Le nom de Gautam Adani, deuxième fortune d’Inde, résonne à l’échelle mondiale pour sa fortune estimée à $69,8 milliards, et pour l’empire qu’il a bâti avec le groupe Adani, actif dans des secteurs variés comme l’énergie, les mines de charbon, les infrastructures portuaires et les médias. Mais ce nom est également associé, désormais, aux accusations de fraude et de corruption liées à son inculpation par le tribunal fédéral de New York, le 20 novembre 2024.
L’acte d’accusation est accablant : l’industriel de 62 ans, aidé de sept associés, aurait orchestré un système complexe de pots-de-vin d’une valeur de $250 millions versés à des fonctionnaires indiens, afin d’obtenir des contrats dans le secteur de l’énergie solaire entre 2020 et 2024. Ces accusations ouvrent une nouvelle période de trouble pour l’empire Adani, déjà fragilisé par un scandale boursier et comptable en 2023.
L’un des principaux éléments de cette machination a été l’attribution, en 2020, d’un des plus grands contrats d’énergie solaire jamais signés en Inde, d’une valeur de 8 gigawatts, à Adani Green Energy Limited (AGEL), dirigée par Sagar Adani, neveu de Gautam. Cependant, les compagnies d’électricité locales auraient refusé de payer les tarifs élevés prévus par le contrat, anticipant une baisse des prix de l’énergie solaire. Pour contourner cet obstacle, Adani aurait alors facilité le versement de pots-de-vin à des fonctionnaires pour s’assurer de la signature des contrats locaux, une manœuvre profitant également à la société Azure Power Global.
En août 2021, G. Adani aurait promis $228 millions en pots-de-vin à un fonctionnaire de l’État d’Andhra Pradesh pour assurer la signature du contrat. Ce dernier a été validé en décembre 2021, suivi par d’autres États ayant reçu des promesses de pots-de-vin. Le même mois, G. Adani déclarait que l’entreprise était sur la bonne voie pour « devenir le plus grand acteur mondial dans le domaine des énergies renouvelables d’ici 2030 ».
Cette « bonne fortune soudaine » a suscité les soupçons de la Securities and Exchange Commission (SEC), qui a rapidement ouvert une enquête. En mars 2022, la SEC a envoyé une lettre d’enquête à Azure, alors cotée à la bourse de New York, pour savoir si des fonctionnaires étrangers avaient demandé des contreparties en échange de l’attribution de marchés.
En avril 2022, G. Adani aurait informé des représentants d’Azure qu’il s’attendait à être remboursé de plus de $80 millions pour les pots-de-vin versés pour sécuriser des contrats profitant à Azure. Pour le rembourser, plusieurs acteurs clés d’Azure auraient facilité la reprise d’un projet potentiellement rentable par la société d’Adani
Pendant ce temps, entre 2021 et 2024, les entreprises d’Adani ont levé des millions de dollars auprès de banques et d’investisseurs internationaux, notamment américains, leur fournissant des documents certifiant qu’aucun pot-de-vin n’avait été payé – ces fausses déclarations constituant des actes de fraude.
L’enquête s’est intensifiée en mars 2023, lorsque le FBI a saisi les appareils électroniques de Sagar Adani et délivré un mandat de perquisition, révélant que le gouvernement enquêtait sur des violations potentielles du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), la loi américaine qui criminalise la corruption de fonctionnaires étrangers et la fraude dans les transactions financières internationales.
Le groupe a immédiatement réagi en dénonçant des accusations « sans fondement », et en précisant que les inculpés n’étaient pas poursuivis pour corruption, mais uniquement pour « fraude » en lien avec les obligations de transparence financière. Pourtant, l’acte d’accusation leur reproche d’avoir dissimulé un « système de corruption alors qu’ils cherchaient à lever des fonds auprès d’investisseurs américains et internationaux ».
Malgré ces tentatives de minimiser les répercussions juridiques et financières, l’inculpation d’Adani a eu un impact immédiat sur son empire. La valeur boursière du groupe a chuté de près de $55 milliards, et AGEL a été contraint d’annuler une vente d’obligations de $600 millions. Plusieurs projets, notamment en Afrique de l’Est et au Bangladesh, ont été suspendus. Le géant français TotalEnergies, détenteur de 20% du capital d’AGEL, a annoncé la suspension de tout nouvel investissement en lien avec le groupe.
Mais l’affaire Adani va au-delà des seuls impacts financiers. En Inde, le lien étroit entre le premier ministre Narendra Modi et G. Adani, soutien financier du parti gouvernemental BJP, a ravivé les tensions politiques. L’opposition, portée par Rahul Gandhi, exige « l’arrestation immédiate » de G. Adani, mais prédit que « cela n’arrivera pas tant que Modi le protégera ». Pour l’instant, le gouvernement Modi prend ses distances : « Nous ne sommes pas impliqués. Laissez-le se défendre lui-même », a déclaré le porte-parole du BJP.
Cette inculpation braque ainsi le projecteur sur les dysfonctionnements d’un pays qui, malgré des réformes annoncées, reste miné par la corruption, ce que reflète sa position au 93ème rang sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption 2023 de Transparency International.
L’affaire Adani propulse ainsi à nouveau le FCPA sur le devant de la scène, en tant que bras armé de la justice extraterritoriale américaine, après plusieurs années marquées par une baisse significative des sanctions. Après un pic historique de $6,4 milliards en 2020, les amendes ont chuté à $120 millions en 2021, puis rebondi à $1,5 milliard en 2022, avant de tomber à $775 millions en 2023.
L’année 2024 aura néanmoins enregistré plusieurs sanctions notables, dont celle de l’entreprise américaine Raytheon, filiale de RTX Corporation, sommée de régler $950 millions pour des pots-de-vin versés à des fonctionnaires qataris. En parallèle, le géant espagnol des télécoms Telefónica s’est acquitté de $85,2 millions pour clore un litige pour corruption au Venezuela. Le fabricant américain de matériel agricole John Deere a également été sanctionné à près de $10 millions pour des pots-de-vin en Thaïlande.
Une autre affaire a placé l’Inde au premier plan : Moog, un fabricant new-yorkais de matériel aérospatial, a reçu une sanction de $1,7 million pour l’implication de sa filiale indienne dans un système de corruption visant à obtenir des contrats publics.
Cette baisse des amendes peut être attribuée à plusieurs facteurs, dont la montée en puissance de l’auto-divulgation, un système qui récompense la divulgation volontaire des inconduites et la coopération active avec la justice par des accords de non-poursuite (NPA) pour les individus et des crédits de coopération pour les entreprises.
Cependant, l’affaire Adani rappelle que le FCPA reste un acteur-clé dans la surveillance des pratiques de corruption à l’échelle mondiale, soutenu par une justice américaine déterminée à intervenir dans des affaires de grande envergure, au-delà des frontières nationales.
Sources :
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