Anticorruption

Lutte anticor : une responsabilité majeure du dirigeant d’entreprise

Lutte anticorruption en entreprise : la responsabilité des dirigeants vs loi Sapin 2 et AFA

À l’heure où la conformité et la lutte anticorruption nécessitent de plus en plus d’attention, de ressources et de temps dans les entreprises, nous vous proposons un focus sur la responsabilité légale qui incombe à leurs dirigeants, et sur les risques encourus par ces derniers lorsqu’une affaire de corruption éclate.

Responsable N°1 de la prévention – détection

Selon l’article 17 de la loi Sapin 2, le dirigeant de l’entreprise est considéré comme le responsable de la mise en œuvre du programme de prévention et de détection de la corruption. Plus précisément, le texte cible « les présidents, les directeurs généraux et les gérants » des entreprises d’au moins 500 salariés ou dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros.

Il faut cependant tenir compte de distinctions entre différentes formes juridiques : pour les sociétés à responsabilité limitée (SARL), les « gérants » sont responsables du dispositif anticorruption. Alors que pour les sociétés anonymes (SA), c’est le directeur général qui est tenu responsable de ces obligations, et non le président dans le cas où la société a dissocié ces deux fonctions. Si le président du conseil d’administration cumule ses fonctions avec celles de directeur général, il est donc tenu responsable. Pour les SA à directoire, l’obligation incombe aux membres du directoire, en fonction des attributions qui leur ont été conférées.

Ces attributions de responsabilité légale sont donc importantes : lorsqu’un cas de corruption ou de trafic d’intérêt est révélé, elles permettent de savoir qui sera tenu pénalement responsable au sein de l’organisation.

Mais au-delà de l’aspect strictement juridique, les dirigeants sont toujours plus sollicités pour se situer en définitive au cœur des stratégies gouvernementales de lutte contre la corruption. Ceci se manifeste notamment par les recommandations de l’AFA (Agence Française Anticorruption) : à chaque actualisation de ses guides de bonnes pratiques, l’AFA attribue un rôle plus important aux dirigeants. Depuis janvier 2021, elle a notamment redéfini ses recommandations pour les entreprises autour de trois piliers : l’engagement de l’instance dirigeante y est identifié comme le « premier pilier » de la création d’une culture contre les atteintes à la probité au sein de l’organisation.

Pour l’AFA, le dirigeant doit donc donner l’impulsion du dispositif anticorruption, et s’assurer de son déploiement effectif. En cas d’audit, il doit être capable de détailler les mesures mises en œuvre, les risques spécifiques encourus par l’entreprise, et les ressources dédiées au dispositif. Le dirigeant doit également communiquer sur son engagement contre la corruption, par exemple en rédigeant un message personnalisé en introduction de son code de conduite.

Si, lors d’un contrôle, l’AFA identifie des manquements à ces obligations, le dirigeant encourt jusqu’à 200 000 € d’amende.

Faits de corruption… Qui était au courant ?

Lorsque des faits de corruption sont avérés, en France comme à l’international, les sanctions imposées aux entreprises sont le plus souvent accompagnées de sanctions à l’encontre des personnes physiques considérées comme complices de ces pratiques illégales. À titre indicatif, le rapport d’activité 2020 de l’AFA souligne qu’en 2019, 813 affaires concernant des personnes physiques ont été traitées par les parquets, soit 12,6% de plus qu’en 2014.

À chaque infraction, la même question se pose et s’impose, qu’il s’agisse de corruption ou d’autres méfaits : le dirigeant était-il au courant ? Depuis plusieurs années, les procédures à l’encontre des hauts dirigeants se sont ainsi multipliées, à l’instar de la récente condamnation de l’ancien PDG d’Ikea France, Jean-Louis Baillot, à deux ans de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende pour avoir créé un système illégal de surveillance de ses salariés.

Sur les plans juridique et médiatique, les procès de dirigeants deviennent presque monnaie courante. En France, on peut citer les exemples de Bruno Laffont, l’ancien PDG de Lafarge poursuivi pour financement d’une entreprise terroriste et diverses infractions douanières ; celui de Stéphane Richard, le PDG d’Orange à l’encontre duquel le parquet requiert une peine de prison dans le cadre de « l’affaire Tapie » ; ou encore Patrick Pouyanné, le PDG de Total visé par une plainte pour « prise illégale d’intérêt » dans le cadre de l’implantation d’un centre de recherche Total au sein du campus de l’Ecole Polytechnique à Saclay.

