Fin septembre, nous rapportions les conclusions d’un contrôle de l’Agence Française Anticorruption (AFA) accablant pour la Fédération Française d’Équitation (FFE). Aujourd’hui, c’est au tour de la Fédération Française de Football (FFF) de se retrouver dans la tourmente avec un rapport d’évaluation daté de janvier 2024 que s’est procuré Marianne. Le document de l’AFA relève de graves lacunes, en particulier dans ses procédures anticorruption. Ce nouveau développement vient exacerber les failles structurelles d’une industrie où les scandales de corruption se multiplient à un rythme alarmant.
Si l’on devait résumer en un mot les manquements relevés par le rapport de l’AFA, ce serait « flou ». Les procédures de la FFF sont marquées par une opacité qui l’expose aux dérives. Malgré la financiarisation du secteur ces dernières années, les mécanismes internes de contrôle semblent rester au point mort : billets en tribune présidentielle distribués sans traçabilité, cadeaux et invitations sans registre, contrats à plusieurs centaines de milliers d’euros attribués sans procédure… Ces pratiques trahissent un écart béant entre une conformité de façade et les réalités internes de la FFF, association reconnue d’utilité publique.
Sur le papier, la FFF respecte certaines obligations. En 2019, elle a établi une cartographie des risques ; en 2022, elle a formalisé un code de conduite conjoint avec la Ligue de Football Professionnel (LFP) et mis en place un dispositif d’alerte. Mais en pratique, le contrôle est quasi inexistant, notamment dans la gestion des achats et des partenariats : retour sur les problèmes relevés par l’AFA, qui ont donné lieu à 13 recommandations à mettre en œuvre d’ici fin 2024.
Contrats sans appel d’offres : la porte ouverte aux conflits d’intérêts
Un exemple flagrant en est le contrat de gestion des espaces verts du site de Clairefontaine, d’une valeur annuelle de 1,5 million d’€, attribué depuis 2016 sans appel d’offres à la société bretonne Sparfel. Ce contrat a été signé par l’ancien président de la FFF, Noël Le Graët, sans validation du comité exécutif, alors même que la procédure exige une approbation pour tout contrat supérieur à 300 000 €. L’affaire prend une tournure encore plus suspecte lorsque l’on découvre que Sparfel siège au conseil d’administration d’En Avant Guingamp club historiquement présidé par N. Le Graët (1972-1991 puis 2002-2011), et cité par l’AFA comme un potentiel foyer de malversations.
Administration opaque des partenariats
Les partenariats représentent une part considérable des revenus de la FFF (près de 130 millions d’€ pour la saison 2022-2023). Pourtant, une grande confusion semble régner dans la gestion de ces accords, à l’instar des véhicules fournis par Volkswagen, partenaire de la FFF depuis 2014. En effet, la FFF ne serait pas en mesure d’identifier précisément les bénéficiaires de ces véhicules et à contrôler leur usage, ce qui soulève des doutes sur des avantages en nature potentiellement attribués de manière indue.
Frais de déplacements non encadrés
En 2021-2022, la FFF a dépensé 19,4 millions d’€ pour les déplacements, soit près de 20 % de ses dépenses, sans procédure de contrôle. Une simple validation hiérarchique suffit pour obtenir un remboursement, ouvrant la porte à certains abus, notamment pour les dirigeants, dont les dépenses d’affrètement d’avions s’élevaient à 3,7 millions d’€. Par exemple, un déplacement de N. Le Graët pour le Mondial 2018 a coûté 65 700 €, sans justification adéquate. Compte tenu des fonctions du président de la FFF, de telles dépenses peuvent se justifier ; Pour l’AFA, ce n’est pas le montant des dépenses qui est en cause – celles-ci pouvant être légitimes compte tenu des fonctions de représentation du président de la FFF – mais l’absence totale de justificatifs. Cette lacune expose directement les dirigeants à un risque pénal d’abus de confiance.
Subventions à des clubs amateurs : des aides sans filet
Revendiquant fièrement plus de 100 millions d’€ de subventions au football amateur en 2022-2023, la FFF semble pourtant répartir ces aides sans aucune procédure interne ni contrôle, en particulier au sein du Fonds d’aide au football amateur (FAFA), qui en distribue une part conséquente. Ce fonds est géré par une commission dont les membres ne sont pas tenus de déclarer leurs conflits d’intérêts, ouvrant une faille significative dans la prévention des abus.
La LFP : un maillon faible du dispositif
L’une des zones d’ombre les plus saillantes est la LFP, tout bonnement absente de la cartographie des risques de la FFF. Avec ses enjeux financiers colossaux (près de 2,5 milliards d’€ générés en 2022-2023) la LFP constitue un véritable maillon faible dans le dispositif anticorruption de la Fédération. D’après le cabinet Ethisport, en charge de la cartographie, l’erreur tiendrait à une « mauvaise interprétation » des risques. Toutefois selon l’AFA, cette cartographie est truffée de lacunes et semble principalement guidée, priorité inavouée, par la préoccupation du risque réputationnel, au détriment d’une approche globale et rigoureuse.
