En décembre 2022, le conglomérat suédo-suisse ABB a écopé d’une sanction FCPA de $432,5 millions pour régler des accusations de corruption en Afrique du sud. Selon la justice américaine, des responsables de plusieurs filiales d’ABB ont été impliqués entre 2014 et 2017 dans un stratagème visant à soudoyer un haut fonctionnaire d’Eskom, la société publique d’énergie sud-africaine. Ces paiements ont permis à ABB d’obtenir des informations confidentielles et de remporter des contrats pour le projet de centrale électrique Kusile près de Witbank, dans la province du Mpumalanga.
Conformément à la loi sud-africaine (notamment le programme Black Economic Empowerment de 2003), un contrat de ce type ne peut être obtenu qu’à condition d’avoir recours à un certain nombre de sous-traitants locaux.
Pour ABB, la recherche d’un partenaire local a été facilitée par ce haut fonctionnaire d’Eskom, qui a organisé lui-même en 2014 la rencontre avec un sous-traitant, présenté comme un « ami » susceptible d’être un partenaire local « intéressant ». Selon le règlement, les filiales d’ABB auraient ainsi « employé plusieurs sous-traitants affiliés à ce responsable gouvernemental sud-africain, et leur auraient versé des paiements qui étaient destinés, au moins en partie, à des pots-de-vin ».
Plusieurs employés d’ABB ont pourtant chargés de mener une enquête de probité sur ce partenaire potentiel. Mais deux mois plus tard, ABB a validé le recrutement de ce sous-traitant malgré ses faibles qualifications, son manque d’expérience et sa proximité suspecte avec des agents publics.
Fin 2014, ABB a soumis une offre pour le Projet Kusile. Dans les mois suivants, le tiers local a effectué des allers retours entre le responsable sud-africain et les cadres d’ABB, leur transmettant des informations internes confidentielles d’Eskom sur le processus d’attribution du contrat Kusile et l’état des négociations. En mars 2015, le contrat a officiellement été attribué à ABB.
Peu après, $798 000 ont été versés au sous-traitant, enregistrés comme une avance pour ses travaux de « développement des compétences en matière de services sur site » et d’« industrialisation ». Mais après avoir constaté que le sous-traitant n’avait pas transféré le pot-de-vin au haut fonctionnaire sud-africain, les managers d’ABB l’ont remplacé par un autre partenaire local. Là encore, ce tiers a été engagé après avoir échoué à satisfaire de nombreux critères des procédures de due diligence d’ABB. Pour qu’il soit approuvé le plus vite possible, l’un des cadres d’ABB impliqués a même fait rédiger une dérogation aux exigences standard d’ABB en matière de qualification des sous-traitants.
Ce sous-traitant aurait alors effectué plusieurs paiements au responsable sud-africain, pendant que la mascarade se poursuivait via des négociations fictives pour faire gonfler le prix des contrats – ces prix étant convenus à l’avance par les responsables d’ABB et le fonctionnaire sud-africain.
Du côté américain, la sanction a été fixée dans le cadre d’un DPA (Deferred Prosecution Agreement) de trois ans. Pendant cette période, l’entreprise devra régulièrement rendre compte à la SEC des améliorations apportées à son dispositif de conformité. Environ la moitié de la sanction pénale (de $315 millions) devrait être versée aux autorités sud-africaines dans le cadre de procédures connexes. Il s’agit de la première résolution coordonnée entre les autorités américaines et sud-africaines.
En décembre 2020, ABB avait déjà été contrainte de verser $104 millions à Eskom dans le cadre d’un règlement avec Eskom et l’unité d’enquête sud-africaine. Ce règlement concernait les paiements abusifs et « d’autres problèmes de conformité » autour du projet Kusile.
Mais ABB a aussi dû répondre de ses actes devant la justice sud-africaine, qui lui a imposé une amende de $143 millions. La société basée à Zurich a également dû régler $4,25 millions) aux autorités suisses pour n’avoir pas pris les mesures appropriées pour empêcher ces malversations.
Du côté britannique, en revanche, l’enquête sur ABB a été close car l’affaire ne satisfaisait pas les critères du Code des Procureurs de la Couronne, qui précise que des poursuites sont légitimes si elles sont « fondées sur une perspective de condamnation réaliste et sont entreprises pour l’intérêt public ».
ABB est désormais la seule entreprise à avoir signé trois règlements FCPA différents – à chaque fois, pour des montants de plus en plus importants.
En 2004, ABB et deux de ses filiales ont réglé $16,4 millions aux autorités américaines, pour des paiements illicites d’une valeur de $1,1 million à des responsables gouvernementaux au Nigeria, en Angola et au Kazakhstan. Ces paiements visaient, eux aussi, à obtenir et conserver des contrats lucratifs.
En 2010, ABB et sa filière jordanienne ont écopé de $58 millions pour des faits similaires au Mexique et en Irak. Au Mexique, une filiale américaine a soudoyé des fonctionnaires des services publics d’électricité pour emporter des contrats ayant généré plus de $90 millions de revenus et $30 millions de bénéfices. En Irak, les pots-de-vin ont servi à obtenir des contrats dans le cadre du tristement célèbre programme « Pétrole contre nourriture » de l’ONU. Pour rappel, ce programme, qui visait à atténuer les effets de l’embargo de l’ONU sur la population irakienne après l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990, a permis au régime de Saddam Hussein de détourner $1,8 milliard. Pour participer au programme, les entreprises étrangères devaient surévaluer leurs factures de 10%, et reverser cette somme dans les circuits parallèles de financement du régime. Environ 2 200 sociétés, à l’instar de Total, auraient participé à ces malversations. Dans le cas d’ABB, ces paiements étaient enregistrés comme des dépenses légitimes de service après-vente, de frais de consultation et des commissions.
Avec cette dernière sanction, ABB aura donc réglé au total $537 millions à la justice américaine. Le PDG d’ABB, Björn Rosengren, a annoncé prendre l’affaire « très au sérieux » et avoir pris des mesures pour prévenir de tels actes dans le futur – notamment un nouveau code de conduite, des programmes de sensibilisation des employés et un système de contrôle interne amélioré.
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