Jugements et affaires en cours

Corruption locale en France : le point sur les dossiers brûlants de l’été 2024

La vigilance française doit rester de mise face aux nombreuses affaires en cours sur le territoire

À l’ère de la compliance anticorruption et des sanctions extraterritoriales, l’actualité française demeure entachée par des scandales de corruption réguliers, impliquant des personnalités politiques et des entités publiques. Ces scandales, souvent complexes et de grande envergure, mettent en lumière les failles des dispositifs anticorruption dans certaines collectivités locales, et la nécessité d’une vigilance renforcée. Nous détaillons ci-dessous quelques-unes des affaires marquantes de ces derniers mois.

Gestion des ports de Menton : 14 individus placés en garde à vue

Depuis septembre 2023, l’affaire dite « Messina » éclabousse la gestion des ports de Menton. Les investigations, initialement lancées par le parquet de Nice et poursuivies par sa juridiction interrégionale spécialisée (Jirs), ont mis en lumière un dossier d’envergure impliquant plusieurs responsables politiques des Alpes-Maritimes.

Début juillet 2024, quatorze personnes, dont le maire de Menton Yves Juhel, ont été placées en garde à vue. Bien qu’ Y. Juhel n’ait pas été poursuivi, c’est l’ex-dirigeant de la SPL (société publique locale) des ports et ancien proche du maire, Mathieu Messina, qui est au cœur du scandale. En mars 2023, M. Messina avait déjà été condamné par le tribunal correctionnel de Marseille à deux ans de prison avec sursis, 20.000 euros d’amende et trois ans d’inégibilité pour recel d’abus de biens sociaux et travail dissimulé alors qu’il présidait le club de football du Gazélec Ajaccio – condamnation dont il a fait appel.

Un audit réalisé par Marina Giardina, la nouvelle responsable de la SPL, révèle plus de 710 000€ de dépenses irrégulières : hôtels et restaurants luxueux, séjours en Corse, en Lettonie et à Dubaï, et même une facture de 33 000€ pour du caviar, du champagne et du vin blanc. Parmi ces dépenses, 36 000€ pour des citrons et mandarines à plus de 5,5€ l’unité… achetés dans des commerces cogérés par M. Messina. Enfin, quatre chèques, pour un montant total de 62 000€, ont été effectués à son nom.

Deux plaintes ont été déposées par la Ville de Menton et le Conseil départemental des Alpes-Maritimes. Ce dernier, qui détient 20% des parts de la SPL, joue gros dans cette affaire qui pourrait se révéler un véritable château de cartes bien au-delà de la personne de M. Messina. Ce dernier, dans un communiqué, s’estime « jeté en pâture » et assure qu’il fournira des justificatifs pour ces dépenses. Avec l’accélération soudaine de la justice sur ce dossier, l’affaire promet d’évoluer significativement dans les mois à venir.

Alain Gardère : un ancien préfet et son réseau devant la justice

Le 13 mai 2024 s’est ouvert le procès d’Alain Gardère, ancien préfet de police de Marseille, au tribunal correctionnel de Paris. Après sept ans d’enquête, il est jugé aux côtés de 12 autres personnes et deux entreprises pour corruption, abus de bien sociaux et prise illégale d’intérêts. Aujourd’hui à la retraite, le haut fonctionnaire est accusé d’avoir reçu de nombreux cadeaux offerts par des responsables d’entreprises en échange de services rendus.

A. Gardère aurait, selon la juge d’instruction, pris l’habitude de demander des avantages en se prévalant de ses fonctions. En 2015-2016, en tant que directeur du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS, l’instance qui délivre des agréments dans ce secteur), il aurait accéléré des autorisations de port d’arme en échange de caisses de vins ou encore de places pour des défilés de haute couture. En 2011-2012, alors préfet délégué à la sécurité des aéroports de Roissy et du Bourget, il aurait obtenu un badge d’accès pour un vieil ami, directeur d’un cabaret parisien où la police a ses habitudes, en échange d’un accès illimité et gratuit à son établissement. Dîner à la tour Eiffel, travaux à prix avantageux dans ses appartements… la liste des avantages obtenus au cours de sa carrière est longue.

