Le 10 février 2025, le Président Donald Trump signait un décret ordonnant la suspension de l’application du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) et la publication de nouvelles directives visant à « donner la priorité aux intérêts américains » et à « renforcer la compétitivité économique des États-Unis par rapport aux autres nations ».
Ce changement d’orientation marque une rupture nette avec la tradition américaine de promotion de l’éthique dans les affaires internationales. Dans ce contexte d’incertitude, les entreprises européennes doivent demeurer pleinement engagées dans le respect des législations anticorruption. Il serait en effet illusoire de considérer cette suspension comme la fin du risque juridique lié au FCPA : la prudence reste de mise.
L’objectif affiché du décret est clair : restaurer la compétitivité des entreprises américaines sur la scène internationale. Selon le texte, les sociétés américaines auraient été injustement pénalisées par une application trop rigide du FCPA, notamment pour des pratiques jugées courantes dans d’autres juridictions.
Afin de permettre une réévaluation de la politique actuelle, l’application du FCPA est gelée pour une période initiale de 180 jours, au cours de laquelle aucune nouvelle enquête ni procédure ne pourra être initiée par les autorités américaines — sauf exceptions limitées. Ainsi, bien que l’objectif ultime soit une réorientation du FCPA en faveur des intérêts américains, la suspension de son application semble également s’apparenter à un répit juridique pour les entreprises étrangères, en allégeant temporairement les exigences complexes de conformité liées à l’extraterritorialité du FCPA.
Instauré en 1977, le FCPA était en effet jusqu’ici la pièce maîtresse de la politique américaine de lutte contre la corruption internationale. Sa portée extraterritoriale autorise les autorités fédérales, et en particulier au Ministère de la Justice (DoJ), à engager des poursuites pour des faits de corruption commis à l’étranger, y compris à l’encontre d’entreprises non américaines. Il suffit, pour cela, d’un lien — même ténu — avec le territoire des États-Unis ou son système financier. Ce fut notamment le cas du groupe Alstom, contraint en 2014 de payer une amende de $772 millions pour des faits de corruption, avant d’être partiellement absorbé par General Electric — une opération encore perçue par certains comme un coup de force économique orchestré par les États-Unis.
À cet égard, les critiques envers le FCPA ne manquent pas : instrument d’ingérence, outil de guerre économique, source d’insécurité juridique pour les entreprises non américaines… Le décret Trump semble donc offrir un souffle nouveau aux entreprises françaises, temporairement libérées – du moins en apparence – de la pression exercée depuis Washington.
Cependant, cette suspension du FCPA ne saurait être interprétée comme une remise en cause définitive de ce dispositif emblématique – en particulier pour les entreprises non-américaines. Le décret ne prévoit qu’un gel temporaire de 180 jours, extensible à 360 jours, ce qui, à l’échelle juridique, demeure extrêmement court. Même en cas de prolongation, rien ne garantit que le FCPA ne sera pas réactivé à l’identique dès le prochain changement d’administration ou dans le cadre d’un simple retournement stratégique.
Surtout, les enquêtes ouvertes par le DoJ ne sont pas abandonnées : elles sont officiellement mises en pause, ce qui ne signifie nullement qu’elles ne reprendront pas leur cours normal une fois la suspension levée. Le délai de prescription des infractions couvertes par le FCPA étant de cinq ans (six ans en cas de fraude impliquant des valeurs mobilières), les actes commis durant cette période de gel restent parfaitement poursuivables à l’avenir.
Ce changement d’orientation profond ne constitue donc pas un blanc-seing, et ne saurait inciter les entreprises à se laisser gagner par un sentiment illusoire de sécurité juridique. Du côté européen, la suspension du FCPA n’exonère pas les entreprises françaises de leurs obligations en matière de conformité. Le droit national, notamment à travers la loi Sapin II, continue de s’appliquer avec rigueur, au même titre que des dispositifs étrangers comme le UK Bribery Act et plus récemment l’Economic Crime and Corporate Transparency Act au Royaume-Uni.
