L’année 2024 a été marquée par une application dynamique du FCPA (Foreign Corrupt Practices Act), la loi américaine qui lutte contre la corruption internationale depuis 1977. SAP, Raytheon, Gunvor, McKinsey… Retour sur les affaires marquantes et les nouvelles stratégies du gendarme américain.
L’année a commencé avec un règlement de $220 millions et la troisième place sur le podium pour SAP, géant allemand des logiciels, accusé d’avoir versé des pots-de-vin afin d’obtenir des contrats publics en Afrique du Sud et en Indonésie. Plusieurs autres règlements importants ont suivi, et leur examen révèle une tendance assez nette : le montant des sanctions dépend de plus en plus de la coopération avec Ministère de la Justice (DoJ).
L’amende record de 2024 a ainsi été infligée à Gunvor, société suisse de négoce de matières premières, condamnée à verser $661 millions pour des pratiques corruptives liées à des contrats pétroliers et gaziers en Équateur. A la seconde place, Raytheon, filiale de l’entreprise américaine de défense RTX, a écopé d’une sanction de $361,2 millions pour avoir soudoyé un responsable militaire au Qatar afin d’obtenir des contrats de défense aérienne.
Ces deux entreprises ont bénéficié de légères réductions de leur amende grâce aux « crédits de coopération » accordés lorsque l’entreprise coopère de bonne volonté avec les enquêteurs. Pourtant, ces minorations semblent modestes comparées à l’annulation totale des poursuites obtenue par MilliporeSigma, filiale du groupe pharmaceutique allemand Merck, pour un stratagème de corruption en Chine. Cette clémence, également accordée en 2023 à Corsa Coal, résulte d’une autodénonciation immédiate auprès du DoJ dès la découverte des infractions.
Des annonces récentes confirment d’ailleurs l’intérêt croissant des autorités américaines pour ces auto-divulgations qui leur épargnent des enquêtes longues et coûteuses. En avril, le DoJ a lancé un programme pilote permettant aux individus impliqués de bénéficier d’accords de non-poursuite (NPA) en échange d’informations exploitables divulguées spontanément. Plus récemment, il a annoncé réfléchir à des accords FCPA anticipés pour les entreprises révélant leurs fautes « de bonne foi ».
L’annulation des poursuites et les réductions d’amende restent toutefois loin d’être automatiques. En décembre 2024, AAR Corp, entreprise américaine de services aéronautiques, a écopé de $55 millions pour des pratiques corruptives au Népal et en Afrique du Sud. L’entreprise aurait généré près de $24 millions de bénéfices grâce à des contrats avec des compagnies aériennes publiques, obtenus par le biais de pots-de-vin versés à des fonctionnaires haut placés via plusieurs sociétés intermédiaires.
Malgré une autodénonciation auprès du DoJ, AAR n’a pas échappé aux sanctions. En effet, plusieurs articles évoquant des irrégularités dans ses contrats avaient déjà été publiés dans la presse locale. Deux semaines avant d’être contacté par AAR, le DoJ avait également reçu un signalement indépendant.
Ainsi, cette auto-divulgation tardive n’a donc pas été jugée volontaire au sens strict par les autorités. Elle a néanmoins permis de démontrer la bonne volonté d’AAR et, conjuguée à une coopération satisfaisante à l’enquête, a contribué à minorer l’amende finale.
Cette année, l’Afrique du Sud a été au cœur d’un autre règlement FCPA de taille. Entre 2012 et 2016, la filiale africaine du groupe McKinsey a soudoyé plusieurs responsables des entreprises publiques Transnet (transports) et Eskom (électricité) pour sécuriser des contrats de conseil lucratifs.
Ces paiements transitaient par des sociétés de conseil locales facturant de fausses prestations. Une partie des honoraires encaissés était ensuite redistribuée en pots-de-vin. McKinsey Africa a ainsi obtenu des informations confidentielles concernant l’attribution de contrats de conseil lucratifs, lui permettant de réaliser des bénéfices d’environ $85 millions.
L’amende de $122 millions, dont la moitié sera reversée aux autorités sud-africaines, reflète une réduction de 35% par rapport au montant initial. Cette minoration récompense une coopération proactive avec le DoJ et des mesures correctives rapides, notamment la rupture des liens avec les partenaires impliqués, l’organisation de formations anticorruption pour les employés locaux et l’amélioration des process de due diligence concernant les partenaires.
En mars 2024, Trafigura, géant suisse du négoce de matières premières, a accepté un règlement FCPA de $126 millions pour des pots-de-vin versés à des fonctionnaires brésiliens entre 2003 et 2014. Ces paiements visaient à décrocher des contrats avec la compagnie pétrolière publique Petrobras, générant $61 millions de profits. L’argent transitait via des sociétés écrans vers des comptes offshore, avant d’être distribués en liquide aux responsables brésiliens.
Le montant final de l’amende reflète la politique du DoJ envers les récidivistes : des infractions antérieures, notamment des fausses déclarations en 2006 et des violations environnementales en 2010, ainsi que son manque de coopération initial, on aggravé son cas.
Cette affaire Trafigura a également connu un rebondissement local en décembre avec un procès en Suisse. L’un des intermédiaires brésiliens, afin d’obtenir une remise de peine, avait en effet reconnu sa participation à des paiements illicites en Angola. Cette révélation sur une filière lusophone a conduit à l’enquête suisse qui a notamment documenté des pots-de-vin de 5 millions d’euros, versés à un haut responsable de la compagnie pétrolière angolaise Sonangol. L’acte d’accusation décrit des pratiques connues par la direction : l’un des employés fautifs était même surnommé « M. Non-Conforme » par le fondateur Claude Dauphin.
Le parquet suisse a au final requis $156 millions d’amende pour Trafigura et quatre ans de prison pour un ancien dirigeant. Ce procès constitue une première pour la Suisse, pays d’implantation de nombreuses sociétés de négoce reconnues coupables de criminalité financière comme Glencore, Gunvor et Vitol. Il marque ainsi un tournant vers une vigilance accrue dans un pays réputé pour sa souplesse fiscale et son manque de transparence. Ce signal fort démontre que, même dans des juridictions historiquement réputées pour une certaine indulgence, les entreprises pratiquant la corruption ne sont plus à l’abri de poursuites judiciaires.
Sources :
Cette CJIP intervient après des sanctions déjà prononcées en 2022 dans d'autres juridictions La Convention…
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