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Le Royaume-Uni veut réformer le registre de la Companies House et en finir avec l’argent sale

Royaume-Uni : un hub méconnu du blanchiment à l’échelle internationale

En septembre 2020, le gouvernement britannique a annoncé son intention de réformer son registre des entreprises, afin de mieux combattre le blanchiment d’argent et la fraude internationale. Cette annonce marque une nouvelle étape dans la lutte contre la corruption, dont les profits illicites représentent une part importante de l’argent blanchi à l’échelle mondiale.

Le Royaume-Uni est réputé pour son système favorable à l’entrepreneuriat : la création d’entreprise y est facilitée par un processus simple et peu coûteux. Chaque année, le pays attire des milliers de créateurs d’entreprise du monde entier. Mais la souplesse de ce système a un prix : le Royaume-Uni est devenu une destination privilégiée pour la fraude et le blanchiment d’argent.

Une plaque tournante du blanchiment à l’échelle mondiale

Depuis plusieurs années, le Royaume-Uni est pointé du doigt comme un facilitateur du blanchiment de capitaux. Désormais, ce ne sont plus les seuls experts du crime en col blanc qui dénoncent le problème : ces dernières années, des scandales se sont succédés et ont rendu ce problème visible du grand public.

Le scandale dit du « Lavomatic Troika », par exemple, avait révélé le transit d’argent sale russe par le biais de sociétés-écrans aux Iles Vierges britanniques et de sociétés britanniques à responsabilité limitée (LLP ou « Limited Liability Partnership »). Faciles et rapides à créer, ces entreprises sont devenues un outil privilégié des fraudeurs. Dans cette affaire, pas moins d’un millier de LLP britanniques ont servi à faire transiter l’argent russe.

Plus récemment, les « FinCEN Files » ont illustré ce rôle joué par le système britannique : ces rapports sur des transactions internationales suspectes citent à plusieurs reprises la faiblesse des moyens mis en œuvre contre le blanchiment d’argent dans le secteur financier britannique. L’enquête a ensuite mis en évidence le rôle prépondérant des sociétés-écrans établies au Royaume-Uni comme moyen de transit de l’argent blanchi.

Selon Transparency International UK, au moins 929 sociétés-écrans listées au registre de la Companies House seraient impliquées dans 89 cas de corruption et de blanchiment, pour un total de 137 milliards de livres. Et d’après l’organisme, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Face à ces scandales, le gouvernement britannique a lancé la « Corporate Transparency and Register Reform Consultation » en 2019. La réforme annoncée en septembre 2020 est ainsi la réponse du gouvernement à cette consultation, qui a mis en lumière certains vices inhérents au système britannique. C’est ainsi qu’a émergé l’objectif prioritaire de cette lutte anti-fraude : pallier le manque de fiabilité des données présentes dans le registre de la Companies House, l’équivalent britannique du Registre du Commerce et des Sociétés.

Les vices du registre de la Companies House dans le viseur

Ce registre liste notamment les administrateurs et principaux actionnaires des entreprises. Cependant jusqu’ici, les entreprises ne sont pas obligées de prouver l’identité de leurs dirigeants. Cette brèche a été dûment repérée par des organisations criminelles internationales, qui en profitent pour créer des sociétés-écrans gérées par des administrateurs fictifs. Ainsi, quand bien même les autorités constateraient la disparition de larges sommes d’argent, il est impossible de trouver des responsables pour en rendre compte. L’argent transitant par ces sociétés-écrans est donc intraçable.

Au-delà du blanchiment d’argent, ce dévoiement du registre a d’autres effets néfastes. Pour les acteurs du monde des affaires, le statut de société inscrite au registre de la Companies House est un gage de fiabilité. Chaque année, le registre est consulté plus de 9,4 milliards de fois : les dirigeants d’entreprise y trouvent des informations sur leurs potentiels clients, partenaires ou fournisseurs. Des organisations criminelles peuvent donc utiliser des sociétés-écrans en guise de façade rassurante, et profiter de cette aura de respectabilité pour frauder d’autres entreprises ou créanciers.

Le manque de fiabilité des informations contenues dans le registre entraîne donc également de potentiels dommages pour des entreprises croyant avoir affaire à un partenaire fiable.

En la matière, Royaume-Uni fait office d’exception en Europe. En effet, une directive européenne impose depuis 2015 aux États membres de mettre en place un dispositif d’identification des bénéficiaires effectifs des sociétés incorporées sur leur territoire.

Les principaux axes de la réforme

La réforme vise donc à renforcer la fiabilité et la transparence concernant la gouvernance des entreprises listées dans le registre de la Companies House.

Désormais, les entreprises devront prouver qui sont leur dirigeants : la Companies House imposera une vérification d’identité systématique à chaque fois qu’une nouvelle entreprise sera enregistrée. Cette vérification portera sur les dirigeants et les personnes exerçant un contrôle significatif (PSC ou « people with significant control »), ainsi que sur tout agent effectuant des dépôts auprès de la Companies House : les avocats, comptables ou agents de formation responsables de l’incorporation de sociétés seront eux aussi poursuivis en cas d’activités illégales avérées. Pour cela, la réforme prévoit également une coopération renforcée avec les régulateurs et avec la police.
Notons que cette réforme aura un effet rétroactif : les directeurs et PSC existants ne seront pas épargnés par ce processus de vérification, même s’ils bénéficieront d’une période de transition pour s’adapter aux nouvelles règles.

L’organisme sera aussi doté de pouvoirs supplémentaires pour enquêter sur de potentielles informations erronées à l’aide d’un « processus de vérification numérique 24/7 », et le cas échéant, pour supprimer ces fausses informations du registre. D’autres pistes complémentaires sont actuellement envisagées, comme la possibilité d’analyser et comparer les données de différents comptes d’entreprises.

Work in progress et incertitude budgétaire

À l’heure actuelle, les membres du Parlement britannique étudient ces mesures en vue d’en faire une loi. Cette annonce a reçu un accueil favorable des experts et observateurs qui attendaient depuis longtemps une réponse du Royaume-Uni à la circulation de capitaux issus des malversations et de la corruption internationales. Néanmoins certaines inquiétudes subsistent. Elles sont liées notamment à l’absence d’un calendrier parlementaire clair, au manque de détails sur la technologie qui sera utilisée pour vérifier les informations ainsi qu’à l’absence d’éléments précis sur les moyens supplémentaires réels qui seront alloués à la Companies House.

Sources

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Brune Lange

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