Plusieurs sociétés privées ayant contracté avec A. Gardère sont ainsi dans le viseur de la justice. Antonio de Sousa, dirigeant de la société de bâtiment France Pierre 2, aurait par exemple offert plusieurs cadeaux à A. Gardère (mais aussi, selon les révélations de l’information judiciaire, à de nombreux autres élus locaux et fonctionnaires). En contrepartie, l’entreprise aurait obtenu des autorisations diverses et des permis de construire à moindre coût, au mépris des plans locaux d’urbanisme. En avril 2016, M. de Sousa, M. Gardère et plusieurs (anciens) maires du Val-de-Marne et de l’Essonne ont été mis en examen, puis placés sous contrôle judiciaire.

À l’issue de l’audience en juin, le parquet a requis quatre ans de prison, dont deux avec sursis, et une amende de 450 000€ contre Gardère. Des peines d’inéligibilité immédiate ont également été demandées pour plusieurs maires impliqués. Le délibéré sera rendu le 24 octobre 2024.

Si ces faits sont avérés, ils revêtent une gravité particulière en raison de leur récurrence, du nombre de fonctionnaires publics mis en cause et des interrogations qu’ils soulèvent sur l’efficacité des mécanismes de contrôle et des processus de décision au sein de certaines collectivités locales.

Michèle Alliot-Marie, la fin de 10 ans d’instruction

Le 2 juillet, le parquet a requis deux ans de prison avec sursis et une amende de 50 000 € contre l’ancienne ministre Michèle Alliot-Marie (« MAM »), jugée par le tribunal correctionnel de Nanterre pour prise illégale d’intérêts de 2010 à 2012, alors qu’elle occupait le poste d’adjointe à la mairie de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques).

MAM, qui a servi en tant que ministre de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, est accusée d’avoir participé aux votes des subventions municipales malgré un conflit d’intérêt important. Entre janvier 2010 et octobre 2012, 260 000 € de subventions auraient été accordées à l’Office du tourisme et reversées à l’Association pour l’Organisation des Festivals (AOF), présidée par son père, Bernard Marie.

Lors de la première journée d’audience, Michèle Alliot-Marie s’est défendue en affirmant que le budget voté allait à l’Office de Tourisme, qui décidait librement de ses prestataires, et qu’elle n’avait pas connaissance préalable des bénéficiaires des subventions. Cependant, la procureure a rejeté ces arguments, soulignant que l’ancienne ministre ne pouvait ignorer son intérêt personnel dans cette situation et aurait donc dû se déporter lors des votes. Les délibérations se poursuivent et le jugement final est attendu le 6 septembre 2024.

Cette affaire rappelle que les conflits d’intérêts sont un risque difficile à apprécier, mais qu’ils ne doivent en aucun cas être négligés compte tenu des retombées judiciaires et réputationnelles pour les personnes impliquées.

Alain Ferrand : les villages de Noël du Barcarès sous enquête

Fin avril, Alain Ferrand, maire du Barcarès (Pyrénées Orientales) a été mis en examen et placé en détention provisoire pour corruption, favoritisme et prise illégale d’intérêt dans le cadre de l’enquête sur la gestion des marchés publics des villages de Noël de la station balnéaire, 2012 à 2024. Celui qui est parfois surnommé ironiquement le « Balkany du Sud » avait été arrêté quelques jours avant avec 30 000 € en grosses coupures et $10 000 à l’aéroport de Montpellier-Méditerranée, alors qu’il revenait d’un voyage d’affaires au Congo-Brazzaville. Son avocat soutient que cet argent était destiné à gérer des matériels hôteliers obsolètes au Congo, et A. Ferrand nie toutes les accusations.