Même retentissement en Allemagne pour la comparution de dirigeants dans le cadre des procès retentissants du Dieselgate : l’ancien patron d’Audi Rupert Stadler, et un ancien directeur d’Audi et de Porsche, Wolfgang Hatz, risquent jusqu’à dix ans de prison. Ils sont accusés d’avoir été au courant des manipulations des tests de pollution, sans tenter d’empêcher la vente de centaines de milliers de véhicules équipés du logiciel en cause. L’ancien dirigeant du groupe Volkswagen, Martin Winterkorn, doit également paraître pour fraude en bande organisée, fraude fiscale aggravée et manipulation du cours de la Bourse.

De manière générale, les dirigeants sont très souvent poursuivis parallèlement à leur entreprise. Cette mise en cause est d’ailleurs qualifiée de systématique et critiquée par certains spécialistes des affaires comme Kiril Bourgatchef, qui y voit une atteinte à la présomption d’innocence : « on crée des actes de complicité par abstention. On condamne sur la base d’une considération, d’une impression que le dirigeant ne pouvait ignorer, ce qui est une absurdité au regard de notre droit ».

Et parmi les facteurs qui peuvent renforcer la sévérité à l’égard des dirigeants, en France comme ailleurs, l’intérêt de l’opinion publique pour les affaires de crime en col blanc n’est plus à prouver. Sur le plan judiciaire, cela se traduit par une pression accrue pour trouver des coupables, et les punir. La tentation de faire des « exemples » peut donc avoir un rôle à jouer dans le traitement réservé aux chefs d’entreprises accusés de corruption.

La CJIP au risque de favoriser la personne morale

Depuis la loi Sapin 2, les entreprises poursuivies ont néanmoins la possibilité de conclure une CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public), procédure qui peut s’apparenter au modèle de justice négociée à l’anglo-saxonne à l’image du Deferred Prosecution Agreement américain (DPA).

Pour une entreprise poursuivie, la conclusion d’une CJIP présente de nombreux avantages. En reconnaissant les faits et en collaborant avec la justice, l’entreprise peut mettre fin à des poursuites pénales. Or la conclusion d’une CJIP dépend beaucoup de la capacité de l’entreprise à prouver la solidité de son engagement contre la corruption – et notamment sa capacité à sanctionner les auteurs des actes en cause.

La négociation de la CJIP Airbus, par exemple, avait été facilitée par l’autodénonciation de l’ancien président d’Airbus, Tom Enders. Aux yeux du Parquet, en appointant un nouveau président, le constructeur aéronautique montrait « patte blanche » et signalait sa volonté de se réformer en profondeur.

Aussi, toujours selon Kiril Bougartchev, la CJIP bénéficie à la personne morale, mais peut nuire à la personne physique, car au cours des négociations, le Parquet national financier demande à l’entreprise de « vendre la tête des responsables ». La tentation peut donc être forte pour l’entreprise de se désolidariser de personnes physiques, quand bien même elles n’auraient pas pris part aux actes illicites.

Une autre affaire très médiatisée, le procès de Vincent Bolloré dans le cadre de l’affaire des concessions illégales au Togo, est emblématique du hiatus qui existe entre les traitements réservés à l’entreprise et à ses dirigeant. Après avoir démenti les actes en cause, Vincent Bolloré a admis les faits et sollicité la signature d’une CRPC (Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), procédure souvent utilisée par les personnes physiques poursuivies, en marge de la CJIP de leur entreprise. Or en février 2021, le tribunal correctionnel de Paris a simultanément accepté d’homologuer la CJIP de la société Bolloré SE, et refusé d’homologuer les CRPC de Vincent Bolloré, de Gilles Alix (directeur général du groupe Bolloré) et de Jean-Philippe Dorent (directeur international de la filiale Havas).

D’un côté, Bolloré SE a été sanctionnée à hauteur de 12 millions d’€, et s’est engagée à allouer 4 millions d’€ à la mise en place d’un programme de conformité sous le contrôle de l’AFA. De l’autre côté, les CRPC à l’égard des dirigeants ont été jugées insuffisantes face à « la gravité des faits reprochés » et de l’atteinte « à l’ordre public économique et à la souveraineté du Togo ».

Il n’existe pas de recours contre le refus d’homologation d’une CRPC. En décidant que l’affaire nécessitait un procès pénal pour les dirigeants, mais pas pour l’entreprise, le tribunal a donc envoyé un message fort à la société civile : l’existence d’instruments comme les CRPC ne suffit pas toujours à éviter le procès.

Plus que jamais, les dirigeants doivent donc être vigilants face au risque pénal, et adopter une attitude proactive à l’égard du risque de corruption : leur niveau d’engagement dans la prévention du risque peut à tout moment être évalué et, dans le cas d’une affaire de corruption, influencer sensiblement le dénouement des poursuites pénales.

Sources

Responsabilité légale des dirigeants

Sanctions à l’encontre de dirigeants

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Brune Lange

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