Début février 2024, Laurent de Gourcuff, président de l’entreprise de restauration de prestige Paris Society, s’est vu infliger en appel une peine de deux ans de prison avec sursis et 150 000 € d’amende pour corruption active et trafic d’influence. Dans le courant de l’année, Bernard Laporte, ancien président de la Fédération Française de Rugby, comparaîtra en appel après une première condamnation à une peine similaire de deux ans de prison avec sursis, assortie d’une amende de 75 000 €.
Ces deux scandales distincts, chacun dans leur secteur respectif, dévoilent des similitudes symptomatiques des pratiques de corruption qui font trop régulièrement l’actualité du monde des affaires en France. Plongée dans le détail de ces deux affaires emblématiques, témoignant à la fois des avancées réalisées dans la détection et la sanction des inconduites, mais aussi des efforts nécessaires pour mieux prévenir la corruption.
Jeudi 8 février, le tribunal correctionnel de Paris a rendu un verdict en appel, condamnant Laurent de Gourcuff, fondateur du groupe Paris Society, à une peine de deux ans de prison avec sursis et à une amende de 150 000 € pour corruption active. Ce poids lourd de l’événementiel, gestionnaire d’environ 70 établissements prestigieux tels que le restaurant Maxim’s, a aussi écopé d’une interdiction de gérer une entreprise pendant cinq ans, assortie d’une peine d’inéligibilité d’un an.
Tout a commencé avec une plainte déposée par Moma Group, le concurrent historique de Paris Society, révélant des pratiques douteuses dans l’attribution d’un contrat de concession de l’hippodrome de Longchamp sur douze ans en 2018. Accusé de trafic d’influence et de recel de favoritisme dans le but de remporter ce contrat, incluant la concession d’un restaurant, Laurent de Gourcuff aurait obtenu des informations privilégiées lors de plusieurs dîners avec Fabrice Favetto Bon, alors directeur marketing et commercial de France Galop, la société gestionnaire de l’hippodrome.
En échange, L. de Gourcuff aurait offert des cadeaux, notamment un dîner d’anniversaire dans l’un de ses établissements parisiens, et aurait proposé un poste de directeur des opérations au sein de Paris Society. Et ce, alors que le processus d’appel d’offres interdisait tout contact informel entre les parties.
Malgré le retrait de la plainte de Moma Group, la justice a maintenu les poursuites, soulignant les manquements délibérés aux obligations liées à ce marché public. À l’issue du procès en novembre 2023, L. de Gourcuff a été condamné à 1 an de prison avec sursis et de 50 000 € d’amende – une peine dont il décide immédiatement de faire appel. Fabrice Favetto Bon a lui aussi été condamné à deux ans de prison avec sursis et à une amende de 30 000 €.
Lors de son appel, non seulement L. de Gourcuff n’a pas obtenu pas la relaxe qu’il espérait, mais sa peine a été alourdie : l’accusation de « trafic d’influence » a été requalifiée en « corruption active » et l’homme d’affaires a été condamné à deux ans de prison avec sursis, 150 000 € d’amende et l’interdiction de gérer une entreprise pendant cinq ans. Paris Society a également été condamnée, en tant que personne morale, à 800 000 € d’amende pour recel de favoritisme et de corruption active, ainsi qu’à une exclusion des marchés publics pendant cinq ans.
L’affaire jette une lumière crue sur les pratiques contestables entourant les marchés publics, fréquemment au cœur d’affaires de corruption et de favoritisme. Elle illustre également les risques significatifs auxquels les entreprises s’exposent lorsqu’elles procèdent à une fusion/acquisition dans un contexte judiciaire complexe. En effet, le verdict est survenu peu de temps après la prise de contrôle d’Accor en tant qu’actionnaire majoritaire de Paris Society. Détenteur de 38% des parts en 2018, le groupe Accor a annoncé le rachat de 100% du capital en décembre 2022, pour un montant de 330 millions d’€. La décision de procéder à cette acquisition, malgré la mise en examen de L. de Gourcuff en février 2021, expose ainsi le nouvel actionnaire majoritaire aux conséquences résultant de l’exclusion de Paris Society des marchés publics pendant cinq ans – un revers important pour une société spécialisée dans l’acquisition de lieux prestigieux.
