Le 18 novembre 2021, l’AFA (Agence Française Anticorruption) a publié son guide pratique sur la prévention des conflits d’intérêts en entreprise. L’objectif : aider les dirigeants et les professionnels de la conformité à détecter les situations à risque et à mettre en place des mesures efficaces pour mieux s’en prémunir.
Une version provisoire du guide avait été soumise à consultation publique en septembre. Ce guide est donc la version finale, enrichie des observations de fédérations professionnelles, de cabinets d’avocats et de responsables anticorruption en entreprise.
Pour le secteur privé, la notion de conflits d’intérêts est difficile à cerner sur le plan légal car les seules définitions juridiques de ce concept concernent le secteur public. L’article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique définit le conflit d’intérêts comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
Dans le secteur privé, la notion de conflit d’intérêt n’est pas définie comme telle ; la loi punit plutôt les actes de corruption qui en découlent, comme la corruption privée passive, qui caractérise le fait pour un salarié du privé de proposer ou d’accepter d’accomplir un acte en échange d’un avantage personnel.
D’autres délits liés au secteur public peuvent aussi comporter un lien avec le secteur privé, comme la prise illégale d’intérêts (par exemple, lorsqu’une entreprise offre un avantage à un agent public chargé de la surveiller ou de la sanctionner) ou le délit de pantouflage (lorsqu’un fonctionnaire quitte le secteur public pour rejoindre une entreprise dont il assurait le contrôle).
Les acteurs du secteur privé peuvent aussi être poursuivis pour le recel ou le blanchiment de ces délits : recel de prise illégale d’intérêts, complicité de trafic d’influence… Et le « complice » est passible des mêmes peines que l’auteur de l’infraction. Ainsi, même si ces délits ne ciblent pas a priori les entreprises privées et leurs dirigeants, ces derniers peuvent être poursuivis au même niveau que les agents publics reconnus coupables de ces infractions.
Voilà déjà une première raison d’apprendre à repérer les conflits d’intérêts au sein de son organisation. Mais l’AFA met en avant un second enjeu : l’identification des conflits d’intérêts peut se révéler très efficace pour aider l’entreprise à détecter certains risques de corruption.
Même s’ils ne sont pas directement visés par la loi, les conflits d’intérêts sont tout aussi réels au sein du secteur privé, et ils constituent souvent une pente glissante vers des infractions pénales de corruption. Tous les acteurs économiques ont des intérêts personnels qui peuvent, un jour ou l’autre, prévaloir sur les intérêts de l’organisation dans laquelle ils travaillent.
L’AFA recommande donc de considérer qu’un conflit d’intérêts existe dès lors qu’une interférence émerge entre l’intérêt personnel d’un salarié et la fonction qu’il exerce au sein de son organisation, et que cette interférence influence l’exercice de sa mission. Par exemple, lorsqu’un individu est chargé de pourvoir un poste ou d’avoir recours au service d’un tiers, l’existence d’un lien personnel (par exemple un lien de parenté) avec le candidat ou l’entité tierce constitue un conflit d’intérêt.
Mais les conflits d’intérêts ne se limitent pas au népotisme : par exemple si un salarié a récemment perçu une rétribution financière, ou attend une rétribution financière, d’une personne qu’il envisage d’embaucher au sein de son entreprise, la situation est également considérée comme un conflit d’intérêt.
Certes, il faut distinguer les conflits d’intérêts potentiels et les conflits d’intérêts avérés, lorsqu’il est prouvé que les intérêts personnels de l’agent ont interféré avec sa mission. Mais pour mieux prévenir le risque de corruption, l’AFA recommande de cibler également les conflits d’intérêts apparents, d’abord parce qu’ils constituent une menace potentielle, mais aussi parce qu’ils peuvent nuire à l’image et la réputation de l’entreprise.
Pour les organisations, même si la loi Sapin 2 n’oblige pas à prendre de mesures pour prévenir les conflits d’intérêts, il est donc bénéfique d’intégrer ce risque dans le dispositif interne de lutte anticorruption.
Cela passe d’abord par la cartographie des risques : la norme ISO 37001, qui certifie les systèmes de management anticorruption, recommande de lister tous les potentiels conflits d’intérêts au sein de l’organisation, afin de l’aider à identifier les risques qui la menacent. Par exemple, si un cadre de l’entreprise a des intérêts financiers personnels dans les activités d’un concurrent, ou si un agent commercial fait partie de la famille d’un client, ces informations devraient être intégrées dans la cartographie des risques de l’entreprise.
