Début janvier 2022, la Banque Mondiale (BM) a sanctionné plusieurs entités appartenant aux groupes français ADP (Aéroports de Paris) et Bouygues pour pratiques collusoires et frauduleuses lors de la négociation de marchés à Madagascar et en Croatie.
Des « réunions inappropriées » organisées par une filiale locale
L’affaire remonte à 2015 et concerne l’appel d’offre Airports Madagascar, pour la concession des aéroports d’Antananarivo-Ivato et de Nosy Be-Fascene.
Ce contrat a été remporté par un consortium formé par ADP International SA, Bouygues Bâtiment International et sa filiale malgache Colas Madagascar. Mais il s’est avéré que le contrat avait été octroyé suite à des conduites collusoires : au cours de l’appel d’offre, Colas avait organisé plusieurs rencontres entre des représentants du consortium et des responsables gouvernementaux malgaches.
Ces faits de collusion se sont doublées de « pratiques frauduleuses », car ces rencontres n’ont pas été déclarées à la SFI (Société Financière Internationale), l’institution du Groupe de la BM ayant cofinancé le projet Airports Madagascar.
Les trois entreprises ont reconnu les faits et signé un règlement définissant leurs sanctions respectives. L’avocat du consortium, Antonin Lévy, a reconnu un « manquement aux règles éthiques de la Banque Mondiale, car quand on est en appel d’offres on ne doit pas parler avec le client ».
Deux ans d’exclusion infligés à Colas, un an pour ADP ainsi qu’une non-exclusion conditionnelle pour Bouygues
En tant qu’organisateur de ces rencontres, Colas Madagascar a reçu la peine la plus sévère : deux ans d’inéligibilité à tout appel d’offre pour un projet financé par la BM. Au terme de cette période, l’entreprise pourra à nouveau postuler, mais à une condition : avoir amélioré son programme de conformité, et maintenir ce dispositif au niveau souhaité dans ses futures activités commerciales.
Les autres peines sont plus légères. ADP International SA et 10 de ses filiales ont , elles, reçu une année d’inéligibilité. Ensuite, elles pourront à nouveau participer à des projets financés par la BM, mais seulement (comme il est demandé Colas) sous réserve d’avoir amendé son dispositif anticorruption. Si les responsables conformité de la BM constatent que ces clauses ne sont pas respectées, l’entreprise restera inéligible jusqu’à ce qu’elles le soient.
La sévérité moindre de la peine infligée à ADP s’explique par plusieurs facteurs : d’abord ses représentants ont assisté à ces réunions, mais sans être à leur initiative. Ensuite, la BM a salué la coopération de l’entreprise et les mesures correctives qu’elle a volontairement mises en place.
En principe, ADP International aurait même dû recevoir une sanction similaire à celle de Bouygues Bâtiment International, qui n’a écopé que de non-exclusion conditionnelle. Pendant 12 mois, cette dernière restera éligible pour les projets financés par la BM, à condition d’adapter son programme de conformité.
Cependant d’autres révélations ont éclaboussé ADP, relativement à des pratiques frauduleuses liées au projet d’aéroport de Zagreb (Croatie), également financé par la BM. Lors de la négociation de ce contrat, ADP International avait omis de divulguer que des honoraires payés à un mandataire avaient été partiellement reversés à un consultant non conventionné. La sanction d’ADP reflète donc son rôle dans ces deux affaires.
Les sanctions, levier influent de la lutte mondiale anticorruption
Les cas ADP et Colas sont assez représentatifs du fonctionnement des sanctions de la BM : l’exclusion à durée déterminée suivie d’une réinclusion sous certaines conditions – en général concernant le programme de conformité – est en effet le type de sanction le plus couramment observé.
Parmi les 57 personnes morales et physiques sanctionnées par la BM en 2021, 54 ont ainsi été ciblées par une exclusion avec ré-inclusion conditionnelle, à l’instar d’ADP International et Colas Madagascar. Seules 3 ont simplment dû, comme Bouygues Bâtiment International, satisfaire certaines conditions pour rester éligibles sans subir d’exclusion.
Rappelons qu’une telle exclusion peut avoir de lourdes conséquences pour des entreprises actives à l’international où un grand nombre de projets sont co-financés par la BM. Avec sa force de frappe financière, la BM a un poids non négligeable dans certains secteurs d’activité des pays émergents. En 2021, la seule SFI a investi plus de $31 milliards des projets portés par le secteur privé dans des pays en développement ($19 milliards en 2019).
Pour les entreprises dont les activités dépendent de ce type de contrats, toute révélation de corruption peut donc entraîner une véritable déchéance du carnet de commandes. Et ce, d’autant plus que souvent, les sanctions de la BM sont « transmissibles » et donc également adoptées par les autres Banques Multilatérales de Développement (BMD). Grâce à un accord mutuel d’exclusion signé en 2010, les BMD peuvent en effet exclure toute entité bannie (pendant plus d’un an) par l’un de leurs homologues.
Cet effet domino démultiplie la portée potentielle des sanctions : par exemple, Colas Madagascar risque d’être exclu par une BDM comme la Banque Africaine de Développement, ce qui élargit a priori le champ des projets auxquels elle ne pourra pas se porter candidate ?
Dans son communiqué de presse sur les sanctions ADP, la BM défend l’efficacité des sanctions pour « promouvoir de meilleures pratiques commerciales par les entreprises engagées dans des projets de développement du secteur privé ». Si elles veulent prétendre à de tels projets, les entreprises ont donc tout intérêt à prendre la conformité au sérieux, ou à être prêtes à se priver d’opportunités commerciales importantes.
Pour plus d’informations sur les sanctions croisées des Banques Multilatérales de Développement, nous vous invitons à découvrir notre analyse des données mises en ligne par la Banque Interaméricaine de Développement.
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