Loin de s’aligner sur l’exemple américain, les autorités françaises, britanniques et suisses ont réaffirmé leur engagement en matière de lutte contre la corruption en annonçant la création, le 20 mars 2025, du Groupe d’action international des procureurs anticorruption. Cette réponse européenne au décret Trump témoigne d’une volonté conjointe de renforcer la coopération transfrontalière et de maintenir un haut niveau de vigilance face aux dérives potentielles des entreprises.
Dans ce contexte, il serait périlleux pour les entreprises de relâcher leurs efforts en matière de conformité. Déjà soumises à une vigilance renforcée du côté européen, elles pourraient bientôt se retrouver exposées aux aléas d’un FCPA à deux vitesses : suspendu pour les acteurs américains, mais toujours mobilisable de manière ciblée contre des concurrents étrangers dans des secteurs jugés stratégiques.
Plus largement, la suspension temporaire du FCPA s’inscrit dans un climat d’incertitude juridique généralisée. Sous l’administration Trump, les fondements mêmes de la régulation économique internationale semblent remis en cause. Certaines entreprises françaises ont par exemple reçu, ces derniers mois, des mises en garde informelles concernant la poursuite de leurs politiques RSE (responsabilité sociétale des entreprises), jugées trop « idéologiques » par certains relais américains — un signal inquiétant d’un possible revirement général de la part des États-Unis sur les principes de gouvernance qu’ils avaient largement contribué à mettre en place.
Le FCPA représentait jusqu’ici une référence dans la lutte contre la corruption mondiale. Il avait servi de catalyseur pour de nombreuses législations nationales ambitieuses, en France, au Royaume-Uni ou encore au Brésil. En suspendant son application, le décret présidentiel pourrait fragiliser cette dynamique et affaiblir les efforts de coordination internationale.
Un autre risque, plus insidieux, réside dans la réorientation du FCPA vers un usage purement stratégique. Déjà critiqué pour son instrumentalisation potentielle au service d’intérêts économiques américains — comme l’illustrait l’affaire Alstom — le texte pourrait désormais être ouvertement utilisé à cette fin. Le risque d’une application asymétrique, sinon discriminatoire, du FCPA devient réel.
Jusqu’ici, il convient de rappeler que les autorités américaines n’ont pas hésité à sanctionner leurs propres entreprises lorsque cela s’imposait. En 2024, par exemple, la société de défense RTX a été sanctionnée à hauteur de $361,2 millions, et la société aéronautique AAR Corp a écopé de $55 millions pour des pratiques corruptives. Et Goldman Sachs détient encore le record de la plus lourde sanction infligée au titre du FCPA : $3,3 milliards en 2020 pour sa participation au scandale du fonds souverain malaisien 1MDB.
En redéfinissant la philosophie même de cette loi, le nouveau décret remet en question cette fermeté vis-à-vis des entreprises américaines. De gendarme mondial, le FCPA devient un levier assumé de compétitivité commerciale au service des intérêts américains. Le danger est alors double : offrir de facto une forme d’impunité aux entreprises nationales, tout en maintenant une pression ciblée sur les entreprises étrangères lorsque cela sert les intérêts stratégiques des États-Unis.
Dans ce contexte, les entreprises françaises doivent plus que jamais faire preuve de prudence. Le véritable risque serait d’interpréter cette suspension comme un feu vert implicite à un relâchement des contrôles. Au contraire, cette période d’instabilité devrait être mise à profit pour renforcer les dispositifs de prévention interne — non seulement pour limiter l’exposition aux poursuites futures, mais surtout pour affirmer un positionnement clair et durable en faveur de l’éthique des affaires, quelles que soient les orientations géopolitiques du moment.
Sources :
Une vigilance de tous les instants doit rester la règle face aux menaces corruptives en…
Le FCPA américain témoigne d’une approche dynamique de la lutte anticorruption internationale L’année 2024 a…
Cette CJIP intervient après des sanctions déjà prononcées en 2022 dans d'autres juridictions La Convention…
Plus de 25% des 504 affaires recensées par l'AFA ont donné lieu à des peines…
Avant qu'il ne soit rattrapé par le FCPA, les activités du groupe Adani étaient déjà…
Dans un rapport de janvier 2024, l'AFA pointe du droit l'opacité et les dérives qui…