Bien sûr, il est impossible de lister tous ces risques de manière exhaustive, puisque tous les collaborateurs d’une entreprise ont des liens qu’il n’est pas toujours possible d’anticiper. Il s’agit plutôt de scruter à la loupe certains processus, fonctions et opérations particulièrement sensibles.
L’AFA suggère de surveiller particulièrement les achats, les ventes, les affaires publiques, les financements, les investissements ou encore les ressources humaines (recrutement, rémunération, etc.). Certaines opérations augmentent aussi le niveau de risque, comme l’acquisition de nouveaux marchés à l’international, qui pousse l’entreprise à nouer des liens avec des intermédiaires à risque.
Au-delà de la cartographie, l’entreprise peut mettre en place des mesures pour intégrer le risque de conflits d’intérêts à son dispositif anticorruption. Selon l’AFA, l’enjeu est de mieux maîtriser le risque lié aux processus sensibles grâce à des procédures détaillées. Par exemple, l’entreprise peut décider qu’à chaque recrutement ou nomination, les éventuels conflits d’intérêts doivent être déclarés. Elle peut aussi intégrer, dans un contrat de travail, une clause interdisant certains liens, par exemple le recrutement d’un membre de la famille.
Pour qu’elles se propagent à l’échelle de l’entreprise, ces procédures doivent se matérialiser dans des documents écrits et transmis à l’ensemble des salariés. Cela nécessite un investissement de l’instance dirigeante, qui doit veiller à ce que le code de conduite anticorruption précise la politique de l’entreprise en matière de conflits d’intérêts. Ainsi, lorsqu’un collaborateur crée une situation à risque (par exemple, proposer d’embaucher un membre de sa famille), cette décision peut lui être interdite en vertu du code de conduite.
Définir une politique relative aux cadeaux et invitations peut aussi s’avérer nécessaire car de nombreux conflits d’intérêts peuvent émerger de l’octroi ou l’acceptation d’un cadeau ou avantage quelconque.
Une fois que ces documents sont rédigés, la prévention des conflits d’intérêts passe aussi par la sensibilisation des collaborateurs, qui doivent être formés à la détection des conflits d’intérêts, et se sentir assez en confiance pour révéler à l’instance dirigeante l’existence de conflits d’intérêts. Une attention accrue peut être prêtée aux employés impliqués dans les processus sensibles de l’entreprise.
Enfin, l’organisation peut imposer à ses tiers une obligation contractuelle de déclarer leurs potentiels conflits d’intérêts, ainsi que les personnes politiquement exposées parmi leurs bénéficiaires effectifs. Cette approche doit se faire en complémentarité de due diligence approfondies, qui examinent à la loupe les éventuels liens entre les tiers et les parties prenantes de l’entreprise.
Ainsi, munie d’une connaissance approfondie des risques, l’entreprise peut prendre des décisions mieux informées, soit en exigeant d’un collaborateur qu’il mette fin à la situation de conflit d’intérêt, soit en confiant le dossier en cause à un autre collaborateur, ou encore en mettant fin à une relation avec un tiers à haut risque.
AFA : Guide pratique sur la prévention des conflits d’intérêts dans l’entreprise
SKAN1 Outlook : Norme ISO 37001 : nouvelle frontière anticor depuis 2016
SKAN1 Outlook : La due diligence d’intégrité, un visa pour les PME et ETI en quête d’international
La CJIP fait suite à un signalement Tracfin pour des faits survenus au Gabon dans…
Prévu en 2025, le procès de Lafarge, désormais filiale d'Holcim, sera sans précédent dans l'histoire.…
Anticor est devenue en 20 ans un acteur incontournable dans la lutte anticorruption en France…
Outre la parution du guide dédié aux fédérations sportives, l'AFA a diligenté un contrôle de…
Les lois anticorruption préventives touchent désormais à la sphère d'influence du Commonwealth Depuis une dizaine…
Ces faits de corruption sont intervenus en Libye (2006-2008) et à FujaÏrah aux E.A.U. (2011-2013)…
View Comments