Cependant, les accusations de corruption, de favoritisme et de prise illégale d’intérêt persistent. Michel Astaing, PDG du groupe K invest, a également été mis en examen dans cette affaire. Les précédents démêlés judiciaires de Ferrand, notamment pour abus de biens sociaux et extorsion en bande organisée, jettent une ombre supplémentaire sur cette nouvelle accusation.

En bref : Conseil Régional de la Réunion, Mairie de Mirandol, Carla Bruni-Sarkozy

  • La Réunion : enquête sur les aides aux entreprises

Le Conseil régional de La Réunion fait l’objet d’une enquête du PNF (Parquet National Financier) concernant un dispositif d’aides aux petites entreprises mis en place par l’ancienne mandature. Des perquisitions ont eu lieu le 10 juillet, suite à un signalement effectué par le Conseil régional lui-même, en lien avec le dispositif « Acacia », dédié aux aides aux petites entreprises, mis en place par l’ancienne mandature. Des perquisitions avaient déjà eu lieu au Conseil Régional, d’abord en 2015 dans le cadre d’une enquête sur les conditions d’attribution des marchés de la Nouvelle Route du Littoral (enquête toujours en cours), puis en 2021 dans l’affaire des emplois fictifs, bien que Didier Robert, ancien président de Région, ait été relaxé dans cette dernière affaire.

  • Mirandol : une secrétaire de mairie soupçonnée d’avoir détourné 125 000 € de fonds publics

Dans la petite commune de Mirandol, dans le Tarn, une ancienne secrétaire de mairie sera jugée en novembre 2024 à Albi pour abus de confiance et escroquerie. Embauchée en 2015, elle aurait détourné plus de 125 000€ des caisses de la commune pour des achats personnels, qu’elle se faisait livrer à la mairie ou directement chez elle. Repérée par la maire, la fraude a conduit à son licenciement et à des poursuites judiciaires. Elle a depuis été révoquée de la fonction publique territoriale.

  • C. Bruni-Sarkozy en examen pour recel de subornation de témoin

Le 9 juillet, Carla Bruni-Sarkozy a été mise en examen et placée sous contrôle judiciaire examen pour recel de subornation de témoin et association de malfaiteurs, dans le cadre des enquêtes sur la rétractation en 2020 de Ziad Takieddine, un intermédiaire qui avait accusé son mari, Nicolas Sarkozy, d’avoir financé sa campagne présidentielle de 2007 avec des fonds libyens. Elle est soupçonnée d’avoir joué les intermédiaires entre son époux et Michèle (« Mimi ») Marchand, figure de la presse people, pour orchestrer la rétractation de Takieddine. En revanche, elle a obtenu le statut de témoin assisté pour association de malfaiteurs en vue de la corruption de personnels judiciaires étrangers au Liban.

Nicolas Sarkozy, déjà mis en examen en octobre 2021, est également soupçonné d’avoir orchestré des manœuvres pour obtenir cette rétractation. Le procès de cette affaire est prévu pour 2025.

Par leur étendue et leur diversité, ces affaires montrent que la corruption reste un défi majeur malgré les efforts pour renforcer les mécanismes de contrôle et de conformité. Dans son rapport d’activité 2023, l’Agence Française Anticorruption (AFA) rapporte une augmentation de 40 % des signalements externes – signe d’une préoccupation croissante des citoyens sur les questions d’atteintes à la probité. Cette prise de conscience démontre que les Français sont de plus en plus conscients des risques de corruption à l’échelle locale et qu’ils sont prêts à en identifier les signaux d’alarme. Face à la persistance de ceux qui succombent à la tentation de détourner des fonds publics, cette vigilance accrue est essentielle pour détecter et prévenir les actes de corruption qui menacent l’intégrité dans la gestion des affaires publiques et privées.

Sources

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Brune Lange

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