En ce début d’année 2024, nous vous proposons une brève rétrospective sur les sanctions extraterritoriales imposées par les Etas-Unis en 2023 en vertu du FCPA (Foreign Corrupt Practices Act), la loi américaine qui punit les inconduites liées à la corruption d’agents publics à l’étranger.
L’année 2023 a été marquée par l’intervention du Département de la Justice (DOJ) et de la Securities and Exchange Commission (SEC) dans les affaires de treize entreprises, imposant des sanctions financières d’un montant total de 776 millions de dollars. Bien que ce chiffre représente une diminution de moitié par rapport aux $1,5 milliards de 2022, l’impact demeure significatif. Les sanctions de 2023 ont touché des secteurs divers, avec des règlements moyens de 59,6 millions de dollars. 90 enquêtes se poursuivent, laissant présager de probables règlements à venir prochainement. Trois personnes physiques ont aussi fait l’objet d’une condamnation en 2023, et 6 ont été inculpées, en liaison avec des violations du FCPA.
Nous résumons d’abord brièvement ici les premiers règlement de l’année passée par ordre chronologique, dont vous pouvez trouver le détail dans un précédent article. Nous passerons ensuite aux règlements les plus récents avant d’aborder le cas de certains des dirigeants mis en cause.
Corsa Coal (mars) : l’entreprise minière de charbon basée en Pennsylvanie a signé un accord à hauteur de $1,2 millions pour un stratagème visant à soudoyer des responsables gouvernementaux égyptiens afin d’obtenir des contrats publics. Grâce à son auto-divulgation et à sa coopération à l’enquête, Corsa a obtenu l’annulation des poursuites. La sanction d’$1,2 million correspond donc à un montant de restitution, bien en-deçà des $32,7 millions de bénéfices indus réalisés grâce à ce stratagème. Cet écart important est dû au fait que Corsa a su prouver son incapacité à s’acquitter d’une somme plus importante sans mettre en péril la viabilité de l’entreprise – fait confirmé par une analyse indépendante menée par le DoJ.
Rio Tinto (mars) : la société minière et métallurgique anglo-australienne a reçu une amende de $15 millions pour un stratagème de corruption en Guinée, consistant à verser des pots-de-vin à un représentant gouvernemental guinéen par le biais d’un intermédiaire, afin de conserver les droits miniers de la société.
Ericsson (mars) : l’équipementier suédois a été condamné à une sanction pénale de $206 millions pour violation de son précédent DPA, signé en 2019. Le DoJ a puni l’entreprise pour sa mauvaise coopération avec les autorités américaines, refusant notamment de divulguer des preuves de ses stratagèmes antérieurs de corruption à Djibouti en en Chine, ainsi que de potentielles violations FCPA en Irak.
Frank’s International en Angola (avril) : le fournisseur énergétique néerlandais a réglé $8 millions pour des pots-de-vin versés à des fonctionnaires angolais par l’intermédiaire d’un agent commercial. Cette affaire constitue un bon contre-exemple en matière de vigilance à l’égard des tiers : embauche d’intermédiaires sans due diligence préalables ni signature de contrat, commissions importantes enregistrées comme « dépenses professionnelles – divertissement et repas », relations avec des personnalité publiques locales… Face à ces lacunes de conformité, la sanction aurait pu être décuplée sans l’auto-divulgation volontaire de l’inconduite par l’entreprise.
Philips en Chine (mai) : la société néerlandaise de dispositifs médicaux Philips NV a écopé de sa deuxième sanction FCPA, à hauteur de $62 millions, pour des pots-de-vin versés à des représentants gouvernementaux chinois. Ces versements ont été manigancés via une politique de « remises de prix spéciales » aux distributeurs locaux de la société, propice à la dissimulation de pots-de-vin. Certains pots-de-vin visaient à inciter des responsables d’hôpitaux à rédiger des spécifications techniques favorables aux produits Philips dans le cadre d’appels d’offres publics.
Gartner en Afrique du Sud (mai) : la société américaine de conseil et de recherche technologique Gartner a accepté de régler $2,45 millions pour corruption d’agents publics en Afrique du Sud. En cause : le « recrutement », par un responsable de l’activité conseil de Gartner, d’une société de conseil sud-africaine… Dirigée par un ami proche d’un haut responsable public sud-africain.
Grupo Aval et sa filiale Corficolombiana (août) : l’entreprise colombienne et sa filiale bancaire ont été condamnés à $80,8 millions pour des pots-de-vin liés à un projet autoroutier en Colombie. Un DPA de trois ans a été conclu en partenariat avec les autorités colombiennes. Entre 2012 et 2015, Corficolombiana s’était associée au géant brésilien Odebrecht pour verser plus de $23 millions à des responsables colombiens, en échange d’un contrat d’exploitation de l’autoroute à péage « Ocaña-Gamarra ». Des contrats fictifs ont été conclus avec des sociétés tierces, qui servaient d’intermédiaires pour les pots-de-vin. Fait notable : même si l’affaire a été révélée par une enquête colombienne (et non une auto-divulgation), l’amende a été réduite de 30% conformément aux nouvelles lignes directrices FCPA car l’entreprise s’est rapidement engagée dans des mesures correctives approfondies.
