisprudence, lorsqu’un arrêt de la Cour de Cassation a estimé qu’une organisation pouvait être tenue responsable des actes commis par une société absorbée. Et ce, même si les faits datent d’avant l’absorption. On peut donc prévoir que désormais, les entreprises seront plus regardantes et procéderont à des vérifications poussées lorsqu’elles envisageront d’absorber une société.

Force est donc de constater qu’entre l’inflation du nombre de réglementations nationales et les lois extraterritoriales qui étendent leur emprise hors des frontières, les instruments juridiques de la lutte anticorruption globale se multiplient. Pour les entreprises opérant à l’international, il est plus que jamais nécessaire de rester vigilantes et informées sur ces évolutions qui bousculent les cadres juridiques dans toutes les régions du monde. Et de s’acquitter absolument des due diligence de rigueur avant de s’engager avec tout nouveau partenaire qu’il s’agisse d’un fournisseur, d’un distributeur, d’un intermédiaire ou encore d’un client. C’est un immense défi à relever dès aujourd’hui et sûrement un moteur clé de leur compétitivité pour les années à venir.

Sources

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Brune Lange

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