En 2024, la justice française devra statuer sur une autre affaire majeure de corruption. Le scandale impliquant deux figures de proue du rugby français, Bernard Laporte, ex-Président de la Fédération Française de Rugby (FFR), et Mohed Altrad, PDG du géant du BTP Altrad Investment Authority (AIA) et propriétaire du club de rugby Montpellier Hérault Rugby, devrait enfin trouver son dénouement après cinq années de rebondissements.
L’affaire a débuté en février 2017, lorsque B. Laporte a conclu un accord d’image secret avec le groupe Altrad peu après sa prise de fonction à la présidence de la FFR. Cet accord impliquait sa participation à des opérations de communication pour le compte d’Altrad et la cession de droits à l’image à l’entreprise, en échange d’une rémunération de 180 000 €.
L’existence de ce contrat est révélée en août 2017 par le JDD, dans une enquête dévoilant les liens d’affaires troubles entre B. Laporte et M. Altrad. Une clause du contrat attire particulièrement l’attention : « la FFR s’engage à ne rien faire qui puisse porter préjudice de quelque façon que ce soit à l’image et à la réputation d’Altrad ». Un lien est rapidement tissé entre ce contrat et plusieurs arbitrages favorables au Montpellier Hérault Rugby, grâce à l’intervention de B. Laporte : reports de matchs, annulation de la suspension de l’Altrad Stadium pour un match, réduction d’une amende de 70 000€ à 20 000€, diminution du temps de suspension de certains joueurs montpelliérains…
Par ailleurs, en mars 2017, un contrat d’1,8 million d’€ signé par B. Laporte au nom de la FFR (et à l’insu de sa direction marketing), a fait d’Altrad le premier sponsor maillot de l’histoire du XV de France, alimentant les soupçons de conflit d’intérêts. L’affaire prend un tour politique : la ministre des Sports de l’époque Laura Flessel réclame des comptes et l’exécutif saisit la justice. En décembre 2017, le Parquet national financier (PNF) ouvre une enquête sur des soupçons de favoritisme. B. Laporte, qui dément les accusations, persiste et signe un nouveau contrat en janvier 2018, qui désigne Altrad sponsor maillot des Bleus jusqu’en 2023.
En décembre 2022, un premier verdict a été rendu : B. Laporte a été reconnu coupable et condamné à deux ans de prison avec sursis, deux ans d’interdiction d’exercer toute fonction en lien avec le rugby et 75 000 € d’amende. L’existence du contrat d’image secret à 180 000 € a été attestée, un contrat « jamais exécuté » selon le tribunal correctionnel de Paris.
M. Altrad a été condamné à 18 mois de prison avec sursis, 50 000 € d’amende, et à une interdiction de gérer une entreprise pendant deux ans. Outre Laporte et Altrad, trois autres prévenus ont été jugés. Claude Atcher, président de l’entreprise Score XV, une agence de marketing sportif régulièrement employée par la FFR, a été relaxé des charges les plus graves, mais condamné à 5 000 € d’amende pour travail dissimulé. Benoît Rover, associé de Claude Atcher, a également écopé d’une amende, tandis que Serge Simon, vice-président de la FFR, a été relaxé.
Même si B. Laporte et M. Altrad ont immédiatement annoncé faire appel de cette décision, cette annonce a compliqué la mission du Président Laporte la tête de la fédération en vue de la Coupe du Monde de rugby 2023. Des appels à la démission se sont fait entendre. World Rugby, dont B. Laporte était vice-président, a demandé à son responsable indépendant des questions éthiques d’évaluer le cas Laporte conformément à son code d’intégrité.
B. Laporte a fini par se mettre en retrait de la présidence en janvier 2023, tout restant président de la FFR – le recours en appel ayant un effet suspensif, rien ne l’obligeait légalement à quitter ses fonctions après le premier verdict. Cependant, quelques semaines plus tard, sa mise en garde à vue ainsi que la forte pression de la Ministre des Sports Amélie Oudéa-Castera ont eu raison de sa résistance et l’ont contraint à démissionner de son poste… Pour devenir, fin 2023, le nouveau directeur du Montpellier Hérault Rugby. Le procès en appel, pour B. Laporte comme pour M. Altrad, devrait avoir lieu durant l’année 2024.
