Nous partageons avec vous ici le texte intégral au format html de la CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public) signée en février 2018 entre le Procureur de la République Financier et la société Kaefer Wanner (activités principales – travaux d’isolation thermique et acoustique, échafaudages, traitement de l’amiante et du plomb et tous travaux de peinture) pour clore une affaire de corruption intervenue de 2009 à 2012 au sein de la direction des achats d’EDF. C’est un document intéressant pour deux raisons principales selon nous : il décrit d’abord en détail la façon dont l’enquête a été menée étape après étape par l’instances en charge du dossier. Puis il précise aussi la méthode utilisée pour calculer le montant de l’amende infligée, en relation avec les faits identifiés et l’investissement de la société à coopérer avec les instances judiciaires.
Convention judiciaire d’intérêt public
entre
le PROCUREUR de la REPUBLIQUE
près le Tribunal de Grande Instance de Nanterre
et
La SAS KAEFER WANNER, ci-après KW
RCS Nanterre 312 668 601
représentée par Georges BALZER et Thierry PLATON
Vu les articles 41-1-2, 180-2, R.15-33-60-1 et suivants du code de procédure pénale ;
Vu le courrier de la société KW du 16 novembre 2017 et le soit-transmis du procureur de la République du 17 novembre 2017 aux fins de mise en œuvre de la procédure prévue aux articles susvisés ;
Vu l’ordonnance du magistrat instructeur de transmission du dossier d’information judiciaire au procureur de la République en date du 17 novembre 2017, aux fins de mise en œuvre des dispositions précitées ;
KW est une société par actions simplifiées, dont le siège social est situé au 31/35 rue Gambetta à Suresnes, au capital de 2 118 720 €.
Ses activités principales sont les travaux d’isolation thermique et acoustique, d’échafaudages, de traitement de l’amiante et du plomb, et tous travaux de peinture.
Elle opère sur quatre marchés, l’industrie, le nucléaire, le bâtiment et la marine.
En 2016, elle avait 16 établissements en France, employait 1 795 salariés et a eu un résultat net (après impôt) de 3 137 494 € et un chiffre d’affaires de 182 501 231 €.
De 2004 à 2011, ses effectifs ont évolué entre 1 319 et 1 628 salariés, son résultat net entre 2 459 712 € et 7 465 378 € et son chiffre d’affaires (hors 2004) entre 1 15 699 031 € et 192 672 660 €.
Le Ier juillet 2011, le directeur de la sécurité d’EDF informait la direction centrale de la police judiciaire d’un système de corruption en place depuis plusieurs années, à l’intérieur de la direction des achats d’EDF.
Son service avait été informé par le directeur d’une société prestataire de services d’EDF qu’un salarié de cette direction demandait le versement de commissions en échange de la promesse d’attribution et/ou du maintien de certains marchés.
Dans le cadre d’une enquête préliminaire, des interceptions téléphoniques étaient autorisées à partir de novembre 2011.
Le I er décembre 2011, une information judiciaire contre X était ouverte des chefs de corruption active et passive, abus de biens sociaux, atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, entente illicite, faux et usage de faux, complicité et recel de ces délits.
Le 13 février 2012, le magistrat instructeur autorisait une opération d’infiltration, notamment à l’occasion d’une rencontre dans un restaurant entre l’acheteur suspect d’EDF, le directeur de la société prestataire à l’origine de la révélation des faits, et un agent infiltré devant apporter les liquidités demandées par le salarié suspect.
Après la garde à vue et la mise en examen notamment pour corruption passive du salarié d’EDF, KW représentée par son nouveau directeur général, Monsieur Thierry Platon nouvellement nommé en cette qualité en date du 2 mai 2012, se constituait partie civile le 28 juin 2012 du chef d’abus de biens sociaux.
Les investigations montraient que certains salariés de KW avaient cédé — tout comme les salariés d’autres prestataires – aux sollicitations de l’acheteur suspect en lui versant des commissions dans le cadre de l’obtention ou le maintien de marchés de maintenance de certaines centrales thermiques.
Ces commissions – qui s’élevaient sur toute la période 2004 à 2011 à plusieurs centaines de milliers d’euros – avaient pris la forme de paiements en espèces au salarié suspect corrompu, par l’intermédiaire de sociétés de droit étranger qui adressaient à KW des factures aux libellés faux, et de paiement en nature, sous forme de voyages et travaux divers.
Le 13 mai 2015, KW était mise en examen du chef du délit de corruption publique active, faits prévus et réprimés par les articles 121-2, 433-1 (dans ses rédactions antérieures à la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 et postérieures à la loi n°2011-525 du 17 mai 2011), 433-22, 433-23 et 433-25 du code pénal.