3M Company (août) : le conglomérat américain a accepté de régler $6,5 millions pour des versements irréguliers, cadeaux et voyages à destination d’employés d’établissements de santé publics chinois. Ces employés étaient invités à l’étranger au motif de participer à des conférences éducatives sur la santé, mais participaient en réalité à des activités touristiques et divers loisirs de luxe. La filiale chinoise de 3M aurait versé près d’$1 million pour financer au moins 24 de ces voyages.
Clear Channel Outdoor (septembre) : une autre « affaire chinoise » implique cette entreprise de publicité américaine, qui a accepté de régler $26 millions pour des pots-de-vin versés à des fonctionnaires chinois pour obtenir des contrats de publicité. Entre 2012 et 2017, l’entreprise avait recours à des faux intermédiaires et factures pour emporter des contrats auprès de clients gouvernementaux et privés – des dépenses maquillées en tant que dépenses de divertissement, de nettoyage et d’entretien. L’entreprise a accepté le règlement sans nier ni admettre les conclusions de la SEC.
Le règlement-record de 2023 a été signé fin septembre avec la société Albemarle, qui a accepté de régler $218 millions pour des pots-de-vin en Indonésie, Inde, et Vietnam. Entre 2009 et 2027, Albemarle, par l’intermédiaire de ses agents commerciaux tiers et des employés de ses filiales, a versé des pots-de-vin à des représentants gouvernementaux afin d’obtenir et de conserver des contrats de catalyseurs chimiques avec des raffineries de pétrole publiques au Vietnam, en Indonésie et en Inde.
L’enquête du DoJ a révélé que des responsables d’Albemarle avaient ignoré plusieurs avertissements : par exemple, en août 2009, un responsable commercial d’Albemarle basé aux États-Unis a signé un contrat de conseil avec un intermédiaire indien, prévoyant une commission de 3% pour l’agent indien – soit le triple de la rémunération habituelle des intermédiaires indiens d’Albemarle. Peu auparavant, le directeur régional de la filiale indienne avait averti ce responsable de la probabilité que l’agent indien verse des pots-de-vin en vue de permettre à Albemarle de décrocher ces contrats.
La sanction pénale a été réduite de 45% en vertu des lignes directrices américaines en matière de détermination des peines FCPA, notamment la politique de rémunération mise en place par Albemarle, qui consiste à retenir les primes des employés impliqués dans des actes répréhensibles et de ceux qui, tout en étant au courant des inconduites, ne les ont pas signalées. Toutefois, le DoJ a estimé que la divulgation volontaire des faits par Albemarle n’avait pas été suffisamment rapide pour contribuer à une réduction de l’amende finale.
Lifecore Biomedical, société américaine anciennement connue sous le nom de Landec Corporation, a écopé en novembre d’une restitution de $406 505 pour corruption au Mexique, mais a obtenu une annulation des poursuites par le DoJ.
Fin 2018, Lifecore a acquis l’entreprise Yucatan Foods afin de développer ses opérations au Mexique. Peu après l’acquisition, la maison-mère a découvert que sa nouvelle filiale avait dissimulé un stratagème de corruption : entre 2018 et 2019, plusieurs employés de Yucatan Foods, qui possédait et exploitait une usine de fabrication de guacamole au Mexique, ont notamment soudoyé des fonctionnaires mexicains afin d’obtenir des permis de rejets d’eaux usées.
Les transactions frauduleuses ont été délibérément cachées à Lifecore lors de la diligence raisonnable préalable à l’acquisition, mais lorsque l’inconduite a été découverte par Lifecore au cours du processus d’intégration post-acquisition, Lifecore a lancé une enquête interne et a volontairement divulgué ses conclusions au DOJ. L’auto-divulgation rapide et une coopération active ont ainsi épargné à Lifecore une sanction plus lourde.
Entre 2013 et 2017, des employés de H.W. Wood et Tysers Insurance Brokers (alors Integro Insurance Brokers) ont organisé le paiement de $2,8 millions à quatre fonctionnaires du gouvernement équatorien afin d’obtenir et conserver des contrats publics de réassurance. Au total, plus de $28 millions de commissions et de primes auraient été versés par les deux réassureurs, dont environ 10% à destination de trois responsables étrangers et à Juan Ribas Domenech, président de deux entités publiques locales.