Cette priorité est regrettable, mais aussi contre-productive. Réputation et intégrité sont désormais indissociables, surtout à une époque où il devient de plus en plus difficile d’échapper à la vigilance d’organismes comme l’AFA ou d’associations de la société civile. Dès lors, peut-on vraiment s’étonner que ces structures soient si souvent dans le collimateur de la justice, à l’instar de la LFP, actuellement visée par une enquête pour « détournement de fonds publics » ?
Malgré d’importants efforts de communication pour « redorer l’image » d’un football français attaqué sur de multiples fronts, les scandales d’intégrité continuent de noircir le paysage.
Le 5 novembre dernier, le siège de la LFP a fait l’objet de perquisitions dans le cadre d’une enquête du PNF pour détournement de fonds publics, corruption active et passive d’agent public, et prise illégale d’intérêt. L’enquête fait suite à une plainte de l’association AC ! Anticorruption, pointant du doigt les conditions opaques de création de la société commerciale de la LFP baptisée LFP Media Cette dernière a vu le jour à la suite d’une cession partielle de capital au fonds d’investissement luxembourgeois CVC Partners, qui, en échange d’un apport de 1,5 milliard d’euros, s’est vu attribuer 13 % des revenus annuels à vie de cette société, dont les fameux droits TV si rémunérateurs. Selon la commission d’enquête du Sénat, « les dirigeants de la LFP avaient objectivement un intérêt personnel à choisir de recourir à une solution reposant à 100 % sur une levée de capital« . Par exemple, le président de la LFP Vincent Labrune a vu son salaire tripler, et perçu un bonus de 3 millions d’euros suite à cet accord datant d’avril 2022.
Une autre affaire implique l’ex-vice-président de l’Assemblée nationaleHugues Renson, mis en examen le 5 septembre pour trafic d’influence en lien avec le PSG. Il est soupçonné d’avoir facilité des démarches administratives pour le club (par exemple, l’obtention d’un visa pour un employé) en échange de billets et de privilèges – notamment une trentaine de places VIP pour des matchs entre 2017 et 2021. L’affaire, ouverte en 2021, implique aussi d’autres personnalités liées au club, ainsi que des ex-policiers et des lobbyistes. Le rôle de H. Renson est également étudié dans une enquête parallèle concernant des avantages fiscaux potentiels pour le PSG lors du transfert de Neymar en 2017.
Enfin, les liens entre l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) et Panini ont récemment défrayé la chronique.En septembre, le parquet de Paris avait engagé des poursuites pour « escroquerie » et « corruption active d’agent privé » après une plainte d’anciens joueurs contestant la cession illégale de leurs droits à l’image pour les vignettes autocollantes des albums Panini. Bien que la plainte ait été classée sans suite faute de preuves, elle a révélé des liens douteux entre Philippe Piat, alors président de l’UNFP, et Alain Guerrini, président de Panini France. Ces relations personnelles, ainsi que des accusations de soutien politique dans la course à la présidence de la LFP, renforcent les soupçons de conflits d’intérêts dans un secteur déjà sous surveillance.
Bien que le football, en raison des sommes colossales qu’il génère et de sa popularité, attire particulièrement l’attention, ces révélations ne se limitent pas à ce seul sport. L’AFA a pointé des dysfonctionnements similaires dans d’autres fédérations, comme la FFE (équitation), où les pratiques opaques dans la gestion des partenariats laissent également la porte ouverte à des malversations financières.
La Lettre A a révélé que, parmi les huit rapports de l’AFA ciblant des structures sportives (dont d’autres fédérations de premier plan comme le judo, le basket ou encore la natation), au moins six montrent des lacunes de conformité anticorruption, suggérant que d’autres fédérations pourraient faire face à des scandales similaires. Le tennis, par exemple, est actuellement sous le coup de plusieurs enquêtes : suite à une plainte de sept membres de la Fédération française de tennis (FFT) pour « détournement de biens » et « corruption », Anticor a signalé au PNF des pratiques suspectes de revente de billets. En parallèle, un système de pots-de-vin dans les complexes de tennis municipaux, dénoncé par Le Parisien, révèle que des professeurs verseraient des sommes à des agents pour pouvoir dispenser illégalement des cours particuliers, une pratique générant près de 25 000 € par mois.
Dans ce contexte houleux pour l’éthique et la réputation des fédérations sportives, ces dernières gagneraient donc à s’inspirer sans attendre des bonnes pratiques listées par l’AFA dans son guide destiné aux fédérations, afin d’instaurer des contrôles stricts pour réduire le risque de corruption. Que les fédérations adoptent ces mesures ou non, il est clair que le secteur sportif restera sous haute surveillance, et que la réputation du sport en France, en particulier le football, pourrait en souffrir à long terme.
Sources
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