Lorsqu’on examine dos à dos ces deux affaires, plusieurs similitudes sautent aux yeux : certaines figures éminentes de leurs domaine respectif qui prennent des libertés avec les lois d’éthique pour promouvoir leurs intérêts. Des agissements dénoncés, dans un cas par un concurrent, dans l’autre par les médias – et la justice se saisit des dossiers.
Dans les deux cas, ces organisations évoluant avec un important enjeu de réputation ont vu leur image affaiblie par les inconduites de leurs dirigeants. D’un côté, un groupe d’événementiel particulièrement attaché à son image de « pionnier de l’art de recevoir », qui perd en crédibilité et est interdit de candidater à des marchés publics. De l’autre, une fédération sportive qui, en pleine organisation d’un événement d’envergure internationale, devient l’objet d’un scandale de corruption. Alors que l’organisation de la Coupe du monde de rugby devait faire la gloire du rugby français, c’est toute l’Ovalie tricolore qui s’est vue affectée par le scandale Altrad, une tache difficile à effacer malgré l’enthousiasme accompagnant l’événemen.
Ces affaires, au-delà de leur singularité, sont révélatrices d’un problème plus vaste. Notre précédent article publié dans Skan1 Outlook soulignait la paradoxale stagnation de la France dans les classements anticorruption mondiaux, malgré un attirail juridique profondément renforcé depuis dix ans et une vigilance accrue dans tous les secteurs ayant abouti à des résultats significatifs incontestables. Des affaires comme Altrad-FFR et Paris Society-France Galop sont elles aussi emblématiques du nombre encore trop élevé de cas nouveaux qui, chaque année, renforcent l’impression d’une corruption généralisée et freinent ainsi l’ascension de la France dans les baromètres fondés sur la perception de la corruption.
Les exemples sont trop nombreux pour tous les citer ici, dans les secteurs privé comme public. Dans l’actualité récente, on peut néanmoins citer l’inculpation de Thierry Fourcassier, ex-maire de Jory (Haute-Garonne), coupable d’avoir monnayé la délivrance de permis de construire, en obligeant des promoteurs immobiliers à recourir à des intermédiaires qui prélevaient une partie des transactions pour les reverser à l’élu. Espérant agir en toute discrétion, T. Fourcassier aurait souvent réclamé des avantages non monétaires, comme des services de femme de ménage, des cadeaux luxueux et des billets d’avion.
La persistance de tels comportements interroge, à une époque où l’éthique des organisations, qu’elles soient publiques ou privées, est scrutée de plus en plus rigoureusement par la justice. Le manque de sensibilisation aux risques encourus semble incontestablement jouer un rôle : les cas L. de Gourcuff, M. Altrad, B. Laporte et T. Fourcassier donnent en effet l’image de dirigeants ignorant les règles du jeu, ou pensant en être exemptés. Toutefois, plaider l’ignorance devient plus difficile à l’heure où la sensibilisation à la corruption s’intensifie auprès de tous les publics. Cette tendance est devenue particulièrement manifeste avec la récente parution d’un kit pédagogique de l’Agence Française Anticorruption… à destination des 7-11 ans !
Ces affaires mettent aussi en évidence les lourdes sanctions, très pénalisantes, qui peuvent s’abattre sur les contrevenants, à l’image de Paris Society et L. de Gourcuff. Enfin, elles rappellent les graves conséquences à long terme, tant sur le plan légal que sur la réputation, pour les organisations impliquées, et parfois au-delà. L’exemple du monde du sport souligne comment les inconduites de quelques individus finissent par affecter des institutions nationales, voire internationales, l’affaire du Qatargate dans le cadre de la Coupe du Monde de la FIFA 2022 en est une autre illustration éloquente.
À l’approche d’événements d’ampleur tels que les prochains Jeux Olympiques de Paris à l’été 2024, l’ensemble des acteurs impliqués doivent maintenir une vigilance constante et investir tous les moyens nécessaires dans des dispositifs robustes de mesures anticorruption. Cela, les autorités anticorruption françaises semblent l’avoir bien compris, comme en témoignent les différentes enquêtes et perquisitions ouvertes par le PNF sur le Comité d’organisation des Jeux, certains de ses membres et plusieurs sociétés partenaires, signe qu’aucune mesure de vigilance n’est excessive pour garantir l’intégrité dans la préparation et l’organisation de ce rendez-vous planétaire majeur.
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