À plusieurs reprises, les commissions versées aux intermédiaires ont été augmentées, et justifiées par des éléments de langage flous comme des « obligations locales » et « engagements locaux ». Les réassureurs auraient conservé des millions de dollars de commissions occultes au cours de ces transactions (respectivement $10,5 millions et $2,3 millions). Le DOJ a inculpé huit personnes en lien avec ce stratagème, dont Ribas Domenech, plusieurs dirigeants, mais aussi des dirigeants des sociétés utilisées pour faire transiter les pots-de-vin.
Tysers a conclu un DPA à hauteur de $46,5 millions, reflétant une réduction de 25% en raison de sa coopération à l’enquête et des mesures correctives telles que le placement des employés impliqués en congé administratif et la rupture de ses contrats avec la société intermédiaire impliquée dans l’inconduite. H.W. Wooda également signé un DPA prévoyant une sanction pénale initiale de $22,5 millions, réduite à $508 000 en raison des difficultés financières de l’entreprise.
Le DOJ n’a pas accordé de crédit de divulgation volontaire ni à H.W. Wood ni à Tysers parce que les sociétés n’ont pas divulgué les faits volontairement et en temps opportun. Cependant, elles ont été félicitées pour leur coopération à l’enquête : reconnaissance de leur responsabilité, mise à disposition de documents et d’employés au cours de l’enquête, mesures pour remédier aux failles de conformité… démontrant ainsi leur volonté de parvenir à une résolution rapide.
Mi-décembre, la société américaine de négoce de matières premières Freepoint Commodities a signé un DPA de trois ans, accompagné d’une amende de $98 millions pour corruption au Brésil.
Entre 2012 et 2018, Freepoint aurait versé près de $4 millions à Eduard Inneco, un courtier pétrolier et gazier italo-brésilien, en sachant que les paiements seraient utilisés pour verser des pots-de-vin à des responsables de Petrobras, la compagnie pétrolière publique brésilienne. Avec d’autres intermédiaires, Inneco aurait versé des pots-de-vin allant jusqu’à 25 centimes par baril, afin d’obtenir et conserver des contrats avec Petrobras – générant plus de $30 millions de bénéfices pour Freepoint. Inneco et d’autres responsables ont été inculpés par le DoJ en 2023.
Freepoint a obtenu une réduction de 15% de l’amende, grâce à des crédits de coopération pour sa reconnaissance de responsabilité, sa coopération active à l’enquête, et les mesures correctives entreprises pour s’attaquer aux causes profondes de ces inconduites. Parmi ces mesures : la limitation du nombre d’intermédiaires tiers et la mise en place d’une politique de suivi des agents tiers à l’international.
En 2023, six personnes physiques ont été inculpées et trois autres ont fait l’objet d’une condamnation en liaison avec la violation du FCPA.
D’autres poursuites ont été abandonnées, comme celles à l’encontre de Paulo Jorge Da Costa Casqueiro Murta, mis en cause pour son rôle dans un stratagème international de corruption impliquant le paiement de pots-de-vin à des responsables de la société pétrolière publique Petroleos de Venezuela, pour le compte de divers clients. Un juge fédéral du Texas a renoncé à ces poursuites suite à plusieurs manquements aux procédures de la loi américaine.
Enfin, le chef d’accusation FCPA à l’encontre de Samuel Bankman-Fried, fondateur de la place de marché de cryptomonnaies FTX (devenue insolvable fin 2022), a été retiré fin décembre. Accusé d’avoir versé un pot-de-vin d’environ $40 millions en cryptomonnaie à des responsables gouvernementaux chinois fin 2021, Bankman-Fried reste cependant dans le viseur du DoJ. Ce retrait, annoncé suite à l’extradition de Bankman-Fried des Bahamas, a surtout été décidé afin de ne pas retarder le procès qui devrait avoir lieu en octobre.
Selon le FCPA Tracker, 90 entreprises restent ciblées par une enquête fin 2023. Certains règlements peuvent déjà être anticipés, comme celui de la société singapourienne de négoce de matières premières Trafigura, qui prévoit un règlement FCPA pour des « paiements irréguliers au Brésil ».
Plus largement, les sanctions en baisse reflètent les nouvelles règles d’évaluation des programmes de conformité du DOJ. L’auto-divulgation reste le principal levier permettant de réduire le montant des amendes, et ces différents règlements montrent que la plupart des entreprises préfèrent dorénavant prendre les devants et signaler elles-mêmes des inconduites soupçonnées ou avérées aux autorités américaines.
Dans l’arène des sanctions extraterritoriales, la lutte pour la transparence et l’éthique commerciale se poursuit, marquant une rentrée déjà chargée sur le front du FCPA. SAP vient en effet de signer le premier règlement de l’année : un DPA à $222 millions, plus élevé donc que le record 2023, pour l’entreprise allemande de logiciels, accusée de faits de corruption en Afrique du Sud.
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