Sans préjudice de la présomption d’innocence et du respect des droits de la défense des personnes physiques mises en examen et notamment des salariés de KW à la date des faits, KW reconnaît ces faits et accepte les qualifications pénales, en application de l’article 180-2 du code de procédure pénale.
1 – Aux termes de l’article 41-l -2 du code de procédure pénale, le montant de l’amende d’intérêt public est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel de la société calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat des manquements.
Le chiffre d’affaires de KW s’est élevé à 205 573 986 € en 2014, 196 948 986 € en 2015, 182 501 231€ en 2016.
Le montant maximal de l’amende d’intérêt public, sans préjudice des dommages et intérêts à verser à la victime, est donc de 59 439 500 €.
2 – Les faits ayant été commis avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 décembre 2013, l’amende maximale encourue à titre principal par la personne morale est de 750 000 €, outre la peine complémentaire de confiscation, en valeur, du produit de la corruption.
3 – Les investigations ont permis d’évaluer à environ 75 000 € en moyenne annuelle le montant des commissions sur la période 2004 à 2011.
Elles ont permis d’évaluer le chiffre d’affaires obtenu en contrepartie de ces commissions à 33 millions d’euros,
L’avantage, calculé sur l’excédent brut d’exploitation, tiré de ces marchés, a été estimé à 3,3 millions d’euros €.
Ce montant correspond à celui qui sera mis à la charge de KW au titre de la restitution des profits tirés des manquements constatés.
4 – Outre l’ajout d’une pénalité, seront pris en compte comme facteurs aggravants :
5 – Ce n’est pas KW, mais un autre prestataire d’EDF, qui a révélé les faits à la direction de la sécurité d’EDF, qui les a ensuite révélés à la police judiciaire.
Cependant, à compter de la perquisition à son siège, KW a coopéré à l’enquête.
Le ministère public considère que ce comportement justifie l’application d’un facteur atténuant.
6 – Par ailleurs, KW a pris des mesures ayant pour objet de détecter et prévenir les faits de corruption et d’éviter ainsi que les faits ne se reproduisent.
KW a lancé dès 2012 une formation visant à prévenir des actes de corruption et d’entente auprès des salariés, considérés comme les plus exposés (opérationnels) ou ayant pour mission de contrôler les éléments financiers permettant de détecter les éventuelles fraudes (équipe financière).
Dès mai 2012, KW a changé de dirigeants et de règles de gouvernance. En 2014, KW a renforcé son programme d’éthique en menant les actions suivantes :
En 2016, KW a en outre fait évoluer son programme éthique avec notamment, (i) des sessions de formation en présentiel et en e-learning de plus de 400 salariés (ii) une cartographie des risques (iii) un guide de l’intégrité et (iv) la possibilité de lancer une alerte par téléphone chez un prestataire indépendant y compris par voie anonyme en sus de l’alerte interne.
Ces mesures justifient l’application d’un facteur atténuant.
7 – Au total, il est donc justifié de fixer à la somme de 2 710 000 € le montant total de l’amende.
Aux termes du même article 41-1-2, la convention judiciaire peut comporter l’engagement de se soumettre à un programme de mise en conformité destiné à s’assurer de l’existence et de la mise en œuvre de mesures et procédures, énumérées au 11 de l’article 131-39-2 du code pénal, nécessaires à la détection et la prévention de la corruption.
KW s’engage, sur une durée de dix-huit (18) mois, à se soumettre au contrôle de l’Agence française anti-corruption (AFA) afin que cette dernière évalue le programme de conformité déjà mis en place par KW au regard des mesures stipulées à l’article 17 de la Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Loi Sapin II »), et édicte ses éventuelles recommandations à cet égard.
Les frais occasionnés par le recours par l’AFA, s’il y a lieu, à des experts ou autorités qualifiées, seront supportés par KW, dans un plafond fixé à 290 000 €.
EDF s’est constituée partie civile dans le cadre de l’information judiciaire du chef de corruption.
Au vu des éléments qu’elle a transmis pour établir la réalité et l’étendue de son préjudice, son préjudice est évalué à 30 000 €.
Ce montant est mis à la charge de KW dans la présente convention.
KW accepte de procéder au paiement de l’amende d’intérêt public fixée ci-dessus (2 710 000 €) en 12 mensualités égales, la première étant versée quinze jours à compter de la date à laquelle la présente convention sera devenue définitive en application du dixième alinéa de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale.
KW s’engage à verser les dommages et intérêts fixés ci-dessus à EDF, par chèque libellé à l’ordre de la CARPA, dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la présente convention sera devenue définitive en application du dixième alinéa de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale.
A Nanterre, le 15 février 2018
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